Transcontextualisation intrapsychothérapeutique : esquisse d’une recherche innovatrice en psychothérapie sous le signe du dialogue épistémologique

Résumé

La recherche en psychothérapie se définit elle-même en tant qu’entreprise scientifique qui tente de transformer le non-savoir thérapeutique en un savoir. Cette formulation fondamentale de ses objectifs peut paraître simple, mais le status quo méthodique dans lequel se trouve depuis plusieurs décennies la pratique concrète de cette recherche pose d’énormes problèmes. Dès ses débuts, le mainstream de la recherche en psychothérapie s’est situé exclusivement dans le cadre de la pensée paradigmatique caractérisant la méthodologie de type quantitatif, empirique et statistique ; elle est donc rigoureusement déterminée par la logique des méthodes expérimentales.

Au moins dans les pays de langue allemande, un petit groupe de chercheurs et de scientifiques inspirés par l’épis-témologie lutte contre cette perspective unilatérale et souligne qu’il est très urgent de la réformer au niveau de la méthode. Des arguments critiquant la démarche scientifique et des moyens situés au niveau de l’épistémologie ont permis de lancer une réorientation méthodologique prometteuse et axée vers l’avenir. Pour surmonter une fois pour toutes l’uni-latéralisme regrettable dominant la recherche empirique en psychothérapie et se soustraire à son influence, il faut pourtant qu’une pratique épistémologique de la recherche basée sur une théorie scientifique moderne s’établisse le plus rapidement possible. Pour compenser ce qui a toujours existé, il faut qu’une forme de recherche innovatrice et contemporaine se consacre plus sérieusement à l’élaboration, à la formulation et à l’application d’une réflexion méthodique de base concernant la manière dont la psychothérapie agit.

C’est pour satisfaire cette exigence que nous menons ici une réflexion concrète en rapport avec l’épistémologie et la méthodologie ; l’ensemble de cette démarche est mené à partir d’un contexte philosophique qui inclut une pensée constructiviste respectant les principes formulés par le constructivisme viennois (Kurt Greiner). Les spécialistes de l’épistémologie inspirés par le constructivisme prennent en compte le principe énoncé par Ludwig Wittgenstein : les rapports entre des énoncés scientifiques et liés à la pratique ne peuvent pas être saisis en soi ; il faut donc utiliser la tactique dite de la transcontextualisation expérimentale pour résoudre le dilemme issu de l’autoréflexion. La stratégie transcontextuelle d’acquisition de connaissances caractérisée par un changement systématique de contexte est une approche dans laquelle on soumet le scientifique à la réflexion ; elle permet de bien saisir le système de pensée et d’action caractérisant la discipline en cernant les idées qui en forment le contexte. C’est en fait seulement au moment où l’on applique cette technique dans laquelle on considère ‘à distance’ qu’on peut comprendre quelles conditions sont automatiquement exclues et quelles structures ont toujours été considérées comme données, mais aussi - c’est inévitable - où se situent les limites de sens des activités scientifiques menées.

Le champ contemporain de la recherche et de la pratique en psychothérapie offre - et c’est avantageux - des conditions extrêmement propices au développement, ainsi que des aspects inhérents qui se prêtent particulièrement bien à une visée épistémologique de type transcontextuel. Cette discipline, avec sa conception polyvalente et la diversité de ses approches, se situe aujourd’hui dans une position qui contraste de manière frappante avec les systèmes monodisciplinaires traditionnels ; elle peut donc être considérée comme l’une des « disciplines les plus aptes à la transcontextualisation ». Dans le domaine de la discipline psychothérapeutique des activités concrètes de ce type sont le plus facilement réalisables lorsque des psychothérapeutes adhérant à des théories très différentes coopèrent pour élaborer des formes de dialogue épistémologique et mettent à disposition des autres (sur des bases réciproques) des horizons méthodologiques qui pourront servir de contextes à la démarche dans laquelle la réalité est vue sous un autre angle. C’est dans ce sens que nous présentons comme exemples deux formes possibles des rencontres entre les systèmes de langage thérapeutique suivants : entre la psychanalyse psychologique du soi et la psychothérapie transpersonnelle, mais aussi entre la psychothérapie systémique et la thérapie cognitive du comportement. Après ces deux réflexions concrètes de départ, la présentation de l’exemple d’une expérience de dialogue intrapsychothérapeutique entre la logothérapie existentielle selon Viktor E. Frankl et la psychothérapie existentielle selon Jean-Paul Sartre nous permet d’esquisser la manière dont une démarche expérimentale de type transcontextuel peut se dérouler dans le domaine de la psychothérapie.

Ces exemples doivent servir d’illustration à la manière dont, en de premières étapes, des possibilités de rencontre fructueuse d’un point de vue épistémologique pourraient s’établir parmi des psychothérapeutes utilisant différents langages thérapeutiques. Il est clair qu’il ne faut pas s’attendre à ce que ces tentatives menées à titre d’exemples apportent des résultats très différenciés et très significatifs. Nous nous contentons de mettre en évidence des axes primaires qui devraient être exploités par des psychothérapeutes professionnels en tant que sources d’inspiration et que supports d’orientation au moment où, à l’avenir, ils seront à même d’acquérir un savoir réflexif et épistémologique complet mais aussi lorsque des démarches de transcontextualisation intrapsychothérapeutique leur permettront de gagner des connaissances utiles sur le plan méthodologique.