Résultats d'une enquête concernant les titres de “psychothérapeute" et de “spécialiste en médecine psychothérapeutique”
Résumé
Le domaine des théories psychothérapeutiques étant très étendu, on tente en général d’abord de s’y orienter en fonction d’une classification selon les traditions suivies par les différentes écoles. Il s’avère toutefois rapidement qu’il est difficile de délimiter les théories appliquées par les diverses écoles les unes par rapport aux autres. D’une part des éléments issus d’une école donnée sont appliqués plus tard par d’autres et d’autre part, plusieurs écoles empruntent simultanément des données élaborées par les disciplines voisines.
On observe que quelques stratégies typiques sont appliquées pour venir cl bout de cette complexité. D’abord, on remarque que les écoles ont tendance cl se démarquer strictement des théories développées par d’autres, des présupposés dogmatiques en rapport avec
l’image de l’homme définie ou la méthode à appliquer jouant un rôle central. De plus, une attitude éclectique apparaît, qui accepte parallèlement toutes les approches sans les réfléchir et qui aboutit à un choix arbitraire d’une procédure thérapeutique. Et finalement, on observe que de nouveaux concepts sont élaborés cl un méta-niveau qui, en une seconde étape, sont censés servir cl créer une base commune aux approches traditionnelles, ceci au prix d’une normalisation.
Ces trois manières de procéder ne respectent pas les contenus des structures théoriques existantes. De plus, elles risquent de faire oublier un savoir de valeur. C' est pourquoi il semble indispensable d’aborder la question de manière plus différenciée, en rapport avec un contexte épistémologique: que sont les théories, comment se créent-elles, jusqu’à quel point les énoncés qui en dérivent peuvent-ils être considérés comme ayant caractère obligatoire!
Nous tentons de trouver une approche de type épistémologique moderne et, pour ce faire, prenons comme base le “non statement view” de la philosophie analytique (Stegmüller 1985, 1986). Dans cette perspective les compléments apportés à une théorie sont décrits séparément de son noyau structurel. Ce dernier constitue le contexte logique inhérent à une théorie et il peut être saisi indépendamment de son idéologie; il ne peut être ni vrai, ni faux puisqu’il représente une simple relation abstraite. Les compléments apportés à ce noyau en vue de pratiquer des expériences ou d’appliquer la théorie reflètent par contre les conditions imposées sur le plan de l’empirisme, ceci dans le contexte d’exigences spécifiques à la culture dans laquelle le travail est effectué.
Les structures théoriques ne peuvent alors plus être saisies uniquement en fonction de leurs rapports à la réalité ou par la simple indication de la méthode de recherche utilisée; la forme qui leur est donnée dépend des décisions prises par le chercheur et de la manière dont il assume sa responsabilité puisque c’est en agissant qu’il définit le processus de recherche. Au cours de l’élaboration d’épistémologies “constructivistes” une perception de la connaissance en tant qu’activité spécifique s’est établie -à Vienne ce sont les travaux de Wallner qui mettent en évidence cette approche (Wallner 1992a, b, c). Elle semble particulièrement indiquée concernant la psychothérapie puisque dans ce domaine les rapports entre connaissance et action sont extrêmement étroits et peuvent servir de modèle: le client souhaite trouver une issue hors de ses problèmes diffus, la découvrir en agissant, alors que le thérapeute voudrait identifier les stratégies d’action qui lui permettront de soutenir le mieux possible la recherche de son client.
C’est dans ce sens que nous proposons que l’on considère les théories psychothérapeutiques en tant qu’entrelacs de conceptions développées au long d’un axe historique et qui, en général, sont liées par une relation causale. Ces constructions peuvent être en principe opérationnalisées (par exemple, pour décrire le concept de “peur” on peut demander au client de rapporter son expérience et on peut observer le comportement qui lui permet de l’éviter), mais elles demeurent ouvertes à l’élaboration d’autant d’autres développements que l’on veut (comme par exemple la signification attribuée à la “peur” en tant que symptôme de pulsions non-maîtrisées dans le contexte de la théorie psychanalytique des névroses). L’utilisation qui est faite d’une construction ne peut être saisie que par rapport au contexte scientifique dans lequel une théorie s’élabore. Ce contexte est défini, d’une part, par ses rapports qualitatifs avec la méthode de recherche choisie et, d’autre part, par les influences mutuelles entre théorie et empirisme - les théories inspirent des mesures et sont corrigées par ces dernières. Chaque école de psychothérapie représente dans ce sens un contexte spécifique au sein duquel des structures théoriques homogènes sont créées indépendamment les unes des autres. Ces structures ne sont regroupées qu’au moment où elles sont intégrées à des concepts plus globaux, comme par exemple le cadre dans lequel on s’est mis d’accord pour définir des catégories diagnostiques (ICD 10 / DMSIV).
Lors des interactions thérapeutiques les théories servent de guide à l’action, les expériences personnelles et les compétences du thérapeute jouant un certain rôle en arrière-plan. Les structures théoriques sont alors d’abord détachées de leur contexte empirique original. En une seconde étape, le thérapeute leur attribue une importance empirique en les mettant en rapport avec ses propres observations, ceci devant lui permettre de comprendre ce qui se passe dans la thérapie. Il peut continuer à interpréter subtilement et à adapter les théories pour concilier les éléments relevant de leur élaboration et ceux ayant trait à leur application, jusqu’au moment où les conditions les influençant implicitement deviennent relativement similaires.
Toutefois, à assumer que des phénomènes apparaissant dans la thérapie soient difficiles à saisir avec les moyens théoriques offerts par l’école dont le thérapeute fait partie alors que des théories fournissant de meilleures explications sont disponibles dans le contexte d’autres écoles, il faut se demander comment le thérapeute va pouvoir s’y référer. En tant que responsable de la manière dont le processus thérapeutique se déroule, il va devoir décider s’il est possible et utile d’intégrer de manière fructueuse des théories d’origines diverses. Mais quels critères faut-il définir dans ce but!
Le concept de la “capacité de raccordement" (la “Anschlussfähigkeit” de Luhmann, 1985), emprunté à la théorie systémique pourrait être utile à ce niveau. Si l’on considère la thérapie en tant que processus entre systèmes psychiques, dont le but est de réduire la complexité de ces derniers, on peut évaluer chaque structure théorique à intégrer en fonction de sa “capacité de raccordement” et par rapport au degré de réduction de complexité qui peut être acquis par son biais. La complexité est introduite par le client et son vécu à conjecturer. La tâche du thérapeute consisterait alors à la réduire en se guidant d’une théorie - dans le cas particulier en s’aidant d’une théorie (partielle) empruntée à une autre école.
Le critère de l'"Anschlussfähigkeit” de cette théorie doit être vérifié par rapport à plusieurs dimensions. Il faut d’une part que la théorie utilisée puisse être “raccordée” au système théorique utilisé à la base et que le thérapeute dispose des compétences requises-, d’autre part, il faut que les conséquences dérivées de l’application puissent, à leur tour, se “raccorder” au processus thérapeutique en déroulement. Et finalement, il faut que les stratégies thérapeutiques réalisées dans le cadre du setting et fondées sur la théorie (partielle) intégrée soient accessibles au client “là où il se trouve”.
Tout projet d’intégration devrait débuter par l’établissement d’une large base de recherche fondamentale, au cours de laquelle les contextes théoriques impliqués seront analysés. Il faudrait s’assurer que les équations implicites aux théories à relier ne sont plus trop divergentes. Il s’agirait d’abord de reconstruire les concepts utilisés du point de vue de leur structure et de leurs relations causales. Il faudrait ensuite se demander quelles sont les adaptations structurelles requises par la théorie (partielle) à intégrer, pour qu’elle puisse être incorporée de manière utile au contexte de la théorie initiale.
Voici un exemple devant illustrer notre propos: supposons que le concept psychanalytique des mécanismes de défense doive être intégré au contexte de la thérapie du comportement pour permettre d’étudier les différentes manières d’assumer la maladie. Une reconstruction simplifiée pourrait se faire comme suit: les dimensions énergétiques de la pulsion (en tant que construction explicative) sont canalisées par le biais de schémas intrapsychiques d’assimilation (le “mécanisme de défense”, construction descriptive). Ceux-ci peuvent être rendus opérationnels au moyen de différents indicateurs, tels par exemple des distorsions cognitives et émotionnelles limitées qui se reflètent dans la manière dont le client perçoit et interprète sa propre personne et son environnement (idéalisation, relativisation, intellectualisation, dénégation, etc.). Dans le cadre de cette intégration à un nouveau contexte, l’ancien modèle explicatif de la pulsion devrait être remplacé par une nouvelle construction, introduisant par exemple un modèle du stress. Dans le contexte de la thérapie du comportement les “mécanismes de défense” seraient alors des schémas permettant d’organiser de manière spécifique et de dominer les états de stress provoqués par la maladie.
Ce genre de recherche fondamentale pourrait contribuer à ce que le débat sur les questions de l’efficacité des différentes écoles de thérapie, qui se déroule actuellement à un niveau superficiel, s’intéresse au contenu des approches traditionnelles. Il vaudrait la peine de réfléchir à la proposition suivante: ne se pourrait-il pas que certaines composantes des théories propres à différentes écoles puissent jouer le rôle fructueux de catalyseurs dans l’élaboration d’autres systèmes théoriques?
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