Critique et signification de l'expérience sur soi en logothérapie et en analyse existentielle
Résumé
Selon le fondateur de la logothérapie et de l’analyse existentielle, Viktor Frankl, l’expérience sur soi est “absolument anti-logothérapeutique”. Ge fut entre autres pour cette raison qu’il renonça à la présidence d’honneur de la Société viennoise (GLE).
Il avança plusieurs arguments pour fonder cette opinion:
a) d'un point de vue anthropologique: il est par principe impossible de parler de la personne, on ne peut que lui parler (Frankl 1984, 145). Celle-ci se définit en tant que “ce qui est libre dans l’être humain ” (Frankl 1959, 684) et, dans ce sens, elle n’est pas une dimension “substantielle” de l’homme, que l’on pourrait identifier et observer. Elle est essentiellement “possibilité de se transcender soi-même”, de “se dépasser”. Ce n’est que lorsque l’individu s’oriente à autre chose qu’à lui-même (à quelque chose ou à quelqu’un) qu’il peut être entièrement humain (ebd. 676). L’expérience sur soi n’incite qu’à tourner autour de soi-même et donc à perdre toute possibilité de se transcender. Lors de cette démarche l’individu ne perçoit que des aspects partiels, une réduction de sa propre personnalité.
b) du point de vue de la logothérapie théorique: les aspects de la personne orientés vers l’extérieur acquièrent leur sens lorsque celle-ci se consacre aux tâches données par la situation (Frankl 1983, 14 s.). L’être humain est donc entièrement axé sur l’avenir, ce qui implique qu’en se consacrant à une expérience sur soi de type rétrospectif, il se perd existentiellement (Frankl 1983, 19).
c) d'un point de vue épistémologique: le sujet ne peut pas se faire objet transcendant de l’observation sans renoncer à sa nature de sujet.
Les thérapeutes travaillant dans la tradition établie par Frankl ont toutefois tenté de développer une “entité analogue à l’expérience sur soi” (Lukas), ceci pour être en mesure de satisfaire aux exigences posées par la loi; cette “entité” consiste en une “autobiographie” consignée par écrit dans un cadre méditatif.
La société internationale de logothérapie (Gesellschaft für Logotherapie und Existenzanalyse/GLE), qui a son siège à Vienne, a procédé différemment. En développant plus avant l’analyse existentielle de Frankl, elle a constaté que l’expérience sur soi est nécessaire, que ce soit du point de vue des contenus, de la méthode ou de la pratique de cette approche.
a) Notion de personne: au lieu d’appliquer le concept philosophique de personne en tant que “ce qui est libre dans l’être humain”, on considère la personne en rapport avec son vécu donc en tant que fondée sur l’expérience fondamentale d’un “être en soi-même” (“Sich-selbst-Gegebensein”). Dans ce sens, une grande importance est attribuée à la responsabilité par rapport à l’existence. Pour pouvoir se définir en tant que personne, il faut avoir fait l’expérience de la rencontre et du dialogue (Buber 1973; Längle 1993; Lleras 1982). La “transcendance de soi” de Frankl ne devient alors possible que sur la base d’une différenciation des propres motifs et émotions.
b) Notion d'existence: la définition de l’existence en tant que “être facultatif" (Frankl 1987, 61) ne suffit pas. Kirkegaard (1959), Heidegger (1979) et Jaspers (1974) soulignent que le concept d’existence implique pour une part centrale l’idée d’un “se choisir soi-même” et “s’assumer”. Autrement, l’homme risque de se manquer lui-même - ou si l’on veut de rater sa propre vie. Pour l’admettre le cas échéant, il faut être très ouvert à soi-même et être capable de se vivre soi-même en tant qu’acteur (Lleras 1992, 9).
c) Approche phénoménologique: cette approche sert pour une bonne part de fondement à la thérapie de type analyse existentielle. Elle implique que l’on “mette entre parenthèses (‘épochè’) l’intérêt égocentrique que l’on peut porter aux phénomènes” (Vetter 1989, 15, entre autres). Ceci exige une meilleure perception de soi-même au sens originaire du terme “expérience” (Espinosa 1992, 11), consciente des aspects personnels et des motivations influençant la perception (synthétisée méthodiquement dans l’analyse existentielle personnelle [“Personale Existenzanalyse”], Längle 1993).
d) Attitude thérapeutique: les expériences faites dans le contexte de la supervision montrent qu’il ne devient possible de bien travailler sur les thèmes existentiels du patient qu’une fois que leurs rapports avec la vie du thérapeute ont été clarifiés. En analyse existentielle, la personne du thérapeute est intégrée au niveau pratique et méthodique. U faut donc au moins exiger du thérapeute qu’il soit capable de se concentrer sur un thème donné, qu’il soit ouvert au sens phénoménologique et qu’il soit capable d’élaborer des aspects relationnels et de guider le patient dans cette démarche.
L’expérience sur soi se pratique en groupe (au moins 200 séances) et en setting individuel (au moins 50 séances). Sont avant tout traités dans son cadre des champs de tension, des domaines problématiques et des schémas de comportement; d’autre part, on s’y exerce à la perception de soi (en particulier au niveau des émotions, des limites personnelles, des capacités individuelles et des effets de la personne). Il faudrait ajouter à titre de critique qu’une évaluation systématique de cette démarche (outcome, efficacité, efficience) et une intégration systématique de ses résultats dans des perfectionnements en groupe n’ont pas encore été faites, pas plus d’ailleurs que n’a été conceptualisée la distinction entre expérience sur soi et thérapie.
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