D'un minimum de consensus à un désaccord maximum
Résumé
La présente contribution est consacrée à la question de savoir comment gérer la diversité des modèles psychothérapeutiques de manière adéquate tant d’un point de vue scientifique que de celui de la politique professionnelle. Au premier abord, la plupart des personnes concernées perçoivent cette diversité comme déconcertante: les clients et les thérapeutes en voie de formation ne savent pas comment faire leur choix; l’environnement institutionnel de la psychothérapie (caisses maladie; bureaucratie de la santé) s’oriente en règle générale en fonction d’une perception traditionnelle selon laquelle toute profession sérieuse doit obligatoirement se fonder sur un ensemble de connaissances homogène et exempt de contradictions. On tend alors à (mal) interpréter la diversité des nombreuses écoles et sous-écoles comme le signe d’un manque de légitimation et d’engagement.
Tant que les “consommateurs” et les instances finançant la psychothérapie continueront à adhérer à ces idées, le caractère hétérogène des différentes écoles de thérapie s’accompagnera d’un arrière-goût de mauvais aloi, qui a provoqué des réactions négatives même chez ceux qui examinent la psychothérapie sous un angle théorique. Il reste que les efforts entrepris pour intégrer les différentes écoles se sont fortement renforcés au cours des quinze dernières années; les propositions qui ont été faites jusqu’à maintenant, concernant la manière dont les diverses approches thérapeutiques pourraient être intégrées, seront passées en revue de manière critique. Cette synthèse nous permettra d’identifier cinq principales stratégies ayant gouverné les efforts mentionnés plus haut: intégration théorique, sélection de facteurs efficaces communs, éclectisme, intégration métadisciplinaire et tentatives faites pour trouver une langue commune. A y regarder de plus près, il semble toutefois que tous ces efforts ont été mal réfléchis, compte tenu en particulier du fait qu’ils présupposent un désir d’unification, et qu’ils sont donc problématiques au niveau de la politique professionnelle.
Nous présentons ensuite une sorte d’intermède épistémologique, incluant une réflexion différenciée sur l’objet de la psychothérapie et surtout sur le type de théorie qu’il faut considérer comme adéquat pour cerner cet objet. Ce faisant, il semble alors plausible qu’en ce qui concerne l’univers psychothérapeutique, il n’existe pas de solution théorique définitive; en fait, un processus permanent de développement et d’évolution doit avoir lieu. On ne peut pas s’attendre à ce que la psychothérapie élabore un modèle homogène en se fondant sur sa propre évolution: les conditions gouvernant les rapports théoriques avec une réalité auto-réflexive et symbolique rendent cette démarche impossible. Mais surtout, le recoupement caractéristique du sujet et de l’objet au niveau de l’élaboration de modèles psychothérapeutiques, c’est-à-dire l’inévitable participation du “constructeur” à sa construction théorique font qu’il n’est pas possible de définir un modèle homogène.
La dernière partie de l’article dépasse nettement le niveau d’un simple diagnostic de la situation. Elle indique que le réalisme constructif peut fournir un cadre épistémologique permettant de continuer à considérer la psychothérapie sous sa forme différenciée caractéristique, tout en lui fournissant la dimension de discipline scientifique. Pour cela, il faut que les différentes écoles soient disposées à accepter le caractère hétérogène de leurs domaines et à engager un dialogue structuré selon des critères bien définis, au cours duquel elles élaboreront une perception des conditions de leur devenir. Au lieu de se perdre en des débats sur l’efficacité des méthodes qui sont stériles d’un point de vue heuristique et dominés par des intérêts liés à la politique professionnelle, les représentants des différentes écoles devraient amorcer un dialogue entre eux, mais aussi avec d’autres disciplines scientifiques et avec les pratiques parentes de la thérapie qui sont issues d’autres cultures. Au cours de ce débat, ils devront définir les prémisses qui fondent leurs propres théories. Ce n’est que sur la base de rencontres durant lesquelles il deviendra clair que les différences sont irréductibles que les potentiels et les impulsions requises pour amorcer un processus ouvert apparaîtront, permettant d’intégrer la psychothérapie.
Notre intérêt se porte donc sur une forme particulière de dialogue, permettant de saisir les constructions théoriques et ainsi, de créer une “fenêtre spécifique sur la réalité” de la thérapie. C’est dans ce sens que sera éclaircie la question de savoir comment la psychothérapie dans toute sa diversité peut prétendre formuler des énoncés et des connaissances ayant une certaine valeur. Concernant les différentes écoles, il s’agit des aspects suivants: lorsque chacune aura clairement saisi la mélodie qu’elle joue dans le concert donné par toutes les thérapies, leur engagement en deviendra d’autant plus clair; mais il deviendra aussi plus clair, mieux elles sauront quels sont les présupposés institutionnels, historiques et culturels et les préférences personnelles de leur fondateur qui les ont amenées là où elles sont; elles comprendront alors quelles sont les partitions qu’elles peuvent bien jouer ' et quels sont les concerts auxquels elles ne peuvent participer que dans certaines limites. Il apparaît alors que le soi-disant déficit produit par le caractère hétérogène - et donc problématique - des différents modèles psychothérapeutiques peut parfaitement permettre d’élaborer des critères de qualité, à condition qu’on l’approche sous un angle adéquat. La psychothérapie ne pourra que bénéficier de l’élaboration de ces critères du point de vue de son identité en tant que discipline. Une capacité discursive réfléchie, la gestion de l’hétérogénéité et des contradictions, auxquelles viendra s’ajouter une conscience de la position propre à chaque école et sa formulation sous forme de document - il s’agit là d’éléments qui sont de toute façon utiles à la pratique thérapeutique -, permettront à la psychothérapie de se démarquer par rapport d’autres disciplines qui, elles, ont une conception monolithique de la science.
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