La psychothérapie corporelle analytique: état des lieux et pratique clinique
Résumé
Dans le courant de ces dernières années la psychothérapie corporelle analytique s’est établie en tant que l’un des trois principaux courants de psychothérapie corporelle. Le nombre croissant de publications (cf. entre autres Berliner, Downing, Geißler, Heisterkamp, Maaser, Maaz, Moser, Scharff et Worm) indique que l’identité de cette méthode est en voie d’élaboration; de plus, des rencontres spécialisées et d’autres projets ont été organisés. Le fait que ce type de psychothérapie commence à s’établir en tant qu’école est mis en évidence par la création (en avril 97) d’une section pour la psychothérapie corporelle analytique au sein de la DGAPT (Deutsche Gesellschaft für analytische Psychotherapie und Tiefenpsychologie).
1. Courants actuels en psychothérapie corporelle
D’un point de vue historique, on peut distinguer trois principales directions dans le développement de la psychothérapie corporelle, dont chacune a une image différente du corps. Les “thérapies néoreichiennes” se fondent sur un concept énergétique théorique. On part de la notion de “bioénergie” pour concevoir un corps expressivo-énergétique dans lequel circule cette énergie, ou dont les blocages musculaires empêchent l’énergie de circuler. Le corps devient l’organe par lequel le patient se défend contre les affects; la santé est alors définie - du moins dans la version classique de Lowen - en tant que libre circulation de l’énergie et que relâchement des blocages musculaires.
Une seconde direction remonte à Gindler qui, en sa qualité de professeur de gymnastique, s’est d’abord intéressée à une différenciation des sensations corporelles puis plus tard, aux phénomènes psychiques les accompagnants. Ses élèves ont progressivement élaboré une méthode psychothérapeutique dont les principes représentantes sont actuellement les thérapies par le mouvement et par la danse concentrés. Ces courants considèrent qu’une amélioration de la perception et de la vigilité au niveau du corps s’accompagne d’un élargissement du conscient - le corps est ici conçu comme en mouvement et en quête.
A l’origine de la psychothérapie corporelle analytique se trouvent avant tout Ferenczi, Balint et Winnicott. Bien qu’elle comprenne des interventions au niveau du corps, c’est avant tout sur la relation, c’est-à-dire sur la perception des rapports mutuels de transfert et de contretransfert, que se concentre l’intérêt du thérapeute. La théorie appliquée par la psychothérapie corporelle analytique se fonde sur des modèles psychanalytiques, ainsi que sur les concepts élaborés par les nouvelles psychologies du développement. Dans ce sens, le corps y est considéré dans ses aspects dialogiques.
2. Le corps dialogique
Pour inclure le corps dans une psychothérapie d’orientation psychanalytique il faut que la relation thérapeute-client devienne perceptible à son niveau, ce qui permet de reconsteller d’anciens affects dans leur dynamique originelle. Par le biais d’attouchements et de mouvements, le travail corporel en vient à élargir le dialogue se déroulant dans le transfert. Le corps n’est pas seulement inclus dans la démarche qu’une fois qu’il s’est manifesté en provoquant douleur et symptômes; il est considéré comme le lieu d’une expérience, d’une mémoire, d’un vécu et d’une communication.
3. Sur quelle psychanalyse la psychothérapie corporelle analytique se fonde-t-elle?
La théorie de la relation à l’objet joue un rôle particulièrement important en psychothérapie corporelle analytique, d’une part parce que ses précurseurs - Ferenczi, Balint et Winnicott -, lorsqu’ils traitaient des troubles précoces (pour lesquels la psychothérapie corporelle analytique est particulièrement indiquée,) accordaient grande importance à une relation thérapeutique favorable. Autre raison: la manière dont le contre-transfert est géré en psychothérapie corporelle analytique est plus complexe que ce n’est le cas pour la procédure psychanalytique standard; il reste que les théoriciens contemporains de la relation à l’objet ont porté une attention particulière à l’élaboration de bases théoriques en rapport avec la gestion du contretransfert. L’approche de Bauriedl, qui inclut un examen de la dynamique de la relation, est également importante.
4. Elargir le contretransfert pour inclure la dimension corps
Le contretransfert corporel implique d’abord que la thérapeute perçoive les sensations physiques déclan-chées en elle par les paroles et les signaux non-ver-
baux de son interlocuteur. A la perception psychanalytique du contretransfert s’ajoute la dimension “résonance corporelle”, la thérapeute pouvant réagir soit en verbalisant et en interprétant verbalement les signaux corporels perçus, soit en exprimant ce qui se passe dans la relation par le biais de mouvements concrets, ou même de l’action. Un exemple de cas nous permet de montrer comment cette démarche peut se faire.
5. Les rapports avec la recherche sur les nouveaux-nés
Au niveau des émotions, les échanges verbaux se déroulent toujours en fonction d’un dialogue constant incluant des signaux non-verbaux complexes, correspondant à l’expérience vécue dans la relation préverbale entre la mère et l’enfant. Les jalons de l’interaction (les Rigs de Stern) se manifestent dans la thérapie sous forme de mouvements spontanés - ceci à condition que le setting convienne (l’expression multimodale du vécu se révèle particulièrement adéquate).
6. Les aspects centraux de la psychothérapie corporelle analytique
a) L’objet de la psychothérapie corporelle analytique est constitué de l’inconscient dans sa dimension présente, des conflits actuels et des structures infantiles du patient.
b) Le principal objectif thérapeutique est la mise en lumière de conflits névrotiques et de la structure névrotique sous-jacente.
c) Cet objectif est atteint par le biais d’une analyse du transfert, du contretransfert et des résistances, en tenant spécifiquement compte du corps, ainsi que par l’analyse des rêves et la régression.
d) Le traitement atteint des couches plus profondes par le biais de l’utilisation de processus régressifs, du soutien et de l’analyse des réactions de transfert, ainsi que de l’implication du thérapeute en tant qu’objet de transfert, objet réel et objet transitoire.
e) Le “triangle of insight” est constitué du transfert sur le thérapeute, des relations actuelles et des relations passées du patient.
En psychothérapie corporelle analytique la notion d’abstinence n’inclut plus l’interdit concernant l’action et l’attouchement; des règles externes (par ex. limites posées au setting) sont remplacées par l’attitude intérieure du thérapeute.
7. Possibilités ouvertes a l'inclusion du corps en psychothérapie corporelle analytique
Dans sa forme la moins prononcée, le travail corporel implique l’utilisation du corps en tant qu’organe de perception et donc de moyen d’accès à l’inconscient du patient. Conçu de cette manière, le corps devient le reflet d’une histoire de vie et d’une expérience des conflits. Les souvenirs de mouvements (les kinogrammes de Downing) peuvent être rendus accessibles entre autres par le “travail sur le tapis”. Les interventions impliquant un attouchement servent de mesures transitoires, durant la période où le patient n’est pas encore capable de s’exprimer adéquatement au niveau verbal. Ce que l’on appelle “l’inclusion scénique du corps” constitue une forme particulière de travail corporel, qui s’accompagne d’une gestion du contretransfert assez différente de celle pratiquée dans la procédure psychanalytique standard.
8. Inclusion scénique du corps
Le cas d’un homme dans la trentaine qui avait de l’expérience en thérapie bioénergétique est présenté pour démontrer concrètement la technique d’intervention. La discussion permet également de mettre en évidence les différences entre la psychothérapie corporelle analytique et la bioénergétique.
9. Remarques finales
Il faudrait que la suite du développement de la psychothérapie corporelle analytique inclue une recherche scientifique visant à garantir sa qualité et son efficacité - ceci mis à part le fait qu’il sera indispensable qu’elle s’établisse au sein des institutions et qu’une coopération internationale s’élabore. Il faudra réfléchir à la manière dont la recherche pourrait se faire, pour qu’elle tienne compte de manière adéquate des caractéristiques de son objet. Une comparaison scientifique avec les procédures appliquées par les deux autres courants de psychothérapie corporelle est souhaitable; elle permettrait de mieux différencier les indications des différentes approches. Au niveau théorique, il faudrait qu’un concept de la régression soit élaboré.
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