Psychothérapie en milieu hospitalier: exemple d'un cas
Résumé
Les interventions psychothérapeutiques menées dans un milieu médical requièrent souvent une procédure différente de celle utilisée dans le contexte d’un cabinet privé. L’exemple suivant me permettra de mettre les différences en évidence et de montrer comment il est possible de tenir compte de la complexité des conditions de traitement. Le médecin adresse souvent le patient au psychothérapeute parce que les symptômes de ce dernier se sont aggravés, d’une manière qui ne semble pas correspondre aux efforts thérapeutiques entrepris, et plus rarement parce que l’état psychique de celui-ci le justifie. A ce niveau, le manque de réactivité du patient à la démarche thérapeutique est souvent perçu comme symbolisant l’échec du travail du médecin (Rodewig 1994, Rodewig 1995). Alors que dans la pratique du thérapeute indépendant, famille et institutions sont souvent “tiers invisibles", qu’il est possible d’ignorer, dans le contexte de l’hôpital ils sont participants aux processus thérapeutiques, jouant un rôle aussi éminent que l’état physiologique du patient et le traitement qu’il requiert Le succès des efforts thérapeutiques dépend largement de la manière dont toutes les personnes impliquées réussissent à se mettre clairement d’accord sur le mandat à accomplir et ses objectifs.
Une autre variable d’une démarche réussie est la capacité dont le thérapeute dispose à gérer les réactions de transfert/contre-transfert de manière à éviter toute dissociation ‘corps malade/être bon’ (Rodewig 1995) ou, par déplacement au sein du système, ‘bon psychothérapeute/méchant système médical’. Dans la mesure où la grande complexité du système hospitalier encourage ces processus de dissociation chez toutes les personnes impliquées, il faut qu’un travail continu s’effectue avec elles tout au long du processus de traitement.
Nous présentons le cas d’un patient hospitalisé aux soins intensifs pour une blessure au niveau des vertèbres C3/C4; il ne pouvait pas parler à voix assez haute pour être entendu et, étant étranger, ne comprenait pas l’allemand. Nous montrons comment sa compagne fut intégrée au plan de traitement, assumant la fonction d’interprète et se chargeant finalement d’une bonne partie des interventions. Or, ce rôle allait à l’encontre de son propre besoin de soutien, compte tenu de l’état de santé du patient et de ses conséquences pour leur vie commune. Elle commença donc à exiger mon attention, faisant concurrence au malade. De ce fait, mais aussi parce que ce dernier développait des réactions de type paranoïde qui provoquèrent des conflits importants avec l’équipe de soins, il devint nécessaire de faire intervenir une collègue parlant la langue du patient. Il s’agissait en outre de cerner plus clairement la psychopathologie de ce dernier. Les étapes de cette démarche sont décrites en détail.
Cet exemple montre également les limites posées à une intervention psychothérapeutique dans le contexte d’un service de consultation en milieu hospitalier. L’équipe du service comme moi-même étions -et demeurons - convaincus que mes interventions étaient utiles et que leurs visées étaient adéquates. Pourtant, nous “traitions” un patient qui n’était pas entièrement capable de donner son accord quant au traitement. Des limites extrêmement étroites étaient posées à sa liberté de décision. Ce problème ne se manifesta clairement qu’au moment où il s’agit de gérer les interactions destructives patient/service de soins. Pour ce faire, il fallait que le patient coopère et se rende compte de ses problèmes. D’autre part, l’équipe de soins voulait “traiter le patient” et n’était pas disposée à se percevoir en tant que contribuant au problème, ni à réfléchir à son rôle. Il s’avéra en outre que le malade manifestait une structure prémorbide de la personnalité - un problème dont le traitement est toujours difficile, même lorsque le moment est plus indiqué qu’il ne l’était. Il n’avait jamais été question pour lui de suivre un traitement et sa compagne considérait son caractère de manière positive, l’interprétant comme une affirmation de sa masculinité. Tous ces facteurs devaient être pris en compte à chaque intervention, posant des limites très nettes.
Quel est donc le rôle du psychothérapeute dans ce genre de démarche; Une bonne partie de mes interventions auraient pu être menées par le personnel médical et soignant - après instruction. Les équipes travaillant dans ce type de service se sentent souvent complètement dépassées et sont heureuses de “céder des parties” des patients à d’autres. Je pense que ce besoin doit être satisfait. A mon avis, dans le cas précis comme dans d’autres le psychothérapeute assume une fonction de “médiateur” entre le personnel du service (médecins, infirmières, etc.) et le patient, son rôle étant de mieux faire comprendre la situation psychique des uns aux autres - à condition bien entendu que tous les participants aient donné leur accord. La situation de la compagne du patient illustre le fait que cette démarche n’est pas simple. Elle ne voulait absolument pas que je parle des conflits d’interaction avec l’équipe soignante. D’autre part, cette dernière n’avait rien dit à ce sujet, ni à moi, ni à la collègue qui s’occupa finalement du malade. Ce dernier n’en avait pas non plus parlé. Sa compagne pouvait donc se plaindre de ce que l’équipe n’était pas capable de lui rendre la santé, se soulageant ainsi de sa colère et de sa peur face à l’avenir; simultanément elle pouvait continuer de percevoir le patient comme un “homme fort”, tout en évitant de participer directement au conflit.
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