La psychose du point de vue de la théorie de la gestalt
Résumé
La psychiatrie contemporaine a fréquemment décrit la psychose, mais n’a encore pratiquement jamais défini ce qu’elle est! Ce travail tente d’aborder l’aspect fonctionnel de la psychose en tant que phénomène existentiel expressif. On y soutient le point de vue que la psychose est une forme spécifique de réaction individuelle à une situation existentielle menaçante et contraignante (dans le sens de la situation d’impasse décrite par la gestalt-thérapie). Le fait que lorsqu’une déprivation correspondant aux qualificatifs ci-dessus (soif, faim, emprisonnement, etc.) est imposée à des personnes psychiquement saines, ces dernières peuvent avoir des réactions psychotiques constitue un argument en faveur de cette thèse.
La psychose est interprétée par analogie en tant que mécanisme de défense, c’est-à-dire comme l’ultime moyen dont dispose l’individu pour se protéger d’une déchéance irréversible (du suicide, par exemple).
Une réflexion gestalt-thérapeutique et des notions empruntées à la bio-sémiotique nous permettent d’approcher notre thème. Nous nous centrons sur les aspects rapport à la réalité, perception et acquisition de nourriture. Les recherches bio-sémiotiques en particulier ont montré que la réalité n’est pas quelque chose d’objectif, mais que ce que l’on appelle “réalité” naît d’un processus créatif individuel - élaboré avec l’aide de l’appareil psychique. Le paramètre le plus important est celui qui permet de s’orienter dans le monde pour être en mesure de se nourrir. Nous traitons ensuite brièvement de la bio-sémiotique. Le “cycle situationnel” défini par Uexküll est décrit; il s’agit d’un cadre de référence individuel que chacun élabore sur la base d’une “attribution” ainsi que d’une “évaluation” d’une signification, et qui fournit à l’individu un rapport avec son environnement. Nous parvenons à la conclusion que les “troubles précoces” dont en particulier la recherche psychanalytique postule qu’ils sont à l’origine des psychoses, doivent être considérés comme portant atteinte à cet appareil psychique, ce qui limite la capacité d’orientation à disposition de l’individu. Cette constatation représente une étape importante de notre démarche. On parle en sémiotique d’un “monde des signes”, impliquant que ces signes représentent pour l’individu un moyen d’orientation pertinent. Ce que les sens perçoivent directement est stocké sous forme de signes; ceux-ci servent ensuite à vérifier que la manière dont l’environnement est vécu à un moment donné peut jouer un rôle servant au maintien de la vie (“découverte du signe”). Dans le cas de troubles précoces du développement, c’est justement cette fonction instrumentale de la psyché qui est limitée.
Dans le cadre spécifique de notre réflexion, nous considérons comme synonymes les termes de “signe” et de “gestalt”. L’identification de “gestalts” - dans le sens décrit par la gestalt-psychologie - constitue le mécanisme qui nous permet de nous orienter. Nous partons du postulat que la perte de cette capacité n’est pas compatible avec la vie.
Le concept de “quatrième catégorie de nourriture” est utilisé en tant que prémisse supplémentaire. On constate que les aliments - c’est-à-dire les matières que nous devons ingurgiter pour demeurer en vie -peuvent être classés selon les catégories suivantes: solides, liquides et gazeux. Par ailleurs, comme nous le savons entre autres grâce aux travaux de R. Spitz, le manque de soutien affectif peut avoir des effets extrêmement délétères. C’est pourquoi nous considérons par analogie que les rapports affectifs, le contact humain, forment une “quatrième catégorie de nourriture”. Il en résulte que l’image du monde que l’individu se construit à l’aide de son appareil psychique pour être en mesure de survivre doit inclure un réseau de rapports affectifs “nourrissants”. Ce sont avant tout les connaissances acquises par la thérapie familiale qui montrent que les familles dont sont issus des enfants psychotiques sont dominées par un style existentiel qui se porte en obstacle aux interactions “nourrissantes” (voir par ex., le phénomène du “double-bind" décrit par Bateson).
En nous fondant sur la réflexion décrite ci-dessus, nous formulons l’hypothèse selon laquelle deux conditions doivent être présentes pour que se produise une crise psychotique:
1. le développement de l’appareil psychique a été troublé
2. la situation existentielle dans laquelle se trouve l’individu concerné fait qu’il décompense par rapport à “l’apport en nourriture”.
Nous pensons que dans la psychose, la gestalt “se désintègre”, c’est-à-dire que l’individu n’est plus entièrement en mesure d’établir des rapports entre perception immédiate et gestalt. Dans ce contexte, nous interprétons les perceptions illusoires (hallucinations) comme projections d’un monde intérieur, venant se substituer au contact avec le monde extérieur.
En nous référant à l’hypothèse selon laquelle un trouble précoce est intervenu négativement dans le développement de la psyché - perçue en tant qu’appareil d’orientation” - nous formulons le postulat que la psychose représente une décompensation au niveau de l’orientation. Ceci signifie que lorsqu’un individu souffrant de ce type de développement manqué se trouve dans une situation existentielle en soi difficile (la puberté, par ex.), les moyens d’orientation qui lui permettent normalement de compenser ce manque peuvent en venir à décompenser.
En conclusion de l’article, nous présentons quelques réflexions concernant le rôle que nos hypothèses pourraient jouer par rapport à la procédure thérapeutique. Nous constatons qu’elles devraient avoir un certain impact du fait qu’elles permettent d’éviter de considérer comme pathologiques les symptômes présentés par le patient; il s’agit au contraire de rechercher l’origine (saine) de son comportement. De plus, nos hypothèses impliquent la mise en œuvre d’une démarche visant à identifier l’aspect téléologique de la psychose, c’est-à-dire à définir ce qu’indiquent les fantasmes du patient par rapport aux carences cachées dont il souffre et à élaborer des mesures adéquates - dans le sens où elles lui permettront de retrouver son orientation. En saisissant mieux ses fantasmes, nous sommes mieux à même de nous rapprocher de lui, ce qui améliore ses chances de réhabilitation et rend moins probable l’évolution de sa psychose vers une schizophrénie débilitante.
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