Traumatisme et désorganisation. De la pertinence de la recherche sur la notion d'attachement: un aperçu théorique et ses implications pour la pratique clinique
Résumé
L'un des facteurs fondamentaux et vitaux contribuant au développement physique et psychique de l’être humain est celui de la disponibilité émotionnelle offerte par un parent (de substitution). C'est le psychiatre et psychanalyste anglais John Bowlby qui, dans l’ouvrage en trois tomes intitulé “Attachment and Loss”, a souligné l’importance de la dimension sociale de l'ontogenèse. Le présent article présente une vue systématique des schémas d’attachement datant de la petite enfance et de leur grande portée par rapport à des développements normaux et pathogènes. Compte tenu des prémisses posées par la théorie de rattachement et de la recherche récente dans ce domaine, on peut maintenant affirmer avec plus de certitude que rétablissement d'une relation d'attachement solide constitue l'une des conditions essentielles de la stabilité psychosomatique, alors que l'établissement de schémas précaires et désorganisés représente un facteur de risque pour la santé psychophysique.
Selon Bowlby (1988) les troubles de l’attachement, la séparation de ou l’abandonnement par une personne jouant le rôle de parent (de substitution) doivent être considérés comme l’une des causes centrales de développements pathologiques spécifiques, tels divers troubles psychiques ou dissociatifs. En plus des trois schémas d’attachement classiques (stabilité, comportements d’évitement, ambivalence) des travaux récents ont mis en évidence un quatrième schéma -désorganisé - qui permet de vérifier empiriquement l’hypothèse thérapeutique de Bowlby et de saisir le rôle joué par des comportements d’attachement précaires dans la genèse de certains troubles psychiques (Main et Hesse, 1990). On considère par exemple aujourd’hui que c’est le manque d’organisation des schémas en question qui est à l’origine de divers troubles psychosomatiques (Hazan et Shaver, 1990) et dissociatifs (Liotti, 1995) ou de troubles de la personnalité s’accompagnant de symptômes de type borderline (Fonagy et al. 1995a).
La désorganisation des comportements d’attachement est attribuée avant tout à des vécus non-résolus et traumatiques pour les personnes impliquées (Main et Hesse, 1990), mais selon certains auteurs elle peut avoir d’autres origines (Boris et Zeanah, 1998, p. 367 du texte allemand). Sont mentionnés comme facteurs de risque une mère souffrant de dépression, des privations dans la petite enfance, les abus sexuels, des conflits entre les parents ou une séparation. Jusqu’à maintenant, personne n’a tenté d’établir une classification systématique détaillée incluant facteurs de risque et les différents troubles psychiques et psychosomatiques (cf. Zeanah et Emde, 1994). Il nous semble important de rappeler que c’est toujours un traumatisme qui cause la désorganisation (Liotti, 1995, p. 346 du texte allemand). Or, à ce niveau il faut en distinguer deux types: l’événement traumatique - qui se produit soudainement et dont la durée est brève -et les circonstances traumatiques - qui durent plus longtemps (Terr, 1991). Dans le cadre du présent article, nous ne pouvons que mentionner brièvement les traumatismes possibles et leurs effets potentiels sur des processus pathologiques de développement.
Dans la phase particulièrement délicate de la petite enfance l’absence émotionnelle de la mère souffrant —de dépression peut représenter un obstacle, important à l’établissement d’une relation d’attachement; elle est considérée comme un facteur essentiel par rapport
aux développements pathologiques (Lyons-Ruth et al. 1986; Green, 1986; Ossofsky et al. 1990; Weinberg et Tronick, 1994). Il paraît en outre logique que le diagnostic clinique le plus fréquent dans ce contexte soit la dépression - reflétant en quelque sorte le comportement et le vécu de la mère (Armsden et al. 1990). Cette réaction pathologique se trouve également dans les cas de privation (cf. Spitz 1945; 1946a; 1946b): les chiffres mettent en évidence une corrélation entre la négligence émotionnelle et sociale et d’importants troubles de l’attachement (O‘Connor, in press).
Les abus sexuels et les sévices subis par des enfants ont été identifiés comme d’importants facteurs de désorganisation et comme précurseurs de troubles psychiques (George et Main, 1979; Friedrich et Einbender, 1983; Lamb et al. 1985; Adam et al. 1995, p. 327 du texte allemand). Au niveau clinique, les aspects suivants sont typiques: sérieux problèmes de relation et manque d’adaptation sociale (Cicchetti, 1997), se perpétuant sans fin au niveau individuel (Crittenden, 1983; 1990). Les conflits entre parents et une atmosphère familiale de stress chronique représentent également un facteur de risque, à l’origine d’un manque de stabilité et d’une désorganisation (Shaw et Vondra, 1993). Lorsque ce genre de situation dure et qu’elle est caractérisée par une certaine intensité, elle peut par exemple provoquer une déficience immunitaire chez l’enfant (Bürgin, 1993, p. 23).
Mentionnons finalement les conséquences de ces données pour le travail clinique et la thérapie. La théorie de l’attachement souligne l’importance des mécanismes d’interaction - aux niveaux intra- et interpersonnels - par rapport à la genèse de troubles psychosomatiques et à diverses psychopathologies.
Il faut donc que la méthode de traitement soit en priorité de type psychanalytique et psychodynamique, pour pouvoir intervenir au niveau des schémas d’attachement datant de la petite enfance, ainsi que de leur manifestation par des troubles et comportements sociaux inadéquats. La relation émotionnelle patient-thérapeute se calque alors sur la relation enfant-parent. En “réactivant” cette relation précoce, on aide le client à saisir le développement des troubles et des structures de personnalité, ce qui va lui permettre de s’affronter concrètement aux conflits. Il en résulte finalement une restructuration de la personnalité, et une réorientation dans le sens d’une évolution de ses attitudes et de l’organisation de nouveaux schémas de comportement (Fonagy et al. 1995b).
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