Enregistrements sonores en psychothérapie: aspects liés à la technique de traitement et à l'éthique
Résumé
Ce fut probablement Earl Zinn, un psychanalyste de peu de renom, qui fut le premier thérapeute à utiliser (en 1938) un dictaphone pour enregistrer des séances. Concernant le développement de la discipline, les efforts systématiques entrepris par Cari Rogers ont eu plus d’influence; en 1942 il publia un premier article, important sur le plan méthodique, traitant de l’utilisation d’enregistrements. Dans ce sens, la thérapie centrée sur la personne fut la première méthode à établir un lien fécond entre formation et recherche.
Aujourd’hui, les enregistrements sonores sont l’un des aspects du contexte psychothérapeutique qui ont été examinés par de nombreuses études cliniques et empiriques. Notre expérience nous a montré que le
patient comme le psychothérapeute se font très vite à l’idée que des tiers pourraient prendre connaissance de leurs entretiens. Le magnétophone devient alors part du cadre qui - comme tous les éléments extérieurs de la situation psychanalytique - peut à tout moment exercer une influence dynamique et qui, donc, doit devenir objet de l’approche clinique.
Nous pensons qu’il peut s’avérer utile que dans le cadre du traitement, les patients soient mis au courant du sens de l’enregistrement, à savoir que le thérapeute est disposé à conférer avec des collègues. Il reste que nombre de thérapeutes ont encore tendance à utiliser un ton très critique, destructif même, ce qui explique pourquoi la majorité d’entre eux hésitent à utiliser cet instrument - alors que plus que tout autre, il permet d’examiner le travail thérapeutique de manière critique et donc de l’améliorer.
En ce qui concerne les membres de notre profession, ils pourraient certainement tirer profit de travaux de recherche dans lesquels on aura examiné de manière précise (sur la base des bandes et de leur transcription) ce que les psychothérapeutes font et disent durant les séances et quelles sont les théories qui fondent leurs actes. Etre confronté à son propre comportement thérapeutique peut contrer de manière positive des tendances à une sorte de présomption narcissique. Kubie (1958) donne un exemple typique du processus d’apprentissage déclenché par l’écoute d’un enregistrement dans le cadre d’une séance de supervision en psychiatrie. On repense alors aux fameuses paroles de Nietzsche: dans la lutte que mènent entre eux orgueil, action et mémoire, les voix fixées par l’enregistrement résonnent de manière telle que la vanité en est ébranlée et ne réussit plus à triompher de la mémoire.
Des extraits détaillés de différentes psychanalyses mettent en évidence les problèmes associés à la technique de traitement et leurs implications; ils sont commentés à un niveau proche de la pratique. Nous nous contentons de citer les commentaires du thérapeute chargé de traiter la patiente Irma X. Il résume ses réactions comme suit:
«Avec le temps, le magnétophone et l’analyste - le couple imaginaire (de parents) - cessèrent d’être source de peur et devinrent évidence. En cours de traitement la patiente entrepris plusieurs tentatives pour briser les liens indissolubles entre analyste et magnétophone, pour leur retirer leur pouvoir et pour établir une plus grande symétrie entre elle et le thérapeute. Une fois, vers le début de la thérapie, elle demanda sur un ton de bravade si elle pouvait emporter le magnétophone chez elle, pour écouter l’enregistrement. Une autre fois elle se demanda à haute voix ce qui se passerait si elle insistait pour qu’on cesse d’enregistrer. L’analyste traita le magnétophone comme taus les autres paramètres du traitement. Il s’efforça continuellement de faciliter l’établissement d’un espace psychique dans lequel le magnétophone concret trouverait sa place. A ce niveau la patiente ne lui créa pas trop de problèmes et suivit la plupart du temps de bonne grâce. Ceci implique que l’espace analytique n’en fut pas menacé. Au contraire : certains processus de transfert en furent catalysés comme à travers un verre ardent. »
Les exemples cliniques montrent de manière impressionnante à quel point les enregistrements sonores peuvent influer sur les peurs et les attentes des patients, mais aussi sur l’échelle des valeurs de l’analyste et sur ses propres expectatives. Celui-ci est alors plus ouvert à un niveau personnel et manifeste une plus grande sensibilité; il est aussi mieux disposé à exprimer ces éléments dans le cadre du discours thérapeutique et à y réfléchir dans le contexte de la situation de transfert et de contre-transfert. D’autre part, des questions d’ordre éthique se posent alors à un niveau fondamental, concernant la relation thérapeutique d’un coté, mais aussi les points auxquels traitement, formation du thérapeute, enseignement et recherche se fécondent mutuellement.
C’est pourquoi la dernière partie de l’ouvrage présente une réflexion sur les aspects éthiques qui jouent un rôle central à différents niveaux: 1) celui de la relation dyadique liant patient et psychothérapeute ; 2) celui de la formation et de la formation permanente, de la supervision en particulier et 3) celui de la recherche et de l’enseignement en psychothérapie.
En guise de conclusion nous nous permettons de constater que les premières démarches entreprises par des pionniers il y a déjà plus de cinquante ans ont montré que l’utilisation d’enregistrements sonores apporte un gain important au niveau de la pratique comme à celui de la recherche. Si elle est pratiquée de manière responsable et avec la sensibilité requise, elle permet de fournir plus grande transparence au discours analytique et à la pratique clinique. Elle fournit en outre une possibilité de discerner les énoncés du thérapeute de manière plus complète et moins marquée de préjugés, ce qui permet à celui-ci d’examiner de plus près et de progressivement mieux comprendre les schémas de perception et les modèles épistémologiques qui, implicitement, le guident. Ceci ne devrait pourtant pas nous faire oublier que ni la bande magnétique ni sa transcription ne permettent de saisir toutes les dimensions du dialogue thérapeutique: fantasmes, hypothèses psychodynamiques, systèmes de valeurs, communication et schémas non-verbaux d’interaction ne sont pas enregistrés, alors même qu’ils contribuent beaucoup à l’évolution du processus thérapeutique. Seule l’analyse réflective du vécu direct de la relation thérapeutique permet d’en tirer des éléments fructueux.
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