Transfert et contre-transfert en psychothérapie corporelle

Auteurs

  • Vita Heinrich

Résumé

La thérapie bioénergétique n’avait jusqu’à maintenant pas élaboré de concept théorique de la relation entre thérapeute et client; ce qui ne veut pas dire que celle-ci soit «dénue de relation» - comme certains critiques le prétendent. On n’assume simplement que la résolution de tensions musculaires chroniques, ainsi qu’un mieux aux niveaux de la perception, de l’expression et du contrôle du corps acquis par le biais de la thérapie permettent au client d’améliorer sa relation à lui-même et à autrui.

Que l’approche thérapeutique soit centrée sur la verbalisation ou sur le corps, le risque d’une dissociation entre mots et corps existe toujours. Que signifie le mot « relation » entre thérapeute et client lorsque le corps et le toucher sont exclus du setting ? Et comment tous deux peuvent-ils avoir une relation s’ils échangent trop peu de mots et que la signification du contact physique n’est pas objet du travail thérapeutique ? L’opposition principe énergétique / analyse du transfert/contre-transfert aboutit en tout cas à la dichotomie bien connue entre corps et esprit dans le contexte thérapeutique.

Je pense que toute relation se fonde sur un processus d’échange corporel et verbal - conscient ou inconscient. Il est alors important d’élaborer les méthodes psychothérapeutiques de manière telle qu’elles soutiennent l’intégration du corps et du langage et qu’elles contribuent à éliminer les dissociations (chez le thérapeute comme chez le client).

On considère qu’une relation empathique entre thérapeute et client est indispensable à la réussite d’une psychothérapie, quel que soit le courant la fondant sur le plan théorique. En psychothérapie corporelle, ceci implique que : le thérapeute soit attentif au niveau de son propre corps, qu’il soit en mesure de manifester des comportements non-verbaux authentiques, qu’il communique acceptation et soutien au niveau corporel et qu’il soit capable de vibrer avec le client (empathie corporelle). Pour que cet échange corporel ait lieu, il n’est pas absolument nécessaire que les partenaires se touchent. Ce genre de processus se retrouve dans les psychothérapies purement verbales, car la relation ne peut pas exclure le corps. Le son de la voix, l’expression des yeux, l’odeur, la tension du corps, les mouvements, la posture et la mimique font partie du processus psychologique mais aussi énergétique soutenu par l’empathie. La transmission d’aspects non-verbaux entre deux personnes se fait plus rapidement que l’échange verbal. Des aspects corporels du dialogue nous influencent au niveau des aspects inconscients, dissociés et refoulés de la personnalité de notre interlocuteur. Dans ce sens, transfert et contre-transfert sont des phénomènes somatiques. Lorsque la thérapie inclut le corps, ils sont plus intenses, plus complexes et plus directs. Par exemple, le client perçoit le tonus musculaire du thérapeute, la tension et la température de ses mains; il perçoit sa proximité ou sa distance spatiale. Des exigences spécifiques sont donc posées au thérapeute utilisant une méthode corporelle en ce qui concerne sa présence, son conscient et le degré auquel il se sent sûr au niveau du soi corporel. Ces thérapeutes doivent «s’être incorporés ». Il est alors possible d’avoir des contacts corporels sans que ceux-ci soient l’expression des besoins du thérapeute.

Un transfert se produit dans tout processus psychothérapeutique. Dans la relation avec le thérapeute, des événements passés sont revécus ou réactivés. Il en va de même des besoins qui n’ont pas été satisfaits durant l’enfance ou l’adolescence du client. Simultanément, une nouvelle relation s’établit dans l’ici-et-maintenant, qui permet de vivre autrement certaines émotions. Cette manière psychanalytique de percevoir le processus relationnel s’applique également à la psychothérapie corporelle. Toutefois, la manière dont les phénomènes de transfert sont gérés est différente : a) D’abord, la seconde encourage plus fortement le transfert en remplaçant l’abstinence par la présence réelle et corporelle du thérapeute. Elle permet une rencontre plus intense dans le contexte du présent de la thérapie et les thérapeutes se montrent en tant que personnes réelles. Ils ne «s’abstiennent» par autant puisqu’ils encouragent le mouvement et le contact physique. b) La thérapie corporelle permet d’autre part de cerner les phénomènes de transfert au niveau du corps, d’aider le client à en découvrir la signification - ce qui veut dire : aller avec le corps au lieu de parler du corps et de se, contenter d’interprétations situées hors de ce dernier.

Si le processus de transfert est trop verbalisé, la thérapie va s’établir à un niveau cognitif et analyser des expériences passées. Elle ne se centre donc plus sur le présent du processus corporel et empêche souvent que des émotions libératrices soient exprimées. Toute psychothérapie corporelle doit inclure des phases au cours desquelles on se concentre sur des sensations (en position immobile ou provoquées par le mouvement/l’expression) dont on ne parlera que plus tard. Il est important d’accepter que le client se concentre sur son corps pour lui permettre de faire des expériences qu’il n’exprimera pas simultanément par des mots; ceci permet de relier corps et parole et souvent d’établir de nouvelles relations entre eux. Dans ce type de processus les transferts se manifestent souvent d’abord comme des sensations corporelles. Ils sont incorporés et doivent être déchiffrés puis verbalisés.

Lorsque la thérapie s’axe sur un processus la première question posée est «que se passe-t-il ici et comment ? » et non pas - comme c’est le cas dans les méthodes centrées sur l’interprétation - « que se passe-t-il ici et pourquoi ? ». Plusieurs techniques empruntées à la gestalt thérapie, au psychodrame et à l’analyse bioénergétique peuvent être utilisées pour soutenir un processus corporel. Elles sont: concernant la gestalt thérapie, les principes de l’ « awareness », du renforcement et de l’exagération d’une posture, d’une mimique, de gestes ou de mouvements ; concernant le psychodrame, le «miroir » et l’échange de rôles ; et concernant l’analyse bioénergétique, des exercices en slow motion permettant de mieux percevoir des parties spécifiques du corps. Toutes ces techniques aident le client à' se sensibiliser à son corps, à le percevoir de manière plus différenciée et à progressivement verbaliser ses perceptions - et surtout à faire lui-même ce travail de découverte et à trouver des significations.

Le contre-transfert était considéré par les anciennes approches psychanalytique et bioénergétique comme issu de la biographie du thérapeute et comme un «obstacle» à la thérapie. D’un point de vue plus récent, on considère plutôt les réactions de contre-transfert comme constituant un instrument de perception ; le contre-transfert serait «induit» et pourrait fournir des indications sur le contact établi entre l’inconscient du client et celui du thérapeute. Dans ce sens, il peut aussi être perçu comme un catalyseur et un moteur du processus psychothérapeutique.

Travailler en utilisant le contre-transfert incorporé implique que le corps du thérapeute serve en quelque sorte de canal ou de caisse de résonance et fournisse des indications quant à des sensations, émotions et images du client qui sont inconscientes et ne peuvent pas encore litre verbalisées. Il est évident que pour procéder de la sorte, le thérapeute doit être à même d’identifier les éléments associés à sa propre biographie. Il doit aussi porter suffisamment d’attention à ses réactions corporelles et à ses propres «frontières» pour s’assurer qu’il demeure capable de vibrer: des exercices de grounding, de respiration et de voix sont pratiqués avant et après la séance; on utilise aussi l’imaginaire («mes frontières sont perméables ») pendant les séances, ainsi que le « dévoilement» de la propre résonance somato-émotionnelle et l’utilisation active des réactions de contre-transfert. A ces conditions, la résonance corporelle du thérapeute, le contre-transfert induit peuvent servir d’important instrument thérapeutique.

Quelles sont les implications des contacts physiques thérapeute/client pour le transfert et le contre-transfert ? En tant que praticiens de la psychothérapie corporelle, nous ne considérons pas que le «principe d’abstinence» nous interdit ces contacts. Au niveau du travail par le corps, abstinence veut dire attitude de démarcation intérieure, traduite par le corps. Les touchers ne sont pas provocateurs, ils ne représentent pas une invasion, ils sont sensibles et fournissent le soutien et l’espace requis pour que le client puisse percevoir. Ils ne sont pas motivés par les besoins du thérapeute. Du point de vue des psychothérapies corporelles, le toucher fournissant soutien et réaffirmation permet au client de faire une expérience corporelle et émotionnelle qui l’aide à corriger sa perception ; il n’en va pas de même des gestes visant à manipuler, à trop vite consoler ou à sexualiser les échanges. L’abstinence s’exprime au niveau de la manière dont les contacts physiques sont utilisés!

Biographie de l'auteur

Vita Heinrich

Dr. rer. nat. Vita Heinrich, geb. 1955, Dipl.-Psych., bioenergetische Analytikerin CBT, 7 Jahre Forschung und Lehre an der Universität Osnabrück, Fachgebiete Diagnostik und Entwicklungspsychologie. Lehrbeauftragte für Körperdiagnostik. Seit 12 Jahren Psychotherapeutin in freier Praxis. Arbeitsschwerpunkte: Gegenübertragung, traumatisierte Klienten, Körper und Stimme.

Korrespondenz: Dr. Vita Heinrich, Humboldtstraße 14a, D-49074 Osnabrück

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Publiée

2001-04-01

Comment citer

Heinrich, V. (2001). Transfert et contre-transfert en psychothérapie corporelle. Science psychothérapeutique, 9(2), 62–70. Consulté à l’adresse https://psychotherapie-wissenschaft.info/article/view/500