Douleurs psychosomatiques: aspects physiologiques

Auteurs

  • Johann Caspar Rüegg

Résumé

Les douleurs psychosomatiques (somatoformes) ne peuvent pas - selon la définition - être expliquées par un diagnostic médical somatique. Nous pensons, par exemple, à des problèmes cardiaques douloureux, mais fonctionnels, mais aussi aux douleurs dorsales chroniques qui ne sont pas liées à un trouble clairement démontré. Souvent, ces douleurs sont dues à un stress psychosocial. Car la tension psychique provoque une tension des muscles s’accompagnant de douleurs dans le dos, les épaules et la nuque, ainsi que relativement souvent de maux de tête ; à l’inverse, toute douleur chronique provoque un stress qui va, à son tour, être la cause de tensions musculaires (douloureuses) - un cercle vicieux qui fait se perpétuer l’affection douloureuse chronique et amène les personnes concernées à désespérer ou même à tomber dans la dépression. Les causes de telles douleurs se situent par fois dans la plus petite enfance et en particulier en rapport avec des vécus précoces d’une violence traumatisante.

Il ne faut donc pas s’étonner que des enfants qui ont été battus dès le premier âge et qui se sont vus confrontés à la brutalité de leur entourage proche tendent à souffrir de douleurs psychosomatiques ou somatoformes ; ces individus sont « pain prone », ce qui veut dire qu’ils ont une « tendance marquée à devoir souffrir ». En d’autres termes, ils sont particulièrement sensibles à la douleur et très douillets. Les différences dans la sensibilité à la douleur se reflètent au niveau neurobiologique du cerveau. En effet, dans chaque cas on trouve une corrélation entre l’intensité du vécu douloureux subjectif et l’intensité de l’activité neuronale dans le gyrus cingulum antérieur, ainsi qu’au niveau du cortex somato-sensoriel. Or, l’intensité de la perception de la douleur et l’activité neuronale dans la matrice de la douleur dépendent également de l’attention que l’on porte à la douleur. On a découvert que le fait de cibler son attention sur des stimuli douloureux appliqués au niveau de la peau renforce la perception de la douleur, mais aussi l’activité neuronale chez des sujets sains. Par contre, lorsque l’attention des sujets est systématiquement détournée, l’activité induite par ces mêmes stimuli douloureux dans le gyrus cingulum antérieur diminue avec la sensation de douleur. En tant qu’affects, les douleurs se manifestent au niveau du système limbique ; elles ne le font pas uniquement sur la base d’informations (signalant ainsi des dégâts) transmises au cerveau par les récepteurs périphériques (les nocirécepteurs). En effet, il est possible d’activer la matrice de la douleur - par exemple par la suggestion sous hypnose - lorsque les nerfs transmettant la douleur au niveau périphérique (les fibres C) ou les nocirécepteurs ne sont pas stimulés (de manière douloureuse). Lorsque par exemple un hypnotiseur suggère à un sujet sain qu’il éprouve une douleur brûlante dans le mollet, l’activité neuronale dans le gyrus cingulum antérieur augmente de manière significative et le sujet éprouve la douleur en question, bien que les récepteurs de la douleur au niveau de la peau (les nocirécepteurs) n’aient pas du tout été stimulés. Bref: la suggestion hypnotique et l’imagination peuvent dé-clancher dans le cerveau des douleurs - somatoformes - ainsi que l’activité neuronale accompagnant normalement la douleur.

Mais s’il suffit qu’un hypnotiseur habile utilise sa technique pour provoquer des douleurs, qu’en est-il à plus forte raison des attentes personnelles, de l’autosuggestion, des images intérieures et des souvenirs douloureux ? Tous peuvent avoir une influence. On peut alors imaginer qu’après des vécus traumatiques, les souvenirs douloureux emmagasinés dans la mémoire implicite contribuent à provoquer un processus somatoforme au niveau du système limbique. Il semble bien qu’alors l’individu produise « de mémoire » l’activa-tion des régions cérébrales mentionnées plus haut et souffre de douleurs très semblables à celles qu’il a vécues autrefois

-    en principe, il s’agit peut-être du même phénomène qui fait que certains stimuli-clés (les « eues ») accompagnant un « flashback» chez une personne qui a été traumatisée activent l’amygdale du cerveau et provoquent des réactions de peur. À l’inverse, les suggestions et l’hypnose ou l’utilisation de l’imagination - avec des mots-clés - peuvent aussi atténuer les douleurs en ralentissant le métabolisme, l’irrigation sanguine et l’activité des neurones dans les parties du cortex servant à rendre la douleur émotionnellement consciente alors que celles qui servent à localiser cette dernière demeurent inactives. Ceci signifie d’une part que l’affect douloureux est en rapport avec la manière dont nous l’évaluons sur le plan émotionnel - et en particulier avec ce que nous croyons et pensons - et, d’autre part, qu’il est possible d’utiliser des mots et l’imagination pour influer sur le métabolisme et l’activité neuronale accompagnant la douleur - c’est ce qui se passe lorsqu’en prescrivant un placebo dont il dit qu’il va calmer la douleur, le médecin exerce en fait une suggestion.

Nous avons vu qu’une atténuation subjective de la douleur s’accompagne d’une réduction de l’activité dans le gyrus cingulum antérieur ; la question se pose alors de savoir si les patients souffrant de douleurs ne pourraient pas apprendre à ralentir eux-mêmes « à volonté » l’activité de leur gyrus en pratiquant une forme d’entraînement mental. Des chercheurs californiens ont demandé à des patients souffrant de douleurs dorsales chroniques d’utiliser un appareil IRM leur permettant, grâce à une nouvelle procédure d’imagerie médicale (IRM fonctionnel en temps réel), de visualiser en ligne l’activité neuronale (et l’irrigation sanguine) dans certaines régions de leur cerveau, au moment même où ils pensaient à leurs douleurs. Cette nouvelle méthode de biofeedback a permis à ces patients d’apprendre à mieux freiner l’activité dans les parties pertinentes de leur cerveau et donc les douleurs puisqu’ils pouvaient juger du succès de leur apprentissage « on-line » grâce au f-IRM. À l’inverse, les participants à la recherche ont également été en mesure d’utiliser leur mental pour renforcer l’activité et donc la douleur. C’est ainsi, par exemple, qu’ils réussissaient non seulement à considérer comme moins douloureux un stimulus standardisé, mais aussi - lorsqu’on les y motivait - à le percevoir plus fortement. Cela permet peut-être de comprendre pourquoi, par exemple, les douleurs dorsales chroniques sont parfois inconsciemment renforcées par une motivation spécifique et un operant conditionning, devenant ainsi des douleurs so-matoformes permettant au patient de dériver un bénéfice secondaire de son trouble.

Comme nous l’avons vu, l’activité cérébrale dans la matrice de la douleur au niveau du système limbique, et donc la manière dont la douleur est ressentie, ne dépend pas seulement d’une « excitation » des nocirécepteurs périphériques ; elle est également influencée par des facteurs psychosociaux

-    et avant tout par l’importance qui lui est accordée et par la signification qui lui est attribuée.

Biographie de l'auteur

Johann Caspar Rüegg

Prof. Dr. med. Johann Caspar Rüegg, Ph. D., promovierte 1955 in Zürich beim Hirnforscher W. R. Hess. Bis zu seiner Emeritierung (1998) leitete er das 2. Physiologische Institut der Universität Heidelberg. Seither freiberuflicher Buchautor (Gehirn, Psyche und Körper: Neurobiologie von Psychosomatik und Psychotherapie, 4. Aufl., 2007).

Korrespondenz: Haagackerweg 10,
69493 Hirschberg, Deutschland

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Publiée

2008-01-01

Comment citer

Rüegg, J. C. (2008). Douleurs psychosomatiques: aspects physiologiques. Science psychothérapeutique, (1), 15–21. Consulté à l’adresse https://psychotherapie-wissenschaft.info/article/view/99