« Un souffle tranquille et doux » : psychothérapie, psychanalyse et religion

Auteurs

  • Dieter Sträuli

Résumé

Dans cet article, nous tentons de répondre à la question de savoir comment un psychothérapeute doit se comporter lorsque la foi et des problèmes religieux sont au centre du traitement. La psychanalyse (dans le cas présent, l’orientation lacanienne pratiquée en France) formule des thèses extrêmement intéressantes sur ce thème. C’est pourquoi nous centrons notre réflexion sur elle, avec ses concepts du « Grand Autre » et des « fantasmes ».

On peut envisager différents cas dans lesquels la religion deviendra un thème dans le contexte de la psychothérapie. Par exemple, un client pourrait souhaiter parler de questions religieuses parce qu’elles le préoccupent constamment. Ou bien, un client peut être confronté à un groupe ayant caractère de secte, soit parce qu’il souhaite en devenir membre, soit parce qu’un proche en fait partie. Le thérapeute lui-même peut être touché par la question de la foi et cet aspect aura des effets sur son travail thérapeutique. Et enfin, il faut se demander dans quelle mesure il est possible de négliger des questions d’ordre religieux dans le contexte théorique et philosophique servant de base à la pratique thérapeutique.

J’utilise un exemple de cas fictif - mais inspiré de nombreux cas bien réels - pour montrer comment la religion pourrait être thématisée dans le cadre d’une thérapie. Il s’agit d’une femme qui consulte un psychothérapeute parce que sa fille est devenue membre d’un groupe qu’on pourrait qualifier de secte. La famille souffre de cette situation et la mère subit des symptômes somatiques. Dans le cas de cette cliente, le thérapeute réussit à différencier entre les moments où il peut et doit adopter une position extérieure (abstinence, objectivité, analyse du transfert) et ceux auxquels il se voit inévitablement confronté à la question de sa propre attitude par rapport à la religion.

Il faut faire une distinction claire entre une position théologique ou philosophique acceptant comme donnée ou niant l’existence d’un Dieu et une position psychanalytique renonçant à prendre une décision à ce niveau, tout en utilisant le concept du « Grand Autre ». Ce dernier a son origine au niveau du langage. Il suggère que dès lors que l’individu utilise le langage, il est touché par l’existence d’une instance plus importante constituée d’un ensemble de signifiants et qui, dissimulée par le système linguistique, lui apporte son soutien ou le manipule. Or, selon Jacques Lacan cette instance n’existe pas, même si le sujet ne réussit jamais à abandonner une fois pour toutes cette idée. Le sujet névrosé crée un fantasme inconscient, une vision illusoire privilégiée, qui lui permet de décrire ses rapports à l’Autre. Lorsqu’à la névrose s’ajoute une croyance religieuse, ce fantasme produit une structure relationnelle névrosée au niveau de la foi, ce qui se traduit par exemple par une image névrosée de Dieu et par une relation névrotique au divin.

Dans le meilleur des cas, « surmonter son fantasme » dans le cadre d’une analyse ne sert qu’à substituer au fantasme de l’Autre un fantasme du désir permettant au sujet de « jouir des fruits de son travail et de ses amours » (Freud, notre traduction). Une fois cette transformation accomplie, l’individu va devoir se poser à nouveau la question de sa propre foi. Il va renoncer à cette dernière ou la remplacer par une autre.

A mon avis, le travail du thérapeute ne consiste pas à ramener le client à une croyance en se fondant sur sa propre manière de concevoir le monde, ni d’ailleurs à faire de lui un sceptique éclairé. Le thérapeute doit également éviter le piège qui lui ferait considérer qu’il est le représentant exclusif de la réalité par rapport à son client.

J’utilise un autre exemple de cas pour montrer à quel point le rapport du sujet aux signifiants qui le déterminent et auxquels il fait appel peut être paradoxal. Dans certains cas, une croyance ou une fascination pour des êtres divins peut empêcher le sujet d’entendre un message situé à un autre niveau. C’est là que se situe la principale fonction du thérapeute : faire entendre ce message au sujet tout en évitant qu’il aboutisse à la création d’une nouvelle dépendance envers un autre illusoire.

Biographie de l'auteur

Dieter Sträuli

Dr. Dieter Sträuli, geb. 1948, ist Wissenschaftlicher Mitarbeiter am Psychologischen Institut der Universität Zürich und Präsident der Fachstelle für Sektenfragen infoSekta Zürich. Er hat eine psychoanalytische Ausbildung und gibt Kurse an psychoanalytischen Ausbildungsinstitutionen.

Korrespondenz: Allgemeine Psychologie (Kognition), Psychologisches Institut, Universität Zürich,

Binzmühlestrasse 14/Box 22,
8050 Zürich, Schweiz

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Publiée

2008-04-01

Comment citer

Sträuli, D. (2008). « Un souffle tranquille et doux » : psychothérapie, psychanalyse et religion. Science psychothérapeutique, (2), 74–80. Consulté à l’adresse https://psychotherapie-wissenschaft.info/article/view/91