L’usage des glandes lacrymales à différentes époques
Résumé
Le thème des larmes est inépuisable. Elles sont associées à d’innombrables mythes et contes et on les retrouve aujourd’hui dans la presse à sensation - lorsque la question est posée de savoir pourquoi telle ou telle personne - un politicien non-réélu, une médaillée olympique - en a versé. Par ailleurs, les scientifiques s’intéressent à l’appareil lacrymal par rapport à son usage potentiel et à ses fonctions au niveau de l’organisme humain. Je pense du reste que cette discussion est largement close. Selon Antonio Damasio (2003), les glandes lacrymales sont un organe déjà entièrement développé à la naissance et qui permet à l’individu de verser des larmes comme bon lui semble. C’est en fait ce signal non-verbal qui doit intéresser, dans la mesure où il est soumis à une évolution en cours de vie et où, comme la capacité à marcher et à parler, il fait l’objet d’un apprentissage. Quels sont donc les contenus immatériels des pleurs, quel est le sens qui peut être dérivé de l’acte non-verbal qu’ils représentent ? Ils impliquent en fait les dimensions interprétation et communication et, à ce niveau, on ne peut nier que ce qu’ils expriment est relativement constant sur le plan de l’usage et des occasions. Nous en trouvons d’anciens témoignages, par exemple, dans l’Odyssée. Les Romains étaient eux aussi concernés par les larmes. Le Moyen Âge semble avoir été une époque où l’on pleurait particulièrement volontiers. Et Lessing, dans ses théories sur la tragédie, considère les pleurs comme un instrument d’élaboration d’une morale - ils ne seraient donc pas une fin en soi. Aujourd’hui, en une époque dominée par la pensée scientifique, le fait de pleurer est plutôt décrit en termes objectifs. C’est pourquoi - à mon avis - nous ne comprenons souvent plus du tout pourquoi quelqu’un pleure. Les sciences objectives ont fait des larmes un phénomène marginal et leur contenu n’est plus communicable, donc tabou. L’emprise de la science sur l’existence qui avait débuté avec Galilée provoque des questions sur la fonction évolutionnaire des larmes et sur les processus physiologiques d’homéostasie ; scientifiquement parlant, les pleurs servent à désintoxiquer le corps et ils sont régulés par les systèmes nerveux sympathique et parasympathique. Il est clair que ce modèle n’est pas faux, mais je tiens à souligner qu’il ne nous permet pas de saisir l’ensemble du phénomène. Cela ne nous sert pas à grand-chose de disposer des résultats d’une recherche empirique indiquant que les femmes pleurent plus que les hommes, ou que l’on pleure plus facilement devant sa famille qu’en public. La question du pourquoi demeure ouverte, du moins concernant les situations dont le contexte n’est pas la douleur et le deuil, soit celles où des aspects biographiques et narratifs sont associés.Considérés sous l’angle de l’organe lacrymal, les pleurs ont suffisamment été expliqués et je ne crois pas que nous pouvons faire de nouvelles découvertes sur leur fonction chez l’homme. C’est pourquoi nous devrions adopter l’approche prônée par Husserl et mettre de côté tout le savoir que nous avons à ce sujet pour, avec Richard Rorty, nous intéresser au langage de ceux qui pleurent. Comment des larmes peuvent-elles être traduites en langage, comment pouvons-nous élaborer un narratif qui, à partir d’un moment de ‘too much’, nous permette de mieux saisir les aspects tragiques d’une biographie individuelle ? Nous pourrions appliquer à cette démarche un regard guidé par la structure classique des tragédies car cela nous permettrait de saisir les cassures qui marquent nos schémas et projets existentiels.
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Publiée
2008-07-01
Comment citer
Kropiunigg, U. (2008). L’usage des glandes lacrymales à différentes époques. Science psychothérapeutique, (3), 112–120. Consulté à l’adresse https://psychotherapie-wissenschaft.info/article/view/83
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