Orientation active du transfert et du contre-transfert dans les thérapies psychanalytiques brèves
Résumé
Face au changement des conditions réelles de la vie, il faut reconnaître aux thérapies analytiques brèves une importance accrue. D’un côté, il y a un rapport avec le coût financier des thérapies. Mais, d’autre part, l’application avec succès des méthodes de cure brève (surtout de la psychothérapie stratégique et systémique) constitue un défi à la méthode analytique habituelle (= procédure standard).
La tradition des thérapies brèves débute avec des travaux non-systématiques de Freud, Ferenczi, Rank et Stekel. A partir de là, il y eut le développement des systématisations suivantes:
1) F. Alexander (“Groupe de Chigaco”) qui a élaboré le concept de l’orientation active ou de la “manipulation” du transfert. Dans la mesure où le thérapeute prend, de façon conséquente, une attitude empathique à l’égard de la triangulation œdipale, il offre au patient la possibilité de vivre des “vécus émotionnels rectificatifs”.
2) M. Balint (“Atelier de Londres“) qui reprend les expériences de son maître S. Ferenczi en développant la “technique focale”. L’accent y est mis sur l’analyse d’un conflit central, qui se cristallise déjà pendant les premières heures de thérapie. De façon active, on y vise des rapports entre les manifestations de ce conflit focalisé dans le passé de la biographie comme dans le présent actuel ainsi que dans l’immédiat du transfert. Parmi les représentants de ce modèle d’une thérapie brève on peut compter D. Malan et P. E. Sifneos.
3) L. Bellak, A. Goldberg et J. Mann s’efforcent de solidifier intentionnellement le sentiment de valeur de soi chez le patient au moment des blessures narcissiques. Dans ce contexte, on se réfère de manière pragmatique aux réflexions de H. Kohut relatives à la “vulnérabilité narcissique”. Le thérapeute est appelé à servir d’ “objet de soi” au patient en remplissant la fonction de réflexion et de protection. Le but consiste dans le rétablissement de “"l'équilibre narcissique” chez le patient. Ceci exige du thérapeute un engagement empathique très fort ainsi qu’une compréhension sympathisante des problèmes du patient. En même temps, le thérapeute doit veiller activement à une modification des contenus pathogènes du sur-moi.
Identification et communauté intropathique
A partir de ces ébauches analytiques de thérapies brèves, nous arrivons à un caractère essentiel de celles-ci: à l’‘‘identification concordante (empathique)” avec le patient (H. Racker). On trouve les données nécessaires pour une conceptualisation correspondante, notamment à partir du concept de l’ ‘‘identification projective”, dans les travaux des représentants d’une école nommée “anglaise”. En suivant M. Klein et W. E. Bion, on y analysa d’abord ce phénomène interactionnel qui est lié au fait (inconscient au début) de ’’décharger” ses affects sur quelqu’un ou de les “mettre en lui”. L’analyste y joue alors le rôle d’un “container” pour les parties affectives de soi que le patient a coupé de lui-même en fonction de ses fantasmes omnipotents pour échapper à leur effet toxique. Dans la mesure où l’analyste les admet consciemment, il leur enlève leur “poison”, de manière que le patient puisse en user librement pour une “réinternalisation”. C’est dire que le thérapeute y joue alors le rôle d’un modèle d’autoacceptation totale.
L’importance de ce concept pour le but de la thérapie analytique brève résulte du fait que l’on puisse analyser, dans ce contexte, l’interaction réelle par l’intégration de la “dynamique” affective. On peut trouver un fondement phénoménologique pour ce concept dans la “phénoménologie de la vie” élaborée par Michel Henry. Ce philosophe analyse l’essence vivante de la “communauté intropathique” comme la base même de l’expérience d’autrui. Cette intropathie signifie alors le lien affectif avec autrui avant toute perception extérieure, ce qui permet au thérapeute de vivre la réalité affective du patient comme un “pathos-avec”, c’est-à-dire comme une vie affective commune.
L'alliance conspiratrice
De l’intérieur de la communauté intropathique, le thérapeute peut retrouver l’‘‘irrationnel’’ du procès primaire chez le patient et l’accepter avec bienveillance. Dans certains domaines, il peut même l’initier et essayer de le fortifier. Ce procédé possède une certaine affinité avec les techniques “paradoxes” des méthodes non-analytiques. Ainsi est rendue possible la naissance d’“alliances irrationnelles” décrites pour la première fois par D. D. Jackson. En outre, ce procédé correspond de nouveau à une “manipulation du transfert”, puisqu’il s’y établit une “relation jumelle” (J. Grotstein, H. Rosenfeld) à partir de laquelle, en effet, le renvoi (mirroring) authentique de l’affectivité primaire devient possible.
Sur cette base, on peut initier, spécialement dans le cadre d’une thérapie brève, un processus de compréhension mutuelle qui débouche sur un “changement dialogal perspectives ”. A cette fin, il faut exercer du côté du thérapeute un contrôle permanent du contretransfert, afin de soutenir favorablement et continuellement ce processus de compréhension par identification affective. Dans le sens d’une “réduction phénoménologique”, il faut alors mettre entre parenthèses aussi bien la réalité mondaine ou les représentations normatives y correspondantes que les schémas aperceptifs personnels spécifiques au thérapeute lui-même, comme également ses tendances de “sécurisation” ou ses dispositions affectives. A cette condition, le thérapeute peut trouver un accès intropathique au système de référence affectif et “inconscient” chez le patient, afin d’intuitionner la signification et le sens qui habitent toutes les expressions de la vie chez ce dernier, même celles qui ont une apparence “pathologique”.
De façon “conspiratrice” (au sens d’un modèle), le thérapeute peut ensuite faire sienne “la chose du patient”, ce qui correspond à une orientation consciente de l’identification projective. Cependant, en notre cas, le thérapeute re-projette les qualités positives du projet primaire de son patient sur celui-ci, après avoir rejoint leur affectivité propre par l’intropathie. Lors de ce procédé, le thérapeute met systématiquement entre parenthèses les représentations normatives (le “il faut”) de l’idéal de moi, avec ses effets destructeurs, chez beaucoup de patients. Cela ne doit pas se réaliser par le seul sérieux. Ici, c’est plutôt l’humour, avec son clin d’œil ironique, qui s’offre comme méthode de choix pour relativiser les absolutisations rigides émanant de la sphère structurelle du sur-moi.
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