Subjectivité et langage (2e partie). Changements des paradigmes dans le discours psychothérapeutique

Auteurs

  • Hermann Spielhofer

Résumé

La seconde partie du présent travail s’intéresse à la manière dont la psychothérapie peut être fondée théoriquement, ainsi qu’aux possibilités et aux conditions d’un discours psychothérapeutique. Il faut donc que nous nous remettions en mémoire la manière dont la psychanalyse et les écoles qui l’ont suivie ont élaboré leurs concepts, défini leur objet et fixé leurs objectifs cognitifs. A l’origine, S. Freud avait tenté de traiter les troubles psychiques, dans la mesure du possible, en les expliquant comme résultant d’événements traumatiques; en ceci il demeurait dans le contexte de la perception prônée par les sciences naturelles et la médecine de l’époque et, au début, ses traitements se situaient au niveau somatique. Ce ne fut que progressivement qu’il se vit contraint d’abandonner le rôle du médecin et de laisser ses patients s’exprimer, leur permettant de raconter l’histoire de leur souffrance. Les troubles furent alors de plus en plus souvent perçus comme le produit d’un conflit entre la nature (pulsionnelle) humaine et les exigences de la société. Sans le vouloir et pour ainsi dire en passant, Freud a ainsi élaboré une nouvelle méthode d’acquisition de la connaissance; une herméneutique fondée sur l’expérience. Ce faisant, comme l’a souligné L. Binswanger, il a donc conduit sur la voie de l’empirisme une authentique compréhension de l’humain.

Dans la mesure où Freud insistait pour souligner le caractère de créature de l’homme, son déterminisme (pulsionnel et) biologique, il put concevoir le développement de la subjectivité et les expériences individuelles de la souffrance en tant qu’éléments intermédiaires entre la nature humaine et les exigences de la praxis sociale. On considère donc comme le “tournant coper-nicien” de la psychanalyse le moment où l’on a attribué un sens à l’inconscient, faisant ainsi qu’elle se distingue des psychologies idéalistes du conscient ou des conceptions fonctionnalistes du comportement qui ont été élaborées surtout aux Etats-Unis. Toutefois, la conception de la science qui régnait au 19e siècle et les concepts mécanistes de la métapsychologie freudienne conduisirent à une réification de “l’appareil psychique”; ils firent aussi que l’on négligea d’examiner les processus d’échange prenant place au moment du développement des structures psychiques et des représentations du soi et de l’objet. Ce ne fut qu’à partir du moment où des concepts furent élaborés dans d’autres domaines - en théorie de l’interaction symbolique (G. R. Mead, ,J. Piaget), par exemple, ou en linguistique (L. Wittgenstein, F. de Saussure) - qu’il devint possible de saisir les processus au cours desquels certaines modalités culturelles d’expérience et d’action sont acquises dans le cadre de l’interaction avec les parents (de substitution). Ces concepts ont été intégrés à la pensée psychanalytique au niveau, en particulier, des théories développées au sujet de la relation d’objet. Ici, au contraire de Freud, on ne considère plus la relation aux objets comme un simple “investissement” d’énergie libidinale ou agressive, mais comme un schéma d’interaction internalisé sur la base d’expériences faites dans le cadre de processus complexes d’échange et des affects liés à ces expériences. Ces “relations d’objet ” jouent un rôle décisif au moment de construire des représentations du monde extérieur -les représentations de l’objet -, comme au niveau de l’expérience du soi.

Ce fut surtout A. Lorenzer qui, avec sa notion de “formes d’interaction”, a conceptualisé l’intégration des besoins du corps à la praxis sociale dans le cadre de processus d’échange et en particulier dans celui de la symbiose mère-enfant. Dans ces interactions, des besoins polymorphes sont formés et leur contenu défini,
bien avant toute capacité au conscient, ceci en fonction de la manière dont ils sont satisfaits ou rejetés et du modèle social de la praxis maternelle. Les désirs pulsionnels sont donc le produit de l’affrontement de la nature humaine à des processus sociaux d’éducation, donc de la socialisation du sujet et non de données ontologiques. Ces figures de praxis sont en partie introduites dans le langage de tous les jours durant la socialisation linguistique; au sens des “jeux de langage” de Wittgenstein, elles sont traduites en formes symboliques d’interaction et peuvent donc devenir conscientes et réfléchies. Ceci implique que c’est seule ment par le biais du langage que le conscient se forme, que le vécu est conceptualisé et que soi et objet se détachent. Une autre partie du vécu demeure formes inconscientes d’interaction apprises durant la socialisation; celles-ci restent dans l’inconscient, hors du champ du langage, mais continuent toutefois à influencer le comportement “illicitement”, au même titre que les formes d’interaction désymbolisées qui ont été exclues du langage en cours de développement.

En conséquence, J. Lacan a décrit la signification du langage par rapport à la définition des besoins humains et à leur intégration dans l’ordre symbolique -la sémiotisation du sujet. Revenant aux premières idées de Freud, il a souligné que l’inconscient constitue l’être même de l’homme alors que le “moi" est aliéné, car il est support du conscient et lieu de la raison en ce qui concerne le “mirroring” par les objets du soi (Ko-hut) provenant de l’extérieur et permettant une identification narcissique avec l’image de soi. Chez Lacan également, les besoins sont introduits dans le langage par l’Autre, la mère par exemple, et sont subordonnés au signifiant. L’enfant est impotent et dépend du soutien d’autrui, il doit articuler ses besoins pour que son environnement réagisse et doit donc formuler son désir dans le champ de la parole. La dépendance dans laquelle il se trouve par rapport à autrui fait qu’il exige une présence continue et un amour sans limite, conditions requises pour que ses besoins soient satisfaits. Pourtant l’Autre est toujours défini par le champ symbolique et non par celui de la biologie. L’enfant doit percevoir la différence de l’Autre, le champ symbolique, pour y introduire son besoin; ceci implique qu’il est contraint d’articuler pour avoir accès au champ de la parole. Ce n’est que par la différence entre besoin et refus, entre aspiration à l’amour et absence que le désir se constitue, en tant que demande représentée par un symbole.

Chez Lacan le langage est, comme l’inconscient, défini par les fonctions métaphorique et métonymique qui permettent au sujet véritable de prendre la parole par l’intermédiaire de l’éblouissement narcissique et imaginaire introduit par un conscient aliéné par l’Autre, ceci par le biais des omissions, des actes man qués et des symptômes, ainsi que des rêves et des plaisanteries. Seule l’attention fluctuante avec laquelle le thérapeute suit les entretiens peut permettre de saisir cette communication indirecte et d’introduire une universalité de la parole.

Biographie de l'auteur

Hermann Spielhofer

Hermann Spielhofer, Dr. phil., Jahrgang 1946, klinischer Psychologe und Psychotherapeut; seit 1978 in verschiedenen Einrichtungen der Psychiatrie tätig sowie in freier Praxis. Arbeitsschwerpunkte: Therapeutische Konzepte in extramuralen psychiatrischen Einrichtungen, frühe narzißtische Störungen, theoretische und wissenschaftstheoretische Fragestellungen in der Psychotherapie.

Korrespondenz: Dr. Hermann Spielhofer, Josefstädter Straße 35, A-1080 Wien

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Publiée

1996-01-01

Comment citer

Spielhofer, H. (1996). Subjectivité et langage (2e partie). Changements des paradigmes dans le discours psychothérapeutique. Science psychothérapeutique, 4(1), 9–32. Consulté à l’adresse https://psychotherapie-wissenschaft.info/article/view/657