Recherche de traces à Budapest. Sandor Ferenczi, l'aieul de la théorie de la relation à l'objet

Auteurs

  • Renate Langer

Résumé

D’une manière qui lui fut toute personnelle, Sandor Ferenczi (1873-1933) a contribué à enrichir et à développer plus avant la psychanalyse. Il devint enfant \ terrible malgré lui, ce qui le fit entrer en conflit avec i Freud et les disciplines plutôt orthodoxes de ce dernier. Ceci fit que les idées innovatrices et les observations originales qu’il avait accumulées, sans toutefois les systématiser, dans son travail thérapeutique de tous les jours demeurèrent longtemps oubliées - et l’on a même été jusqu’à dire qu’elles étaient les créations d’un esprit malade. Ses deux principaux élèves, Michael Balint et Melanie Klein, eurent une influence beaucoup plus grande sur le débat psychanalytique. On oublie pourtant souvent qu’ils doivent beaucoup à leur maître, même s’ils ont développé sélectivement les idées de ce dernier.

Bien qu’il ne l’ait fait que de manière peu systématique, le dissident hongrois avait pressenti de nombreuses découvertes que l’on attribua plus tard à d’autres auteurs. Des ouvrages relativement récents et qui, souvent, n’ont pas été traduits en allemand, permettent d’analyser le contexte dans lequel son travail fut transmis et reçu. Il s’avère alors que l’héritage spirituel de Ferenczi a influencé jusqu’aux formes tardives de la théorie de la relation à l’objet. Si l’on compare, par exemple, certains textes de Fairbairn - qui formulent la théorie de la relation à l’objet en tant que position indépendante, clairement définie et cohérente - avec le “Klinisches Tagebuch’’ (‘Journal clinique’) de Ferenczi, publié il y a quelques années seulement, on découvre un parallélisme étonnant. Le ‘missing link’ dans une transmission d’idées qui, pendant de longues périodes, s’est déroulée de manière souterraine, est le psychiatre écossais, Ian Suttie, que l’on a eu le tort de largement oublier.

Des correspondances entre Ferenczi et les théoriciens de la relation à l’objet se trouvent au niveau de la modification de la technique psychanalytique classique; ces changements permettent d’adapter cette dernière au traitement de patients souffrant d’une régression profonde. L’interprétation ne joue plus un rôle d’avant-plan mais - comme dans l’analyse des enfants - la relation émotionnelle entre analyste et patient. C’est pourquoi Ferenczi qui, de son vivant, était considéré comme un spécialiste des “cas sans espoir”, peut aussi être vu comme le créateur original de nombreuses méthodes modernes de thérapie en sus de la psychanalyse. Il reste qu’il croyait lui-même que l’interprétation est nécessaire et qu’il n’a jamais quitté le terrain de la psychanalyse. Il s’intéressa particulièrement aux phénomènes de contre-transfert, cet intérêt étant encore renforcé par le fait qu’il fut peu satisfait de l’analyse didactique qu’il fit auprès de Freud. Il se rendit très vite compte que trop souvent, la technique de l’interprétation est utilisée comme défense: dans son travail thérapeutique, l’analyste peut abuser de la théorie psychanalytique en en faisant un rempart intellectuel derrière lequel il se protège contre un processus émotionnel qu’il perçoit comme menaçant. Ferenczi en tire les conséquences et critique - comme le fera plus tard la théorie de la relation à l’objet - le setting psychanalytique traditionnel, à cause des structures pouvoir-impuissance qu’il implique. Dans son propre travail il cherchait à se rapprocher autant que possible de l’utopie d’un discours n’impliquant aucune domination, en pratiquant entre autres à l’occasion “l’analyse mutuelle”.

Ferenczi comme les théoriciens de la relation à l’objet considèrent la pratique clinique comme la principale source de connaissances. Les échanges vivants entre transfert et contre-transfert ne sont donc pas un facteur intervenant négativement, mais bien la base de l’élaboration d’une théorie. Alors que Freud demeure très fidèle à la pensée typique des sciences naturelles au 19e siècle, Ferenczi considère implicitement la psychologie comme une science sociale. En son centre, il place les rapports entre humains. Pour lui, comme pour ses disciples directs et indirects, de par sa nature même la libido est fondamentalement orientée vers l’objet; de plus, la satisfaction de pulsions est inséparable de tout échange vivant entre individus. Plus tard, Ferenczi lui-même commence à critiquer le concept du narcissisme primaire et la théorie de la pulsion de mort; mais cette critique se résume à quelques remarques isolées. Il soumet également à une révision le modèle de développement conçu par la psychanalyse et fondé sur les zones érogènes. Le travail de pionnier accompli par Ferenczi à ce niveau a été poursuivi, entre autres, par Herrmann, Balint, Winnicott et Fairbairn.

Plus l’on perçoit les relations de la petite enfance comme complexes, plus il apparaît que des troubles peuvent facilement intervenir. C’est pourquoi Ferenczi souligne l’importance des troubles précoces et refuse d’accorder au complexe d’Oedipe une place centrale dans le développement de l’enfant. Il étudie des mécanismes archaïques de défense et fournit des observations ayant des conséquences importantes pour la théorie psychanalytique, en particulier sur les mécanismes de dissociation. A ce niveau il reprend des idées de Freud en ses débuts, comme il le fera plus tard pour la théorie de la relation à l’objet. Mais il insiste sur la réalité du traumatisme, qu’il considère toutefois moins comme un événement isolé que comme une cumulation, ou si l’on veut comme un style pathogène de relation entre l’enfant et ses parents (de substitution). Dans ce sens, Ferenczi fut l’un des pionniers de la recherche concernant les graves pathologies du moi et les troubles de la personnalité. Il reste finalement que, lorsqu’on analyse la littérature importante publiée en allemand et en anglais sur l’évolution récente de la psychanalyse et en particulier de la théorie de la relation à l’objet, on se rend compte qu’aujourd’hui encore le rôle important joué par Ferenczi n’a pas été entièrement reconnu et que des descriptions abrégées et déformées de son travail de pionnier continuent à circuler.

Biographie de l'auteur

Renate Langer

Dr. phil. Renate Langer, Lektorin am Institut für Germanistik der Universität Salzburg, gleichzeitiger Besuch des Psychotherapeutischen Propädeutikums. Interessensschwerpunkte: Neuere deutsche Literatur und Psychoanalyse sowie die Überschneidungen und Querverbindungen zwischen diesen beiden Bereichen.

Korrespondenz: Dr. phil. Renate Langer, Itzlinger Hauptstraße 51, A-5020 Salzburg

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Publiée

1996-04-01

Comment citer

Langer, R. (1996). Recherche de traces à Budapest. Sandor Ferenczi, l’aieul de la théorie de la relation à l’objet. Science psychothérapeutique, 4(2), 61–72. Consulté à l’adresse https://psychotherapie-wissenschaft.info/article/view/650