Les rapports entre recherche et pratique en psychothérapie

Auteurs

  • Jürgen Kriz

Résumé

L’article vise à soumettre au débat quelques aspects critiques d’une recherche en psychothérapie qui, parce qu’elle s’efforce désespérément d’obtenir le statut de science, demeure fortement influencée par une vision du monde datant du 19e siècle au lieu de tenir compte de l’évolution qui, entre temps, a marqué les sciences naturelles.

Nous utilisons la métaphore du “paysage cartographique” pour discuter des rapports entre théorie/ recherche et pratique de la psychothérapie. Nous considérons toute prétention à une théorie “vraie” ou “exacte” comme de la science-fiction - comme une fiction scientifique que l’on préfère conserver dans le climat actuel de “guerre de religion” afin d’être en mesure de présenter un credo donné comme “agréé par la profession”. Ce qui conduit à la question suivante: les cartes cognitives actuellement utilisées par la recherche en psychothérapie peuvent-elles servir de guides aux thérapeutes ?

L’argument suivant est présenté: les points de vue guidant le travail (professionnel) des chercheurs et des psychothérapeutes sont diamétralement opposés. La
recherche scientifique vise à mettre en évidence des régularités, des aspects prévisibles et les points que différents phénomènes ont en commun; par contre, 1e psychothérapeute se consacre à ce qui est unique, à des aspects de la biographie individuelle. Ce qui ne veut pas forcément dire que ces différences de perspective impliquent que soit 1a science, soit la pratique gère mieux le monde. Le prix Nobel de physique Werner Heisenberg avait déjà critiqué en 1955 la notion que la science est caractérisée par une capacité à décrire 1e monde de manière aussi objective que possible (au contraire du thérapeute, pour lequel les relations et les aspects personnels sont importants): “Lorsque nous parlons de l’image de la nature élaborée par les sciences exactes de notre époque, nous ne parlons pas d’une image de la nature mais bien d’une image de notre relation à la nature. ” Ce qui signifie que les sciences naturelles modernes cherchent à corriger les erreurs commises par la science occidentale jusqu’à la fin du 19e siècle et plus précisément les vaines tentatives faites pour isoler la description de l’observé de son observateur.

Nous posons 1a question de savoir jusqu’à quelque point la recherche en psychothérapie est encore prisonnière de la pensée du 19e siècle. En effet, dans le contexte des démarches entreprises pour être mieux acceptée par le législateur et les caisses maladie, la “recherche en psychothérapie” se réduit à quelques questions qui d’ailleurs semblent bien insignifiantes par rapport aux progrès que peut accomplir la psychothérapie: La thérapie de type X est-elle efficace ? La thérapie de type X est-elle plus efficace/plus rapide que la thérapie de type Y ? Comment peut-on calculer des variables liées aux effets de la thérapie (ainsi que de nombreuses autres questions statistiques de détail) ?

On oublie trop facilement que pour traiter ces questions il faut d’abord avoir défini des objectifs à la thérapie -objectifs qui impliquent toujours des valeurs et on sait que ces dernières ne peuvent être l’objet d’une méthode scientifique mais sont toujours le produit d’un consensus. L’étude de ces questions se fait de plus aux dépens d’autres, dont on tient trop peu compte: Quelles notions de la maladie/santé ou du développement guident-elles les patients et les thérapeutes ? Quels sont les objectifs des patients/thérapeutes, comment envisagent-ils un changement ayant valeur thérapeutique ? Quels sont les modèles/théories utiles/ contraignants ? De quoi patients et thérapeutes ont-ils besoin pour être en mesure d’établir mieux et plus librement des relations utiles ?

Tout thérapeute doit tenir compte de ce qui caractérise le “travail sur le vivant” - des indices qui, entre autres, ont été définis il y a soixante- dix ans par la gestaltthéorie allemande et qui jouent à nouveau un rôle important dans la théorie des systèmes appliquée par la science moderne: importance de la forme, élaboration sur la base de forces intérieures, importance des temps de travail, acceptation de détours et réciprocité du déroulement.

Il faut se demander dans le sens d’Heisenberg: Quelle image de sa relation à son objet la recherche en psychothérapie fournit-elle si elle ne tient pas compte des indices caractérisant le “travail sur le vivant” ? Cette question doit être posée de manière d’autant plus radicale que la recherche interdisciplinaire sur les systèmes pratiquée par les sciences naturelles modernes montre qu’il faut souvent tenir compte de ces aspects même lorsque l’on étudie des systèmes physiques ou chimiques “inertes”. est donc parfaitement absurde que, pendant que les sciences naturelles entreprennent de grands projets de recherche dans le domaine de l’auto-organisation et du non-déterminisme et démontrent que - selon l’état - des influences importantes peuvent ne pratiquement pas avoir d’effets alors que des influences moindres auront des effets considérables, une bonne part de la recherche en psychothérapie continue à tenter d’isoler des facteurs effets et à contrôler le processus en termes de déterminisme - ou du moins à le décrire en tant que tel.

Lorsqu’en tant que cliniciens, nous nous demandons quels sont les rapports entre la recherche en psychothérapie et son objet, nous ne pouvons parvenir à des conclusions très flatteuses. En effet, ce n’est pas du tout par hasard que nous appliquons à l’étude de nos patients (dans un but de contrôle et de défense contre la peur) des structures identiques à celles considérées comme les “vertus” d’une méthodologie correcte par la science occidentale classique, à savoir: exclure autant que possible l’imprévisible et l’incontrôlable, réduire les variables d’influence, prévoir dans la mesure du possible le résultat des actions, contrôler autant que possible ce qui peut se passer, cacher nos propres motifs et émotions sous une procédure “correcte”, c’est-à-dire sous une méthodologie, et limiter les expériences au domaine qui a été défini d’avance par des questions et procédures dites “admissibles”.

La recherche systémique pratiquée par les sciences naturelles modernes est caractérisée par d'autres vertus qui, de plus, sont beaucoup plus proches du “travail sur le vivant”. C’est pourquoi nous considérons qu’il faudrait pratiquer une recherche en psychothérapie qui éviterait de se dissimuler craintivement derrière une apparente objectivité (“fiction scientifique”) et tiendrait compte - autant que les physiciens et chimistes appliquant la théorie des systèmes - des principes gérant le “travail sur le vivant”. Il faudrait de plus que l’observateur cesse de s’exclure lui-même du processus d’acquisition de connaissance. Ce type de recherche en psychothérapie correspondrait mieux aux besoins de l’être humain (patient et thérapeute).

Biographie de l'auteur

Jürgen Kriz

Jürgen Kriz, geb. 1944, Dr. phil., Professor an der Universität Osnabrück im FB Psychologie, Fach: Klinische Psychologie, und im FB Sozialwissenschaften, Fach: Empirische Sozialforschung, Statistik u. Wissenschaftstheorie. Psychotherapeut (in der GwG) und Ausbilder für klientzentrierte Psychotherapie. Korrespondierendes Mitglied der Gesellschaft für Logotherapie und Existenzanalyse. Mitherausgeber von „Gestalt-Theory“ und „System Familie“ sowie der Buchreihen „ Forschung Psychologie“ und „ Familientherapie “, wissenschaftlicher Beirat von „Psychotherapeut“ und „Integrative Therapie“. Arbeitsschwerpunkte: Im Rahmen seiner „Personzentrierten Systemtheorie“ Arbeit an der Verbindung von naturwissenschaftlich fundierter Systemtheorie (Synergetik) mit Psychotherapie und Bewußtseinsphänomenen; ferner: Fragen der Forschungsmethodik. Wichtige Buchveröffentlichungen: Statistik in den Sozialwissenschaften (1973) Datenverarbeitung für Sozialwissenschaftler (1975), Grundlagen und Modelle der Inhaltsanalyse (1978, mit Lisch), Methodenkritik empirischer Sozialforschung (1981), Grundkonzepte der Psychotherapie (1985), Wissenschafts- und Erkenntnistheorie (1987, mit Lück und Heidbrink), Facts and Artefacts in Social Science. An epistemological and methodological analysis of social science research techniqes (1988), Methodenlexikon; für Mediziner, Psychologen, Soziologen (1988, mit Lisch), Chaos und Struktur (1992), Familien-therapeutlnnen im Gespräch (1993 mit Hosemann und Schlippe), Handwörterbuch der Politikwissenschaften (1994, mit Nohlen und Schultze).

Korrespondenz: Prof. Dr. Jürgen Kriz, Universität Osnabrück, FB8 Psychologie, D-49069 Osnabrück 

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Publiée

1996-07-01

Comment citer

Kriz, J. (1996). Les rapports entre recherche et pratique en psychothérapie. Science psychothérapeutique, 4(3), 163–168. Consulté à l’adresse https://psychotherapie-wissenschaft.info/article/view/647