Les attitudes des psychothérapeutes envers la coopération entre professionnels. Résultats d'une étude exploratoire

Auteurs

  • Egbert Steiner
  • Ludwig Reiter

Résumé

La psychothérapie est en passe de devenir profession indépendante au sein du système de santé: des lois ont été approuvées en Autriche en 1990 et sont prêt de l’être dans d’autres pays. Ceci fait que les praticiens de ce métier appartiennent désormais à un domaine professionnel dans lequel se manifeste constamment un besoin d’améliorer la coordination des prestations et la coopération entre leurs fournisseurs.

La réforme de la psychiatrie a permis de satisfaire - au moins au niveau régional - l’exigence d’une offre ambulatoire tenant compte de toute la complexité des troubles psycho-sociaux et du fait qu’ils sont indissociables de différents domaines du quotidien des patients; ce but est atteint grâce à une offre de traitements intégrés et multidisciplinaires. Hans Strotzka a proposé que l’on utilise ce même modèle de traitement au niveau de l’offre en psychothérapie: dans le cas idéal, cette dernière ne doit être pratiquée que dans le contexte de groupes interdisciplinaires appliquant une pluralité de méthodes; en effet, ce n’est qu’en procédant ainsi qu’on peut travailler dans des conditions adaptées aux patients et superviser le travail. Le législateur a satisfait jusque dans certaines limites à l’exigence d’une collaboration entre professionnels. Compte tenu des exigences venues soit du sein de la profession, soit de l’extérieur (à savoir surtout des milieux politiques) et demandant que les spécialistes coopèrent en fonction de chaque cas, nous avons voulu savoir quels sont les facteurs que les psychothérapeutes eux-mêmes considèrent comme importants par rapport à cette démarche. L’étude devait être menée en deux étapes: (1) examen préliminaire de l’objet et (2) observation de la collaboration pratique. Notre objectif scientifique était pragmatique: nous voulions savoir quant la collaboration professionnelle est indiquée et quand elle est plus efficace que des méthodes moins exigeantes en rapport avec la coordination des prestations (ex.: adresser le patient à d’autres). Dans la partie de l’étude qui est actuellement terminée (attitudes des psychothérapeutes envers la coopération entre professionnels) nous nous sommes concentrés sur un type de collaboration volontaire pratiquée hors des équipes et institutions existantes; il s’agit là d’un aspect qui a été peu étudié.

Des démarches de coopération se trouvent dans tous les domaines du quotidien. Nous coopérons, par exemple, au niveau de la coordination de la vie familiale et du ménage; la forme dominante dans ces domaines est une simple répartition des tâches en fonction du sexe et de l’âge des participants et elle est organisée par le biais d’une démarche ouverte et continue de communication. D’autres types de coopération se trouvent dans les jardins d’enfants, les écoles, etc., bref, collaborer est un élément central du quotidien, qui n’est pas toujours enregistré consciemment et que l’on ne thématise qu’à partir du moment où il ne fonctionne pas. Se référant aux théories du jeu et de l’échange, les spécialistes de la psychologie sociale ont largement étudié la coopération en tant que forme d’interaction humaine. Une des questions centrales de leurs travaux fut: quand faut-il qu’en cours d’interaction une personne coopère avec d’autres, et quand est-il préférable qu’elle se comporte de manière égocentrique ? Un modèle du type de situation correspondant à ce problème a été utilisé dans de nombreuses expériences: celui du “dilemme itératif du prisonnier”. Dans ce type de relations sociales une collaboration est élaborée sur des bases rationnelles mais aussi en fonction d’un aspect émotionnel. Les travaux de Winfried Bion présentent une description détaillée de ces phénomènes. L’auteur entend par coopération la formation d’équipes dont l’efficacité dépend de facteurs relevant de la dynamique des groupes. Selon sa thèse centrale, tout groupe social va se subdiviser toujours en deux - un “groupe actif” et un “groupe affectif” - et être influencé par cette division. Ces mêmes phénomènes de dynamique des groupes sont présents lorsque les participants ne se rencontrent pas concrètement; ils se trouvent donc même dans des “groupes virtuels”.

En fonction des objectifs que nous avions fixés à notre étude, nous avons élaboré une stratégie de recherche en deux étapes. Dans le but de cerner les manières subjectives dont la coopération est considérée, nous avons d’abord mené des interviews semi-structurées avec sept thérapeutes disposant d’une longue pratique professionnelle, considérés comme “coopératifs" et exerçant leur métier dans différents contextes. Les renseignements acquis par le biais de ces interviews, complétés d’informations tirées de la littérature, ont servi à construire un questionnaire comportant 78 items en rapport avec l’attitude des sujets. En tout 79 psychothérapeutes ont rempli ce questionnaire.

Les résultats de l’étude montrent que les psychothérapeutes manifestent une attitude positive envers une coopération volontaire pratiquée en fonction de chaque cas et la considèrent comme avantageuse. Ceci fait qu’il y a de bonnes chances pour qu’ils répondent de manière “ouverte” à une offre dans ce sens et qu’un processus de coopération soit mis en marche. Si l’on passe du niveau d’une adhésion globale — que nous avons appelée “représentation idéologique” du concept de coopération - à celui d’attitudes plus étroitement liées à des comportements concrets, il devient utile de différencier plus avant. Une proportion considérable des réponses présente un large degré de variance, ce qui implique qu’il faut accepter que le consensus entre psychothérapeutes n’est pas très marqué. Un grand nombre de personnes interrogées considèrent qu’une coopération entre professionnels permet d’éviter des dommages éventuels. Ceci s’applique autant au préjudice que pourraient souffrir les clients en conséquence de stratégies thérapeutiques qui se bloqueraient mutuellement qu’aux problèmes posés au travail thérapeutique par des clients qui cherchent à mettre en conflit leurs différents thérapeutes. Seule un peu moins de la moitié des personnes interrogées ont une attitude positive envers l’application en psychothérapie du “modèle du case management” pratiqué avec succès dans d’autres domaines du système de santé pour organiser les démarches de coopération. Les attitudes varient également par rapport à une éventuelle collaboration entre spécialistes, telle qu’elle est pratiquée de manière routinière en médecine. Une majorité considère que les coûts indirects occasionnés par le fait que d’autres thérapeutes sont difficilement atteignables ne nuit pas forcément à la collaboration. Pourtant les coûts directs résultant du fait que le travail de coopération n’est pas rémunéré sont perçus par la moitié des thérapeutes interrogés comme un obstacle à la démarche. Alors que nous avions formulé l’hypothèse contraire, une grande majorité ne pense pas que la réussite de cette dernière dépende du sexe des spécialistes concernés. Selon une première classification des psychothérapeutes en fonction de leur attitude envers la collaboration entre professionnels, ceux-ci se répartissent en trois types présumés: (1) le thérapeute est ouvert à une coopération à différents niveaux; (2) le thérapeute a une attitude généralement positive, mais ne collabore que de manière très sélective; (3) le thérapeute ne s’intéresse pas à une coopération ou même rejette cette possibilité. A notre avis les résultats de l’étude permettent de conclure que lorsqu’il s’agit de coopérer, les psychothérapeutes ne disposent pas de routines établies et élaborent leurs propres stratégies en cours de carrière. Cet aspect s’est manifesté clairement dans les interviews menées dès le début du projet; il se confirme en outre par le fait qu’on n’enregistre pas de différences statistiques entre les trois indices lorsqu’on subdivise l’échantillon en fonction de la profession d’origine des thérapeutes, de leur situation professionnelle, de leur orientation thérapeutique et de la durée de leur activité professionnelle. Nous n’acceptons toutefois pas l’idée qu’en ce qui concerne la collaboration entre psychothérapeutes, des solutions simples existent, qui seraient applicables à tous les cas. L’un des objectifs de notre étude était de cerner une “atmosphère”, au-delà de la manière subjective dont l’individu perçoit la situation. Il s’agira de compléter les résultats présentés ici - et concernant des attitudes -  d’une étude de la pratique “vécue” de la collaboration entre professionnels. Ceci devrait permettre de répondre aux questions suivantes: Dans quelles conditions et avec quelle fréquence une collaboration est-elle vraiment pratiquée ? Quelles sont les alternatives à cette forme très complexe d’interaction sociale ? Quels sont les rapports entre “attitude envers la coopération” et “comportement coopératif” ? Ce n’est qu’une fois qu’une étude auprès d’un échantillon représentatif de psychothérapeutes aura été menée et aura fourni des réponses à ces questions qu’on pourra, par exemple, exiger des responsables qu’ils intègrent à la formation (continue) un apprentissage de la coopération en tant que “skill” professionnel.

Bibliographies de l'auteur

Egbert Steiner

Steiner Egbert, Wien. Wissenschaftlicher Mitarbeiter des Instituts für Ehe- und Familientherapie, Wien

Ludwig Reiter

Reiter Ludwig, Univ.-Doz., Dr. med., Wien. Facharzt für Psychiatrie und Neurologie, systemischer Psychotherapeut, Assistenzprofessor an der Universitätsklinik für Tiefenpsychologie und Psychotherapie Wien, affiliertes Mitglied der Wiener Psychoanalytischen Vereinigung, Gründer der Österreichischen Arbeitsgemeinschaft für systemische Therapie und systemische Studien ((DAS). Arbeitsschwerpunkt: systemische Therapie, Psychotherapieforschung.

Korrespondenz: Ass.-Prof. Univ.-Doz. Dr. Ludwig Reiter, Universitätsklinik für Tiefenpsychologie und Psychotherapie, Währinger Gürtel 18-20, A-1090 Wien

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Publiée

1997-01-01

Comment citer

Steiner, E., & Reiter, L. (1997). Les attitudes des psychothérapeutes envers la coopération entre professionnels. Résultats d’une étude exploratoire. Science psychothérapeutique, 5(1), 38–52. Consulté à l’adresse https://psychotherapie-wissenschaft.info/article/view/626