Quelques réflexions sur la démarche et l'expérience vécues en psychothérapie analytique a médiation corporelle

Auteurs

  • Peter Geißler

Résumé

De nouvelles écoles de thérapie ont été I créées, en partie pour compenser l’évolution trop unilatérale de la méthode psychanalytique; en effet cette dernière se concentre sur des aspects verbaux et rationnels - se référant à la méthode standard fondée sur la théorie de la frustration - et néglige pratiquement de tenir concrètement compte du corps. Les nouvelles méthodes, avec parmi elles de nombreuses thérapies corporelles, considèrent que d’autres facteurs que la raison contribuent à la guérison: joie, par exemple, expression, encouragement, enthousiasme, mouvement etc. La plupart d’entre elles ont ceci de commun qu’elles encouragent le client à faire l’expérience d’un vécu, lui offrant des settings variables dans ce but. Il reste pourtant qu’il est typique de leurs interventions que celles-ci sont mal intégrées, du point de vue
théorique, dans le dynamisme du transfert - contre-transfert caractérisant la relation thérapeutique.

Quelles sont donc la spécificité et l’originalité de la psychothérapie analytique à médiation corporelle? Partant d’une approche psychanalytique du processus thérapeutique, elle intègre à la relation thérapeutique quelques interventions spécifiques, utilisant le corps, tout en tenant compte du dynamisme du transfert. Il est possible d’utiliser à certains moments des interventions à médiation corporelle, à condition qu’elles aient pour visée thérapeutique d’établir une relation qui, plus tard, permettra à un processus analytique centré sur le langage et l’imagination de se développer. Différents moyens peuvent être utilisés comme supports techniques et “espaces transitoires”, à condition toutefois qu’ils le soient dans le contexte visée analytique. A mon avis, l’objectif de l’analyse est de décoder et de rendre conscientes les motivations inconscientes du client - ces dernières se manifestant en tant que mises en scène spécifiques au sein de la relation de transfert.

Que signifie “travail sur le corps"?

“Travail sur le corps” se réfère d’abord à certaines techniques actives utilisées par le thérapeute, à différents niveaux du corps du client. La règle d’abstinence est-elle respectée dès lors que ces techniques actives entrent en jeu! En technique psychanalytique standard cette règle inclut une interdiction d’agir. La psychothérapie analytique à médiation corporelle considère que cette interdiction ne doit pas forcément être associée à la notion d’abstinence et définit cette dernière en tant que décision du thérapeute de renoncer consciemment à la satisfaction de ses propres besoins et de mettre le travail thérapeutique entièrement au service du client.

Dans ce sens, il est légitime de considérer que les actes thérapeutiques peuvent être actions concrètes aussi bien qu’interventions symboliques ou qu’interprétations. Pourtant, même si l’objectif de l’analyse demeure le décodage des motivations inconscientes du client, tout acte concret du thérapeute risque de devenir un acting-out inconscient de certains aspects du contre-transfert. Il est donc logique que l’on exige du thérapeute utilisant la médiation corporelle qu’il examine les impulsions qui l’incitent à agir pour définir si elles correspondent à des désirs inadéquats dans le sens d’un acting-out d’éléments du contre-transfert. S’il est exact que cette différenciation ne peut pas toujours être effectuée de manière précise, il reste que les positions traumatiques infantiles du client tendent à remonter à la surface, même dans le cadre d’un setting caractérisé par le fait que le thérapeute passe parfois à l’action; il est alors possible de les rendre conscientes.

Les techniques d’intervention utilisées par la psychothérapie analytique à médiation corporelle peuvent être classées de la manière suivante:
a)    techniques permettant de prendre conscience du corps
b)    focaliser et/ou renforcer des attitudes et/ou des mouvements
c)    exercices utilisant le corps, définition de tâches
d)    interaction corporelle

Théories servant de fondement aux interventions corporelles
a)    activation du monde intérieur
L’expérience vécue par le client d’un contact et du soutien offerts par le thérapeute peut lui permettre de “se laisser aller” plus facilement, de s’ouvrir à des affects, des souvenirs et des fantasmes. Elle peut fournir des sensations nouvelles qui seront internalisées; sur cette base, certains aspects du soi et de
l’objet peuvent se développer, qui contribuent à un enrichissement du monde intérieur du client et lui permettent de dialoguer avec ce dernier.

b)    activation et intensification du transfert
Au moment où un mouvement est initié dans certaines parties ou dans l’ensemble du corps du client, le transfert est activé sous forme de sentiments, d’idées, de fantaisies et de comportements reliés à certaines personnes appartenant à son passé. Le processus de transfert est indispensable à la thérapie et devient, à un moment ou à une autre, résistance - que le thérapeute doit identifier et interpréter, afin qu’elle puisse être résolue.

c)    régression et catharsis
Certains exercices corporels - respiration intensifiée, positions stressantes, renforcement du timbre vocal, etc. - provoquent rapidement et aisément des transports d’émotions; ils contribuent en effet à éliminer les résistances du client. Le corps est utilisé pour faire diminuer les résistances psychiques - notons que les résistances sont toujours psychiques - envers les affects et la régression. Il s’avère utile d’encourager la régression chez le client puisque celle-ci apporte une forte intensification du vécu et donc une accélération du développement du transfert Cette démarche stimule en outre l’établissement d’une collaboration stable.
Les mécanismes par lesquels ce genre d’intervention produit ses effets sont les suivants: vibrations musculaires dans l’organisme, provoquant une peur plus ou moins intense et la désorganisation émotionnelle du client, d’une part, les suggestions du thérapeute d’autre part, qui encouragent la régression.

d)    expérience du corps
Alors qu’au niveau théorique Freud parle de refoulement primaire et secondaire, il n’a pas répondu à la question de savoir s’il existe éventuellement des domaines du non-symbolisable ou du non-symbolisé. Ces dernières années, les travaux effectués dans le domaine de la recherche sur les nourrissons ont attiré l’attention sur ces domaines. Certains arguments sérieux indiquent qu’existent des domaines non-symbolisés qui se manifestent par le biais de sensations corporelles ou de symptômes psychosomatiques. Ils semblent être mieux accessibles par le biais de moyens non-verbaux, c’est-à-dire d’expériences corporelles. Celles-ci permettent de les réactiver dans toute leur intensité affective d’origine, mieux que ne le ferait une approche de type verbal.
Les résultats des travaux mentionnés plus haut montrent également que l’unité corps-psyché, ainsi que la perception, l’action, les affects et la cognition existent dès la naissance et sont aussi vécus par l’enfant. Les psychothérapies à médiation corporelle ne se contentent pas de postuler cette unité; elles l’utilisent explicitement et proposent les méthodes et techniques les plus diverses pour effectuer cette démarche. On peut en outre postuler que ce vécu holistique, incluant une perception des espaces intérieurs du corps, continue à exister une fois l’enfant devenu adulte - même s’il est souvent dissocié. Les expériences primaires de la proximité corporelle forment la base de ce qui sera vécu plus tard et fondent d’autres capacités, telle l’intuition.

Le rôle du corps dans la phase diagnostique
Au moment de formuler un diagnostic, il est souvent utile de compléter l’anamnèse verbale d’une observation du corps du client. En effet, le langage humain n’énonce qu’une vérité déformée par de nombreuses défenses - même si la personne est de bonne foi et semble parler sérieusement.
Les expériences que nous avons faites par le passé ne sont pas enregistrées dans notre psyché seulement. Elles sont souvent refoulées ou dissociées, parfois complètement. Il ne reste donc dans de nombreux cas que les traces qu’elles ont laissées dans notre corps -traces qui semblent étrangères au client, mais qui permettent à l’œil exercé du thérapeute de remonter au passé.

Par traces corporelles, nous entendons, par exemple:
a)    la manière dont la personne dresse son corps
b)    la manière dont elle se déplace et s’exprime par le mouvement
c)    la qualité du contact (regard, toucher)
d)    la qualité de la voix etc.

L'importance des aspects corporels du contre-transfert
L’analyse du contre-transfert est plus difficile pour le thérapeute utilisant la médiation corporelle que pour celui qui pratique le setting classique du divan; en effet, il n’est plus à une distance sûre du client, ce qui fait que les interactions sont moins contrôlées et peuvent devenir plus complexes. Il reste que le thérapeute qui a de l’expérience est tout à fait en mesure de faire confiance aux indications que le client transmet par le biais de son corps et à ses propres réactions corporelles de contre-transfert; il peut alors les utiliser pour guider ses interventions.

Perspective d'avenir
Les personnes qui ont eu une expérience personnelle, dans leur corps, des psychothérapies à médiation corporelle sont convaincues de leurs effets et de leur efficacité. Pour que d’autres soient convaincus, il faudrait pouvoir démontrer scientifiquement leur validité - ce qui jusqu’à maintenant n’a pas été le cas. L’utilisation de techniques d’intervention fondées sur la médiation corporelle dans le contexte d’un processus thérapeutique qui, pour l’essentiel, demeure psychanalytique peut, si l’indication est donnée, apporter un enrichissement. Le vécu corporel peut aussi servir à contrebalancer notre aliénation par rapport à la manière dont nous nous vivons en tant qu’unité psychosomatique. Il devrait être possible à l’avenir de démontrer ces aspects par le biais de travaux combinant l’étude des résultats et celle des processus.

 

Biographie de l'auteur

Peter Geißler

Dr. med. Dr. phil. Peter Geißler, geb. 1953 in Wien, Studium von Medizin, Psychologie und Pädagogik, Praktischer Arzt und Psychotherapeut, Lehranalytiker der Deutschen und (Österreichischen Gesellschaft für Körperbezogene Psychotherapie - Bioenergetische Analyse (DÖK), Mitbegründer des Arbeitskreises für analytische körperbezogene Psychotherapie (AKP). Wissenschaftlicher Schwerpunkt: Integration von Psychoanalyse und Körperarbeit. Buchherausgeber von „Psychoanalyse und Bioenergetische Analyse. Im Spannungsfeld zwischen Abgrenzung und Integration“ (Peter-Lang-Verlag) und Buchautor von „Neue Entwicklungen in der Bioenergetischen Analyse. Materialien zur analytischen körperbezogenen Psychotherapie“ (Peter-Lang-Verlag).

Korrespondenz: DDr. Peter Geißler, Psychotherapeut in freier Praxis, Kölblgasse 5/8, A-1030 Wien

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Publiée

1997-01-01

Comment citer

Geißler, P. (1997). Quelques réflexions sur la démarche et l’expérience vécues en psychothérapie analytique a médiation corporelle. Science psychothérapeutique, 5(1), 8–20. Consulté à l’adresse https://psychotherapie-wissenschaft.info/article/view/623