Les nombreux visages de la recherche en psychothérapie

Auteurs

  • David Orlinsky

Résumé

Présentée en ouverture d’une conférence qui s’est déroulée à Vienne sous le titre “Les nombreux visages de la recherche en psychothérapie”, la présente contribution visait à 1) fournir un bref aperçu du domaine moderne de la recherche en psychothérapie, 2) examiner la relation troublée liant praticiens et chercheurs et 3) proposer certains changements d’attitude et de perspective qui pourraient faciliter l’établissement d’une collaboration entre ces deux groupes, pour leur profit mutuel.

1. On a commencé il y a environ 50 ans à étudier scientifiquement la psychothérapie, au moment où l’on a introduit l’enregistrement des séances et fait quelques tentatives de comparer dans un cadre contrôlé l’amélioration de l’état de patients appartenant soit à un groupe ayant suivi un traitement, soit à un groupe ne l’ayant pas fait.

1.1. Etude des processus.
L’enregistrement des séances de thérapie permettait à des observateurs externes d’évaluer en détail et de manière répétée les interactions entre patients et thérapeutes. Cette manière d’approcher une “recherche au niveau des processus” a été complétée par l’utilisation de questionnaires et d’interviews structurées permettant d’acquérir des informations systématiques concernant les observations et expériences des patients et des thérapeutes durant les séances. L’étude des processus s’est intéressée avant tout aux techniques employées parles thérapeutes, à la manière dont les patients réagissent à l’input thérapeutique et aux caractéristiques de la relation de travail liant patient et thérapeute. Si l’on compare les observations faites par les patients, les thérapeutes et des observateurs externes, on constate qu’elles ne sont souvent pas identiques - ce qui met en évidence la nature complexe de la réalité intersubjective.

1.2.  Etude des résultats.
Plusieurs années ayant été consacrées à des études sous contrôle de différentes approches thérapeutiques, on s’est mis d’accord pour constater qu’en moyenne la psychothérapie est plus efficace que le non-traitement (ou un traitement minimal) des patients; ceci réfutait les allégations qui avaient été faites, attribuant l’amélioration de l’état clinique des patients à une “rémission spontanée” des symptômes. Toutefois, les comparaisons effectuées sous contrôle n’ont en général pas permis de discerner des différences frappantes et consistantes entre les résultats produits par différentes méthodes de traitement. Ceci a incité d’aucun à conclure que le profit retiré de la thérapie doit être attribué à des facteurs que toutes les approches ont en commun, l’établissement par exemple d’une relation thérapeutique qui est source de soutien. Selon d’autres interprétations, ceci indiquerait que différents types de patients requièrent différentes thérapies. S’il est vrai que ces deux points de vue ne sont pas incompatibles au niveau de la logique, les différentes évaluations des traitements à partir de différentes perspectives (patients, thérapeutes et observateurs externes) montrent que l’étude des résultats doit être considérée comme généralement très complexe et qu’il ne faut pas se fier à de simples positions théoriques.

1.3. Etude des résultats d’un processus.
Les travaux qui cernent les relations entre des moments observés par des observateurs externes ou vécus par patients et thérapeutes durant les séances ont montré que le processus tend à aboutir de manière favorable (de plusieurs points de vue) lorsque le patient s’investit personnellement et s’ouvre psychologiquement à un thérapeute perçu comme capable de compassion et d’empathie, et ayant joui d’une bonne formation. Ces caractéristiques se retrouvent dans différents types de thérapie, ce qui confirme l’argument selon lequel l’efficacité thérapeutique dépendrait des “facteurs communs” auxquels nous avons fait allusion ci-dessus. Cependant, les études qui se sont intéressées aux résultats d’un processus démontrent que certains types d’intervention (exemples: interprétation, confrontation vécue, interventions paradoxes) peuvent produire de bons résultats, du moins lorsqu’elles sont menées de manière adéquate. La recherche scientifique a encore beaucoup à nous apprendre, mais nous disposons déjà d’un certain savoir en rapport avec ce qui constitue une pratique efficace de la psychothérapie. Les praticiens qui ne tiennent pas compte de ce savoir pourraient bien être moins utiles à leurs patients qu’ils ne devraient l’être, compte tenu de leur devoir professionnel.

2. Le fossé qui sépare praticiens et chercheurs est attribuable à plusieurs causes, dont entre autres des préjugés d’ordre philosophique qui ne sont pas toujours bien fondés; nous pensons par exemple à la manière dont la recherche empirique est parfois automatiquement associée à une doctrine passée de mode, celle du positivisme logique. Un préjugé similaire se fonde sur l’idée que la psychothérapie est un phénomène trop complexe, trop subtil et trop subjectif pour être étudié de manière scientifique. Certains praticiens de la psychanalyse et de la thérapie humaniste ou existentielle avaient aussi tendance à rejeter la recherche empirique parce que cette dernière avait été approuvée par les thérapeutes d’orientation behavioriste. Ces points de vue n’ont jamais été qu’en partie justifiables et ne sont pratiquement plus pertinents par rapport à la recherche en psychothérapie pratiquée lors des deux dernières décades. Des raisons plus importantes, mais moins souvent identifiées, ont contribué au fossé séparant praticiens et chercheurs: ces deux groupes ont des besoins différents et ils utilisent la connaissance de manière différente. Les praticiens ont affaire à des individus, et leur savoir doit guider les efforts qu’ils font pour comprendre leurs patients individuels et leur apporter un soutien positif dans leur vie. En général, les chercheurs n’ont considéré les individus qu’en tant que membres de groupes prédéfinis et ont tenté de détecter et de saisir des différences entre types de thérapie ou catégories de patients. Les praticiens utilisent la théorie pour poser un diagnostic et pour traiter le patient, alors que les chercheurs s’en servent pour formuler des hypothèses, sélectionner des variables et interpréter des résultats. Au moment d’étudier les processus thérapeutiques et leurs résultats, ces chercheurs ont également tendu à attribuer une préférence au point de vue de l’observateur externe et du patient, alors qu’en toute bonne logique les thérapeutes saisissent processus et résultats en fonction de leur perspective spécifique. Il s’agit là de différences très réelles, qui ne peuvent être résolues que si les deux groupes s’efforcent de se comprendre mutuellement et respectent la spécificité des tâches attribuées à la recherche comme à la pratique.

3. Il faut que praticiens et chercheurs modifient leur attitude et leur point de vue, pour que le travail d’un groupe puisse féconder celui de l’autre. Les chercheurs doivent inclure le point de vue du psychothérapeute à leurs études et établir des rapports entre les observations des patients et observateurs externes et celles des thérapeutes; ce n’est qu’alors que les praticiens pourront utiliser les résultats de leurs études. Il faut aussi qu’ils analysent des groupes de variables structurées selon des profils correspondant à des individus typiques au lieu de simplement comparer des variables isolées pour analyser les différences entre des groupes. D’autre part, il faudrait que les praticiens dominent les réactions anxieuses que provoque le fait qu’ils sont observés (comme ils dominent d’autres sources d’anxiété inhérentes à la thérapie) et qu’ils coopèrent avec les chercheurs pour trouver réponses aux questions posées par la pratique.

[Les lecteurs francophones sont priés de consulter les articles publiés par l’auteur et d’autres spécialistes dans le volume INSERM 1992, édité par R. Gerin et A. Dazord et intitulé: “Recherches cliniques ‘planifiées’ sur les psychothérapies: méthodologie ”.]

Biographie de l'auteur

David Orlinsky

Prof. Dr. David Orlinsky ist Professor of Human Development and Social Sciences an der University of Chicago und weithin bekannt für seine Arbeiten auf dem Gebiet der Psychotherapieprozeß- und -ergebnisforschung sowie als Mitbegründer und ehemaliger Präsident der internationalen ,, Society for Psychotherapy Research“ (SPR). Zur Zeit ist er u.a. Koordinator einer großangelegten internationalen Studie zur professionellen Entwicklung von PsychotherapeutInnen.Prof. Dr. David Orlinsky, Committee on Human Development, University of Chicago, 5730 S. Woodlawn Ave., Chicago, IL 60637, U.S.A.

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Publiée

1998-04-01

Comment citer

Orlinsky, D. (1998). Les nombreux visages de la recherche en psychothérapie. Science psychothérapeutique, 6(2), 69–79. Consulté à l’adresse https://psychotherapie-wissenschaft.info/article/view/582