Les approches de type thérapie corporelle et le traitement des patients traumatisés: corps, traumatisme et paysage psychique - entre l'attouchement et l'abstinence
Résumé
Le symptôme caractérisant principalement les patients traumatisés est celui de la dissociation (‘se distancer de son propre corps’). De même, mais dans un autre contexte, les approches psychothérapeutiques existantes demeurent souvent relativement distantes les unes par rapport aux autres, qu’elles utilisent la parole et l’imagination ou qu’elles interviennent au niveau du comportement ou à celui du corps. La principale ligne de démarcation est sans doute celle qui sépare l’ensemble des approches verbales des thérapies corporelles.
Dans ce sens, dans le cadre du traitement des traumatisés clients et thérapeutes “souffrent” d’un dilemme similaire. En tant que base de leur travail, la psychanalyse se fonde sur le langage et condamne le contact physique entre client et thérapeute. Elle ne tient donc pas compte des processus énergétiques situés au niveau du corps et renonce aux attouchements qui pourraient être d’efficaces agents thérapeutiques. Le corps est perçu tout au plus en tant qu’objet d’une interprétation. D’un autre côté, les thérapies purement corporelles sous-estiment l’importance des mots et ne tiennent souvent pas compte des processus de transfert / contre-transfert. Elles risquent alors de devenir “non-relationnelles” et de ne pas vraiment saisir les aspects dynamiques des relations d’objet, se contentant d’une “application” des procédures corporelles. Il s’agit ici aussi d’une dissociation. Nous voulons mettre en évidence l’importance de l’unité corps-âme dans le contexte du processus psychothérapeutique.
Les expériences traumatiques impliquent toujours un aspect somatique et elles viennent s’ancrer dans la mémoire du corps. Pour présenter notre conception du développement des schémas verbaux et moteurs nous faisons appel aux concepts élaborés par D. Stern et G. Downing.
Nous fondant sur notre propre formation et nos propres expériences en tant que clients et en tant que thérapeutes, nous établissons des liens entre:
1. la théorie psychanalytique de la relation d’objet (l’étude systématique du transfert et du contre-transfert) et
2. l’analyse bioénergétique (AB) (selon Alexander Lowen, un disciple de Wilhelm Reich), ainsi que la thérapie corporelle analytico-imaginative (fondée sur la procédure du body-enlightenment selon Betty Esthelle).
Ce faisant, nous combinons deux démarches: le travail sur des processus énergétiques corporels et l’analyse, fondée sur le langage, des émotions et images associées à ce qui s’est passé. La thérapie corporelle a ses points forts là où elle offre un large éventail de possibilités d’intervention au niveau de la sensation, du mouvement et des réactions émotionnelles (qui permettent d’établir des connections entre les aspects dissociés, donc d’apporter un amélioration par rapport aux symptômes de dissociation). Le travail se centre principalement sur: une concentration sur la respiration (du client et du thérapeute), le ‘grounding’ (contact avec le sol) et le niveau énergétique. La thérapie corporelle - du moins telle que nous la percevons -offre au client un espace dans lequel recevoir un soutien en toute sécurité, ce qui permet aux potentiels d’auto-guérison émotionnelle et somatique de se manifester et de se développer. En trame de ce processus se situe la notion que toutes les informations essentielles qu’il requiert sont stockées dans la mémoire du corps. La relation thérapeutique peut être considérée comme un catalyseur ou un pont, qui aide le client à entrer en relation avec lui-même et avec le monde. En thérapie corporelle les concepts de “soutien”, “contact/rapport” et “appui” dans le contexte du processus sont entendus de manière concrète et mis en œuvre à un niveau physique, accompagné d’une verbalisation (mais parfois aussi de silence et d’empathie non-verbale). Il est évident que ce type de thérapie implique que l’on respecte les limites des clients, leurs rythmes et leur droit a définir la vitesse a laquelle le processus se déroule. Concernant la psychothérapie avec des clients traumatises, la transparence a valeur thérapeutique car ils ont eu l’expérience contraire (infractions, non-respect de leurs limites et de leur intégrité). En analyse bioénergétique, le travail se centre à différents niveau sur la perception et l’expression de sentiments de colère, de fureur, de rage et de haine, en utilisant différentes techniques et par le biais d’exercices variés (taper, battre, enfoncer, expression par la voix). Ceci permet de modifier les stratégies dépressives adoptées par les clients pour gérer le traumatisme, à condition que le processus inclue simultanément une analyse des sentiments de culpabilité et des idées dysfonctionnelles. On peut considérer la thérapie corporelle comme un parcours sur la corde raide, entre:
- un processus perceptif, permissif, libérateur et harmonieux soutenant la démarche au cours de laquelle le client apprend à percevoir son corps, sa propre structure psychique et ses propres pulsions,
- et un processus plus actif au cours duquel le thérapeute invite le changement, établit une structure et des limites, et construit avec le client un ‘container’, un espace sécurisant.
L’un des principaux axiomes de l’analyse bioénergétique est celui de l’identité fonctionnelle du corps et du psychisme, ce qui implique que les mécanismes de résistance psychiques et corporels sont identiques. Les émotions que l’individu n’est pas à même de gérer et qui ne peuvent pas s’exprimer au niveau de mouvements émotionnels sont retenues dans le corps, sous forme de tension musculaire. La douleur psychique est affrontée par le biais du travail sur certains schémas corporels de résistance et de maintien. La régulation de la respiration et de la voix joue un rôle essentiel par rapport au contrôle des émotions.
Une thérapie corporelle est possible à toutes les étapes du traitement des traumatisés: elle offre différents types d’interventions spécifiques permettant de résoudre certains symptômes (incluant des phénomènes de sensibilité supprimée, d’engourdissement affectif, de dissociation et d’intrusion). Les souvenirs traumatiques sont mémorisés dans le corps ou alors en tant que scènes, ce qui ne correspondant pas à l’aspect linéaire du verbal. Ceci signifie que des stratégies thérapeutiques basées sur la cognition et la verbalisation ne suffisent pas à apporter des résultats. Dans le cadre de la pratique ambulatoire, la psychothérapie corporelle a pour avantage que dans la relation thérapeutique (comprenant une bonne relation parent-enfant, incluant le corps) une seule personne - avec laquelle toutes les étapes de la thérapie sont accomplies - est à même de guider le client de manière très concrète vers une meilleure perception de soi, vers un autocontrôle et vers l’expression de ce qu’il est. Durant la phase de stabilisation, le client doit apprendre à retrouver son propre corps, à contrôler les fonctions de ce dernier et à développer une relation positive avec lui-même; il apprend aussi à se détendre. Les clients doivent également apprendre à poser des limites dans le contexte de relations impliquant un abus et à trouver un lieu sur (intérieurement et à l’extérieur). Durant la relation thérapeutique des rapports de confiance s’établissent progressivement. Le premier pas est toujours une prise de contact qui donne sécurité. Le langage implique une distance - il est donc perçu comme l’instrument de contact le moins dangereux. Dans ce sens, dans le cadre de la thérapie corporelle, les entretiens, le soutien par la parole, l’écho aux mots dits, les explications et les informations servent de moyens d’établir la confiance. Le deuxième niveau est celui des images intérieures. En une troisième étape, on encourage les clients à avoir des contacts physiques avec eux-mêmes, en pratiquant des exercices de perception de leurs sensations, de leur maintien et de leurs schémas de mouvement, ainsi que des exercices particuliers servant à développer un contact avec le sol (grounding). En bioénergétique, ces derniers servent à détendre et à donner plus de force aux pieds, aux chevilles, aux genoux, aux jambes et aux hanches. Le contact avec le sol en est amélioré, ainsi que la position du client sur ses deux pieds, donc son sentiment d’être en sécurité dans le monde (confiance en soi). Dans la phase consacrée aux souvenirs nous ne posons pas de questions explicitement en rapport avec le traumatisme, mais portons attention aux potentiels corporels positifs dans le ‘ici-et-maintenant’ de la relation. L’activation sensorielle et motrice (amélioration de la capacité à ressentir et de la mobilité), la pratique d’une respiration plus profonde et des contacts corporels permettent de réactiver des souvenirs. Le type de respiration pratiquée fait qu’il est plus aisé de pleurer à chaudes larmes et donc de gérer les expériences traumatiques. Il s’agit de passer de la dissociation et des flashbacks à des émotions associées à des souvenirs, et de porter le deuil des pertes et blessures subies. Il s’agit aussi de ressentir et d’exprimer les sentiments de deuil et de révolte de manière aussi énergétique que possible, c’est-à-dire de les ressentir et de les exprimer avec tout le corps. Durant la phase d’intégration les clients apprennent à se sentir à nouveau chez eux dans leur propre corps. Le traumatisme les a privés de ce plaisir, leur a interdit de jouir. En les mettant en contact avec des sensations somatiques positives, on établit de nouvelles “traces”. Le corps ne doit plus être rejeté dans son ensemble, du fait de ses connotations négatives. A ce niveau la “dissociation du moi” thérapeutique peut être exploitée de manière utile, dans un travail sur l’image de l’enfant intérieur ainsi que sur les processus d’introjection des coupables et d’identification à eux.
Le “principe d’abstinence”, tel qu’il est perçu par tous les thérapeutes pratiquant une approche corporelle, n’interdit pas d’avoir des contacts physiques. Il signifie plutôt qu’on adopte une attitude définissant des limites, intérieures mais aussi transmises par le corps. Le type d’attouchement est de celui qui n’exige rien, qui n’envahit pas, qui est sensible, qui offre un soutien et. un espace dans lequel le client peut se percevoir lui-même. On demande aux clients de porter attention à leur respiration et de demeurer en contact avec leurs images et leurs sensations somatiques. Le thérapeute doit à la fois être ‘perméable’ (pour pouvoir servir de canal) et se-démarquer clairement dans ses contacts avec le client. Dans ce sens, les attouchements physiques sont des “attouchements abstinents”; ils ne sont ni manipulation, ni séduction sexuelle, ni violence, ni consolation offerte trop tôt. Le thérapeute exclut ses propres besoins du processus. Au niveau du contre-transfert nous utilisons ce que Downing a nommé le “contre-transfert induit” (que l’on appelle parfois identification projective). Pour éviter que le client soit à nouveau traumatisé, il faut que le thérapeute gère clairement les aspects négatifs du transfert / contre-transfert. Four que le thérapeute ne subisse pas un traumatisme secondaire, il faut qu’il adopte une attitude d’égoïsme sain: “Je me considère comme la personne la plus importante, je prends bien soin de moi-même pendant la thérapie”. Sans cela, le client ne peut pas aller bien. Nous ne sommes pas seulement objets de transfert, nous sommes aussi “catalyseurs”. Ce ne sont ni des sentiments de toute-puissance m’incitant à croire que “je produis des effets” (grandiosité), ni l’attitude ‘orale’ impliquant qu’il faut que “je supporte pour le client” et que “je le décharge” qui doivent me guider. Nos clients ne peuvent aller bien que si nous leur montrons qu’en tant que thérapeutes, nous prenons également soin de nous-mêmes.
Remarque finale: les mots sont salutaires. Etre touché par des mots et par le corps d’une personne qui comprend et agit avec circonspection peut apporter la guérison!
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