"La paix règne - personne ne fait la paix". Description du processus thérapeutique lors d'une psychanalyse par le jeu de sable avec une fillette ayant subi des abus sexuels
Résumé
La thérapie avait pour objectif de contrer les effets pathogènes du souvenir des abus. Selon la théorie de la séduction de Freud un vécu à contenu sexuel, datant de la (petite) enfance mais demeuré jusqu’alors “sans effet”, lie par une chaîne d’associations le passé et un événement ‘déclenchant’ du présent. Ce n’est qu’à ce niveau ultérieur que l’on retrouve les traces du vécu sexuel infantile. Les enfants sont dotés d’une sexualité spontanée à un âge très précoce et c’est pourquoi une funeste confusion se produit souvent au moment où l’individu atteint l’adolescence ou l’âge adulte et où des sensations génitales et sexuelles sont réactivées: il n’est plus certain de ne pas avoir désiré l’abus. Cette confusion peut être évitée si par la thérapie, on réussit à obtenir que le/la client/e ne nie pas de manière rétrospective avoir vécu le traumatisme d’une passivité dans laquelle il/elle subissait- la dimension passivité est au centre de l’abus, puisque l’enfant a été activement séduit par le/la coupable.
La stabilité du moi de Fiona et la capacité à l’intégration qui allait de pair avec elle ont formé la base sur laquelle la thérapie a pu fonder d’authentiques progrès. La présence d’interlocuteurs lui apportant leur soutien - la mère en particulier, ainsi que la thérapeute - lui a aussi permis dès le début d’exprimer de manière symbolique (jeu de sable) et de verbaliser ce qu’avait déclenché le traumatisme; elle n’était donc pas condamnée au silence. Ceci se manifeste clairement lors de la première phase de la thérapie, la “présentation du conflit”. Dès la première séance, Fiona dit: “Papa est un embêtant, je ne veux pas qu’il vienne me chercher là où (habite maintenant. Il a toujours léché ma chatte et (ai dû lécher la sienne - il mérite d’être puni”. Dès le début de la thérapie, la conspiration du silence entre victime et bourreau est donc rompue. En général ce dernier exploite la relation de proximité et de dépendance émotionnelle dans laquelle se trouve la victime pour la contraindre au silence. L’enfant obéit parce qu’il a extrêmement peur et il se soumet. Ce n’est qu’après un an et demi de thérapie que Fiona a verbalisé la peur qui l’avait envahie au moment d’être ouverte à mon égard, en disant: “Aujourd’hui, je voudrais rester longtemps, pas comme avant où j’avais parfois peur”.
Durant la seconde phase de la thérapie - “ Fiona s’identifie avec l’agresseur” - s’est exprimée l’identification au père-agresseur. L’enfant est paralysé par la peur, car il se sent dépendant et impuissant; il obéit donc passivement et se soumet aux désirs de l’agresseur, pour finalement s’identifier complètement avec lui et en particulier avec son pouvoir. Ceci fait que le bourreau apparaît comme “bon”, puisqu’il est devenu part intégrale du vécu psychique de l’enfant. Pendant cette période, qui dura un an dans le cadre de la thérapie, Fiona joue le rôle du père dans les images de sable. Mais cette identification signifie aussi qu’elle se voit à travers les yeux du père et se rend elle-même responsable des agressions. Pourtant, dans le cas de Fiona l’identification n’a jamais été absolue car elle s’est toujours accompagnée d’une attitude très ambivalente. Ceci s’exprime clairement lors d’une séance où, au début, Fiona ne réussit pas à trouver la figure du père, tout en disant que “nous ne pouvons pas jouer sans lui"; puis elle engage une conversation sur la longueur de son pénis, pour ensuite enfoncer spontanément cette figure, la tête la première, dans les toilettes et tirer la chaîne. Tant que Fiona demeurait en grande partie identifiée au père, elle se servit de notre jeu pour exercer un contrôle sur lui et ce faisant, pour passer du rôle de victime à celui d’agresseur. Or, tant que l’enfant demeure dans cette position, la manière dont sa passivité est vécue ne peut pas évoluer.
Pendant la troisième phase du processus thérapeutique - “la passivité devient active” - une modification décisive se produit. Ce qui caractérise le vécu traumatique, c’est qu’il est subi de manière passive par rapport à la violence venue de l’extérieur. Le mai n’est plus protégé contre l’excitation, une tension intérieure trop forte s’établit qui ne peut plus être éliminée et qui se transforme en peur, une peur qu’il s’agit alors de tenir en échec. Fiona renonce maintenant à s’identifier avec le père et me charge de jouer le rôle de cette figure. Ceci lui permet de représenter activement le traumatisme: je suis maintenant celle à laquelle il faut faire peur et Fiona rit souvent avec soulagement lorsqu’elle y réussit. Pendant cette période nous vivons des contacts physiques à contenu ludique, dénués de toute nuance sexuelle et donc vécus comme source de plaisir entre des partenaires égaux.
Il est typique de l’aspect spécifiquement sexuel de l’identification avec le père que la dimension introjectée ne parvienne pas à se stabiliser, car l’excitation sexuelle est constamment renouvelée au niveau somatique. En conséquent, il est pratiquement impossible de surmonter ce type d’événement traumatique sans un soutien thérapeutique. La dernière phase de la thérapie et la devise sous laquelle elle a été placée - “la paix règne, personne ne fait la paix” - montre que par le jeu actif, Fiona a réussi à surmonter ce qui lui est arrivé. La menace qui avait été d’abord extérieure, puis introjectée a alors échappé au cercle vicieux d’une réactivation constante.
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