Un siècle de psychothérapie et de sociopsychiatrie en Allemagne - quelle a été son influence sur la psychiatrie ?

Résumé

S’il est exact qu’en ce début du XXIe siècle on s’accorde pour considérer que pour tenir compte des dimensions multifactorielles des troubles, la psychiatrie doit offrir une forme de traitement associant des soutiens psychothérapeutique, social et biologique-pharmacologique, il n’en reste pas moins que les sciences sociales et la psychothérapie ne fondent pas à parts égales la démarche psychiatrique. La sociopsychiatrie et la psychanalyse existent depuis cent ans. Ont-elles réussi à influencer la psychiatrie de manière importante?

Au cours des cent dernières années la psychiatrie a continué à s’appuyer essentiellement sur une pensée de type biologie/sciences naturelles. La découverte des médicaments psychotropes, il y a juste cinquante ans, n’a fait que renforcer cette tendance. Simultanément, ce sont ces psycholeptiques qui permettent souvent à la sociopsychiatrie d’atteindre son objectif: la réinsertion des malades souffrant de troubles psychiques dans la société, par le biais d’un traitement psychiatrique offert au niveau local. En Allemagne cette démarche a été amorcée il y a vingt-cinq ans, avec «l’enquête sur la psychiatrie» - un rapport adressé au gouvernement fédéral, concernant la situation de l’offre en psychiatrie et en psychothérapie et demandant de vastes réformes. Depuis, une bonne partie des objectifs fixés a été réalisée: offre ambulatoire plus importante (et moins d’hospitalisations), par exemple, ou mise en place de divers services à proximité du domicile des patients (services de consultation, cliniques de jour, homes d’accueil, etc.).

Ce n’est que récemment que des formes psychothérapeutiques de traitement ont été progressivement intégrées dans la psychiatrie. Bien que comparée au reste de l’Europe, l’Allemagne accorde une place relativement importante à la psychothérapie dans le contexte de la santé publique (médecine et offre pratique) et qu’on y ait commencé dans les années vingt déjà à traiter les psychoses par une approche analytique, les personnes souffrant de troubles psychiques n’y reçoivent un traitement psychothérapeutique que dans des cas exceptionnels. Il est probable que le fait que la psychothérapie ait longtemps joué un rôle marginal en psychiatrie a contribué à ce qu’elle s’établisse en tant que discipline indépendante, hors de cette dernière.

Nous présentons un bref historique du développement de la sociopsychiatrie et de la psychanalyse/ psychothérapie en Allemagne, en vue de rendre plus intelligible la situation dans laquelle s’y trouve actuellement la psychiatrie (et la psychothérapie). Au XXe siècle ces deux disciplines ont fourni des impulsions décisives lorsqu’il s’est agi d’humaniser la psychiatrie et de revoir son paradigme scientifique. Ces données permettent de comprendre les rapports -encore tendus - qui lient dans notre pays la psychiatrie institutionnalisée, la psychosomatique, la psychothérapie et le mouvement sociopsychiatrique, ce dernier prenant en compte à la fois les patients et leurs familles. Aujourd’hui, les médecins qui veulent acquérir le titre de «spécialiste en psychiatrie » doivent faire une formation en psychothérapie; d’autre part, les psychothérapeutes psychologues ou médecins doivent avoir un an de formation dans la nouvelle branche «psychiatrie et psychothérapie ». Bien que la psychothérapie soit maintenant intégrée à la formation, au niveau de la recherche et de la pratique de la psychiatrie les approches de types béhavioriste et psychoéducatif dominent. Le modèle de la maladie appliqué par la psychiatrie biologique, avec ses tendances à l’objectivisme, et les exigences d’une «evidence based medicine» sont relativement bien compatibles avec ces courants. Pourtant, les spécialistes qui ont une longue expérience de la psychiatrie préféreraient sans doute que ce soient les courants de types psychodynamique et subjectiviste qui trouvent leur place en psychiatrie - pour leurs praticiens, il est plus important de comprendre les troubles que de les éliminer.