Schémas mal adaptés d'interaction et processus thérapeutique
Résumé
Partant du constat diagnostique de troubles psychiques à persistance marquée, nous montrons que des schémas d’interaction mal adaptés et leur mise en œuvre répétée dans le contexte des relations sociales constituent une composante importante de ces troubles. Ces schémas d’interaction ne sont pas simplement caractérisés par le comportement du patient ; leur particularité réside dans le fait que des interlocuteurs sains sont «impliqués» dans ceux-ci Plusieurs études des comportements interactifs ont montré que ce phénomène d’adaptation aux schémas d’interaction des patients est le plus marqué lorsque ces derniers souffrent d’importants déficits structurels. Il a aussi été possible de mettre en évidence plusieurs différences qualitatives dans la régulation des relations auxquelles des patients participaient, comparé à des entretiens entre deux interlocuteurs sains. Ces dissemblances indiquent que l’établissement d’un espace mental commun et partagé échoue lorsque les patients souffrent d’un trouble sévère.
Les interactions entre deux interlocuteurs sains manifestent plus de signes mimico-expressifs positifs, alors que celles impliquant une personne souffrant d’un trouble psychique, avec capacité réduite de mentaliser, et un interlocuteur sain sont caractérisées par un « affect directeur» négatif chez les deux partenaires.
Les interactions psychothérapeutiques se distinguent des relations quotidiennes dans le sens où ces phénomènes d’adaptation ne s’y produisent pas. Les thérapeutes expérimentés - tous courants confondus -font montre d’abstinence émotionnelle, du moins en ce qui concerne leur comportement mimico-affectif. Des disparités ont été enregistrées par rapport aux différentes émotions : les affects servant à réguler la distance (joie, mépris, dégoût) sont moins souvent exposés, alors que ceux qui sont le produit du traitement d’informations (surprise et crainte) le sont plus souvent que dans les interactions hors thérapie. Ceci montre que l’assimilation de nouvelles expériences joue un rôle important dans le contexte psychothérapeutique, bien qu’il y soit souvent difficile de traiter l’information car la peur et la réaction de défense qui suit constituent des obstacles.
Le fait que la joie soit moins souvent exprimée en psychothérapie n’est pas simplement dû aux troubles du patient; il peut aussi être interprété comme un signe de l’abstinence émotionnelle pratiquée par de nombreux thérapeutes. La relation thérapeutique et l’implémentation de schémas mal adaptés d’interaction se reflètent dans les schémas affectifs dyadiques - ceci implique-que les caractéristiques manifestées par ces schémas peuvent servir d’indicateurs au pronostic concernant les résultats du traitement.
Par contre, «l’affect directeur» des patients durant les premières séances ne corrèle pas avec les résultats du traitement, pas plus que ne le font d’autres indices monadiques du comportement du patient. On constate avec surprise que les indices dyadiques et le comportement mimico-affectif du thérapeute peuvent servir de manière plus adéquate à prévoir l’aboutissement du traitement. Lorsque ce dernier a des résultats positifs, le comportement du thérapeute est caractérisé par l’absence d’un affect directeur dominant. On pourrait aussi dire: l’échec thérapeutique est en rapport avec une perte de variabilité au niveau du système de régulation affective du thérapeute.
Nos résultats concernant le comportement mimico-affectif des patients et des thérapeutes, leur importance dans le contexte de la relation thérapeutique et leur rapport avec les résultats du traitement peuvent être résumés comme suit : dans les psychothérapies axées sur la gestion des problèmes, une capacité différenciée à exprimer des affects négatifs semble indispensable.
Ces affects négatifs peuvent avoir différentes fonctions. Ils peuvent être réactions directes au patient et à son comportement, mais ils peuvent aussi être en rapport avec des objets et événements contenus dans le champ mental au sujet duquel thérapeute et patient s’entretiennent verbalement. Dans les deux cas, les affects négatifs du thérapeute constituent une base importante, qui permet de comprendre les problèmes du patient centrés sur des conflits émotionnels avec autrui, avec lui-même et/ou avec le thérapeute.
La mise en œuvre de schémas mal adaptés d’interaction peut être identifiée au nombre élevé de réactions affectives dyadiques et à la grande complexité de ces dernières. Bien que l’on trouve dans toute interaction un certain nombre de schémas de ce type et bien que cela soit sans doute indispensable à l’établissement d’une relation positive et stabile, le nombre élevé et la grande complexité de ceux-ci dans le cadre d’une psychothérapie indique que le thérapeute s’est impliqué de manière conflictuelle dans le dynamisme interactionnel du patient et qu’il n’est plus en mesure de s’en libérer - ceci en particulier lorsque ces schémas ne se résolvent pas en cours de traitement. Un nombre élevé d’expressions simultanées de joie est associé à un traitement dont les résultats seront négatifs, bien qu’il soit exact que jusqu’à un certain point cette réciprocité positive est indispensable à l’établissement et au maintien d’une relation thérapeutique positive au niveau affectif. Le thérapeute dont le traitement a du succès réussit sans doute à maintenir un équilibre entre l’établissement de liens positifs d’une part, et l’accord d’un espace suffisant aux affects négatifs d’autre part. La domination de signes de joie chez le patient peut également servir à mettre en œuvre' un schéma d’interaction spécifique, sur la base duquel le travail thérapeutique peut s’effectuer. Les thérapeutes-dont les traitements avaient du succès passaient par cette étape en en compensant l’affect. Ceux qui réussissaient moins bien s’impliquaient dans l’offre d’interaction qui leur était présentée, en souriant eux aussi beaucoup - ce qui faisait que les deux interlocuteurs portaient une part de responsabilité pour la manière dont les aspects négatifs de la relation étaient négligés.
Le concept de «l’affect directeur» et les aspects comportementaux qui en sont dérivés intègrent une bonne partie de ces idées pour définir ce qui constitue une relation thérapeutique de valeur. L’expression d’un affect directeur essentiellement positif par le thérapeute fait plutôt correspondre la relation thérapeutique à une relation positive entre deux personnes saines dans la vie de taus les jours; dans ce sens, elle n’est pas adéquate lorsqu’il s’agit d’acquérir les moyens de gérer des conflits psychiques de manière durable. Un affect directeur négatif marqué de la part du thérapeute peut empêcher le patient d’utiliser sa capacité à travailler sur ses problèmes et rendre impossible l’établissement d’une relation thérapeutique positive. Dans ce sens, le comportement mimico-affectif des thérapeutes dont les traitements ont des résultats positifs reflète leur capacité à maintenir un équilibre entre la réception empathique d’offres affectives négatives et le maintien simultané d’une relation à tonalité positive.
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