De l'identification projective au contre-transfert incorporé - Une psychothérapie du corps et de l'ame

Auteurs

  • Jörg Clauer

Résumé

Le présent travail fut une contribution à un symposium intitulé « Psychotherapie mit Leib und Seele ». En présentant des cas cliniques et des éléments théoriques, nous tentons de développer plus avant l'important concept de l'identification projective pour saisir le contre-transfert incorporé. En 1890 S. Freud (1975, p. 20 de la version allemande) a indiqué que les réactions émotionnelles du psychisme sont ancrées dans le corps, sans toutefois exploiter cette idée au moment de développer la théorie psychanalytique. A cette époque déjà, il signale que les mots peuvent être trompeurs, mais que - comme le dit Lowen (1979) - « le corps ne ment pas ». Nous présentons le traitement d'une patiente souffrant d'hypertonie grave et mettons en évidence les intenses émotions ressenties par le thérapeute à chaque fois que des processus d'identification projective étaient présents dans la relation. Le thérapeute s'identifie fortement à une patiente très gravement malade qui est en plein «acting-out » et ce faisant, il se sent mal compris par l'équipe soignante et, par dépit, se réfugie dans l'opposition. Ce n'est que dans le contexte d'une supervision qu'il saisit progressivement son propre sentiment d'impuissance, pour finalement poser des limites à la patiente. A partir de là, un processus de transformation apporte un mieux à cette dernière.

Le concept d'identification projective a été introduit en 1946 par M. Klein (1962). Ce fut avant tout Odgen (1988) qui le définit comme un processus au cours duquel le client transfère les émotions qu'il ressent comme désagréables sur le thérapeute et exerce des pressions importantes pour faire accepter la projection à ce dernier. Cette constellation interactionnelle se fonde sur l'empathie. Pour moi, l'essence de l'empathie est faite d'un phénomène de résonance corporelle (body empathy) et l'identification projective doit être considérée comme un contre-transfert induit et incorporé. La prise en compte d'aspects corporels dans la psychothérapie permet d'accéder à des dimensions thérapeutiques plus larges ; dans les cas problématiques et par exemple, dans la thérapie des traumatismes, elle est ce sur quoi le processus de guérison se fonde. Dans ce sens, renoncer à inclure le corps dans le traitement psychothérapeutique signifie renoncer à exploiter des ressources essentielles.

Le deuxième cas présenté est celui d'une patiente ayant souffert plusieurs traumatismes ; nous décrivons la manière dont le corps a été indus dans l'établissement d'une relation thérapeutique. Cette cliente repoussait à chaque fois le thérapeute tout en début de séance ; nous analysons cette donnée en tant qu'expression de limites et de besoin d'être vue par le thérapeute. La relation se transforme à différents niveaux et devient une histoire constamment réécrite de leur contact et des potentiels relationnels. Grâce à cette évolution, la dépression de la patiente et la fixation du traumatisme se résolvent; une transformation a lieu dans laquelle la cliente retrouve sa propre initiative et redevient responsable d'elle-même au sein de la relation thérapeutique comme dans son quotidien. Confrontée aux aspects verbaux de la thérapie, elle se retirait souvent en elle-même car elle n'avait jamais pu faire confiance aux mots et, pour elle, le langage avait été contaminé par des expériences négatives. La démarche thérapeutique présentée ici tente de rétablir des liens entre la rencontre et les émotions-corporelles d'une part et la parole empathique d'autre part, ce qui facilite l'élaboration d'une nouvelle histoire partagée par la patiente et le thérapeute. Le processus de rencontre entre deux corps devient une danse thérapeutique qui permet à la patiente de se reprendre en main mais aussi de se sentir vue et respectée dans son soi et dans ses besoins. C'est ce vécu qu'elle n'avait jamais eu puisqu'elle avait toujours été aliénée par les exigences de parents qui ne respectaient pas les frontières de son moi.

Il est difficile et fatiguant de s'ouvrir aux besoins de contre-transfert des clients et cela n'est possible que si le thérapeute est doté d'une capacité à l'empathie, d'une aptitude à «se mettre dans la peau du patient». Or, cette démarche se fonde sur l'imitation, sur la reproduction d'une gestuelle. Cet aspect a été confirmé par les recherches sur les affects (Krause, 1983, 1997). A la base, les patients incitent le thérapeute à s'adapter à leur mimique et à leurs émotions. Les neurobiologistes Rizzolatti et al. (1999) ont étudié les simiens et pensent que l'imitation gestuelle et la perception réciproque sont possibles grâce au neurones-miroirs situés dans la partie du cortex qui gère le mouvement. Le contre-transfert induit fondé sur l'empathie et l'identification projective est donc un phénomène dont l'essence est incorporée. Travailler à ce niveau implique que le corps du thérapeute serve de canal ou de caisse de résonance, devenant ainsi la source d'une nouvelle compréhension. L'utilisation diagnostique et thérapeutique de cette résonance corporelle a été décrite par Heinrich (1997) et Clauer (1997, 2003). Il faut par ailleurs que le thérapeute soit conscient de la distinction traditionnellement faite entre le contre-transfert induit par le client et les émotions « personnelles» qui s'y mêlent et qu'il puisse gérer ces deux niveaux. Il doit donc être constamment à même de différencier entre les réactions qui sont les siennes et celles qui sont induites par le patient. Notons toutefois que considérer le contre-transfert « personnel » comme malsain - comme l'ont fait Freud (1975, p. 126) et Lowen (1993 ; cf. Heinrich, 1997) - semble peu indiqué et superflu dans le contexte d'une approche basée sur l'intersubjectivité. D'ailleurs, l'utilisation du contre-transfert incorporé est plus qu'un instrument supplémentaire de perception. Les recherches sur les nouveaux-nés (cf. Stern, 1992) et sur le bonding (cf. Holmes, 2002) tendent à indiquer que l'inclusion du corps dans le processus thérapeutique ouvre d'importantes possibilités au thérapeute. De plus, le vécu préverbal des clients peut s'exprimer plus facilement dans le contexte d'un dialogue relationnel (« enactment ») incluant le corps. Dans l e cas de personnes traumatisées, des expériences essentielles sont inscrites dans des schémas corporels sensori-moteurs. Dans ces cas, pour que la thérapie ait des effets positifs il est indispensable que soit utilisée une approche holistique prenant en compte le vécu corporel et psychique (cf. Clauer et Heinrich, 1999).

De nombreuses réserves sont encore souvent exprimées envers les approches thérapeutiques basées sur le corps (Bauriedl, 1999) en dépit des nombreuses démarches entreprises même par des psychanalystes pour inclure ce dernier dans le processus thérapeutique (Balint, 1968, p. 128 de la version allemande; Winnicott, 1984, p. 212 et 317 ; Tedder, 1986 ; voir aussi Bacal et Newman, 1994). Il semble que cette méfiance soit en rapport avec une profonde insécurité ou même une peur du corps ancrée dans notre culture. Pratiquer le type de psychothérapie décrite ci-dessus représente donc un défi particulier pour le thérapeute. Mais elle ouvre de nombreux potentiels de développement et de nombreuses ressources, que ce soit pour le client ou pour le thérapeute.

Biographie de l'auteur

Jörg Clauer

Dr. med. Jörg Clauer, Jg. 1951, Facharzt für psychotherapeutische Medizin, Psychiatrie und Psychotherapie, Psychoanalyse (DGPT). Bioenergetischer Analytiker, Body Enlightenment-Therapeut, Psychodramatherapeut. 15 Jahre Tätigkeit in psychosomatischen Kliniken, seit 1999 Psychotherapeut und Supervisor in freier Praxis. Arbeitsschwerpunkte: Trauma, Bindung, Distanzkultur,Integration von Körper und Wort, Psychosomatik, Übertragung und Gegenübertragung

Korrespondenz: Dr. Jörg Clauer, Krahnstraße 17, D-49074 Osnabrück

Téléchargements

Publiée

2003-04-01

Comment citer

Clauer, J. (2003). De l’identification projective au contre-transfert incorporé - Une psychothérapie du corps et de l’ame. Science psychothérapeutique, 11(2), 92–100. Consulté à l’adresse https://psychotherapie-wissenschaft.info/article/view/434