Schémas relationnels et ordres de valeur
Résumé
On trouve dans les traités les plus variés, ainsi que dans beaucoup d’études et de méta-analyses, le mot à la mode de « relation », répété comme un mantra, de sorte que l’importance de la relation en psychothérapie est devenue une évidence. La relation est considérée comme un cadre et une méthode, comme un principe actif et comme un médium. Il semble bien que, dans le contexte du débat actuel en rapport avec la psychothérapie, le pendule oscille entre deux pôles : relation vs. méthode/technique, pour se fixer nettement du côté de la relation. Partant de la psychothérapie par entretiens, des distinctions ont été faites entre la relation de travail, la relation d’alter ego, la relation de dialogue et la relation de transfert. Les règles méthodiques en rapport avec la thérapie du comportement ont été complétées de règles relationnelles et les psychanalystes ont abandonné un modèle relativement technique pour une approche plus axée sur le dialogue. Considérer la technique comme moins importante ne signifie toutefois pas que « la relation » est devenue le plus important « facteur actif ».Au niveau des « diagnostics structurels », la relation joue un rôle central autant par rapport à la pathologie des conflits qu’à la pathologie du développement. Il reste que lorsque les chercheurs s’entendent pour dire que la relation est un « facteur » important, ils considèrent cette notion de manière peu différenciée. Il se peut que les corrélations statistiques soient indéniables, mais la question de savoir « comment agit » la psychothérapie demeure sans réponse. La « relation » entre thérapeute et client n’est pas une fin en soi, mais sert à modifier le vécu et le comportement du client. Dans ce sens, elle n’est pas un « facteur actif» et il n’y a pas besoin de formuler tous les processus en termes « centrés sur la relation ».
À l’origine, la structure de la psyché avait été conceptualisée par toutes les approches psychothérapeutiques à un niveau « intrapsychique » ; il y avait des conflits inconscients entre pulsions (PA) ou des liens conditionnés entre stimulus et réflexe (TC), puis il y a eu plus tard des cognitions (TCC) et des « beliefs » (PNL). Le philosophe Scheler avait conceptualisé dès le début du XXe siècle la structure de la psyché en utilisant le modèle de « ordo amoris ». Selon lui, seul l’individu qui connaît les règles régissant « l’ordre de valeurs émotionnelles » devient conscient de celui-ci. Il considère que l’ « ordo amoris » correspond pour l’être humain, sujet moral, à la formule qui donne naissance et forme au cristal. Plus récemment, des concepts « centrés sur la relation » ont été utilisés pour saisir la nature du psychisme. Parmi les schémas relationnels internalisés, on différencie ceux qui sont fonctionnels et ceux qui ne le sont pas. Ce sont ces schémas relationnels que la psychothérapie doit cerner et modifier. Dès lors qu’on adopte une perspective « interpersonnelle », il ne suffit plus de saisir ou de modifier par la réflexion « l’ordre de valeurs » (Scheler) ; il faut faire de nouvelles « expériences interactives » pour que puissent s’établir de nouveaux « schémas de connexion ». Le fait que l’on soit d’accord pour considérer que de nombreux schémas sont assimilés dès la première enfance ne devrait pas inciter à penser que ce processus d’apprentissage est toujours conceptualisé de la même manière, ni qu’il n’existe qu’une seule théorie concernant la manière dont ces comportements potentiels sont actualisés dans les relations entretenues à l’âge adulte.
Alors qu’actuellement la psychothérapie porte attention en priorité aux schémas relationnels, qu’elle classe selon qu’ils sont « mal ajustés » ou « adaptés à la situation », Scheler pensait que ces schémas étaient en rapport avec des ordres de valeurs. Contraster représentation de vécus relationnels et ordre de valeurs revient à formuler une sorte de cercle vicieux ou à poser la question de savoir si l’œuf ou la poule vient en premier : la distorsion des valeurs est-elle provoquée par un vécu relationnel négatif ou les schémas mal adaptés de comportement ont-ils leur origine dans une confusion des valeurs ? Quel est le rapport entre les deux dimensions ? D’autre part, poser ce contraste permet aussi de débattre de la manière dont on accède aux modifications thérapeutiques : le thérapeute tente-t-il de modifier le système de valeurs du client pour lui permettre de faire de nouvelles expériences relationnelles ou cherche-t-il à lui procurer de nouveaux vécus relationnels pour lui permettre de corriger les problèmes posés par son système de valeurs ?
Les deux conceptions - inter- ou intrapersonnel, schéma relationnel ou schéma de valeurs - peuvent être débattues en appliquant les concepts d’ordre élaborés par Hellinger et Scheler. Le premier n’a pas vraiment la réputation de considérer la relation conne un principe actif et comme un médium. Il reste qu’il s’intéresse à la relation en tant qu’objet. Le premier ouvrage publié par Hellinger, « Ordnungen der Liebe » (1994), porte presque le même titre que la contribution incomplète de Scheler qui a été publiée à titre posthume (1933), « Ordo amoris », même si chez Hellinger le pluriel et l’allemand sont utilisés. Alors que ce dernier effectue une distinction entre un ordre néfaste (dans lequel le négatif doit être réparé par quelque chose d’encore pire et des « petits » doivent assumer et faire pénitence pour des « grands » coupables) et un ordre salutaire (qui satisfait de manière positive aux besoins de compensation), Scheler distingue un ordo amoris concret d’un ordo amoris idéal. Il considère que le système d’attribution d’un ordre aux valeurs conduit à élaborer une morale. Durant le parcours existentiel de l’individu, cette morale devient des morales, dans le sens où l’ordre des valeurs évolue, ce qui conduit souvent la personne à devoir affronter des crises et des problèmes aux moments de transition et qui l’incite à entreprendre une thérapie.
Contrairement à Scheler, Hellinger ne conçoit pas les valeurs comme relevant de règles de préférence intrapsychi-que ; il considère les « ordres » comme des schémas relationnels interpersonnels adoptés par des familles et des groupes. La technique thérapeutique ne reflète pas forcément les différences entre les deux manières de conceptualiser ces deux aspects, ordre d’interaction ou ordre de valeurs ; mais ces différences sont claires au niveau de l’interprétation et de la manière dont les objectifs de la thérapie sont fixés. Par exemple, de mon point de vue, pour qu’un client soit heureux de vivre, il ne faut pas forcément qu’il (re-)construise « l’ordre social » trouvé dans son système familial ; il faut par contre que la vie acquière à nouveau une valeur dominante au sein de son système intrapsychique.
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Publiée
2009-07-01
Comment citer
Köth, A. (2009). Schémas relationnels et ordres de valeur. Science psychothérapeutique, (3), 101–107. Consulté à l’adresse https://psychotherapie-wissenschaft.info/article/view/43
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