Les thèmes existentiels éludés par le fanatisme

Auteurs

  • Verena Kast

Résumé

Est-ce qu'il faut considérer comme une ou un fanatique toute personne qui se passionne pour une idée sociétale ou scientifique, ou qui s'enflamme pour une croyance et poursuit ces idées avec enthousiasme et idéalisme ? Ou bien faut-il réserver ce terme aux personnes qui, au nom d'une religion ou d'une notion de justice, se croient posséder une vérité divine et tentent par tous les moyens - y compris la violence - d'imposer cette prétendue vérité ? Ne s'applique-t-il qu'à ceux qui se croient chargés de convertir les autres? Qui, parce qu'ils sont convaincus être du coté du bien, de ce bien qu'ils connaissent, sont déterminés à éliminer par tous les moyens le «mal» dans le monde? Et qui sont certains d'y parvenir un jour?

Günter Hole (1995, p. 39) propose la définition suivante : « Le fanatisme est une forme de conviction fondée en partie sur la structure de la personnalité de celui qui le manifeste et associée à des contenus et valeurs restreints ; le fanatique s'y identifie intensément, il les soutient ou les poursuit de manière durable et conséquente, sans être en mesure de dialoguer ou d'établir des compromis avec d'autres systèmes ou d'autres personnes - ces dernières sont perçues comme des ennemis contre lesquels il faut lutter par tous les moyens et en se conformant à sa propre conscience.» [notre traduction] L'existence s'accompagne alors d'un sentiment durable d'intensité, ce qui a des conséquences sur le plan individuel et renforce le sentiment de pouvoir influer sur le destin personnel et sur celui d'autrui.

Être capable de s'enthousiasmer, se sentir porté par l'émotion : tout individu a ces besoins de base, et pas seulement le fanatique. Mais tout besoin fondamental doit être satisfait et le problème se pose à partir du moment où il l'est de manière telle qu'il y a refus du dialogue et du compromis. On pourrait aussi parler d'intolérance, surtout lorsque cette incapacité est associée à un sentiment de haine pour ceux qui pensent autrement.

L’idéaliste et le fanatique
L'idéalisme passionné et le fanatisme ont des points communs : le zèle mis en œuvre pour poursuivre un objectif, le caractère presque obsessif qu'acquiert une idée absorbant toutes les énergies de l'individu. Cette personne est portée par quelque chose qui est plus grand qu'elle. Ceci lui donne une certitude d'être sur une voie positive et lui permet de se sentir vivante. Ce qui est différent chez l'idéaliste et le fanatique est que ce dernier est possédé par un zèle « aveugle » - aveugle par rapport à toutes les autres valeurs qui pourraient être choisies. C'est pourquoi il est très vite prêt à haïr et à détruire tout ce qui contredit la vérité qu'il soutient et qui, en s'imposant, doit lui montrer qu'il est une personne très spéciale.

Aspects et contexte du fanatisme
L'idée que le fanatique soutient a pour lui valeur absolue.
Il s'identifie à elle. II croit posséder une vérité pour ainsi dire divine qui va lui permettre de sauver le monde. Cet aspect missionnaire le pousse à imposer agressivement ses propres idées : crois ce que je crois ou tu vas mourir!

-    Le fondamentalisme fonde le fanatisme.

-    L'être humain est un zoon politikon, mais il est aussi un homo religiosus - à ce niveau, il n'a pas besoin de se percevoir comme tel pour l'être. L'association de la religiosité et de la
politique, surtout si elle ne s'accompagne pas d'une prise de conscience du besoin d'être porté par des émotions fortes, fait que des idées politiques se chargent de numineux (d'énergie à dimension religieuse).

-    Le fanatique réprime son ombre et la projette sur toutes les personnes qui croient en des valeurs différentes des siennes.
Ceci lui permet de maintenir une image idéale de son propre soi. Il est bon, les autres sont mauvais, il est pur, les autres sont contaminés. La réalité ne compte plus et souvent, elle est même reniée.

-    Lorsqu'un individu ne peut pas exister et/ou s'épanouir, il réagit par un sentiment de colère plus ou moins prononcé. Il tente de modifier la situation par le dialogue ou par un acte d'agression.

Or, lorsque cette colère est liée à un contenu de type fanatique, la personne se sent renvoyée au risque de se sentir impuissante ; pour elle, il n'y a que la réussite ou l'échec, tout ou rien, et elle n'a donc pas d'autre issue que celle de contrer ce sentiment d'impuissance en devenant violent (dans ce contexte, cela lui donne de la toute-puissance).

A ces aspects psychodynamiques s'ajoute un phénomène social. Volkmar Sigusch (1997) considère que la disposition actuelle à la violence est due, entre autres, à la tendance qu'a la société à faire de ses membres des objets, à leur dénier toute possibilité d'exprimer des émotions. Or, si l'homme est un objet, il est parfaitement légitime de le tuer.

Le mythe du héros tuant le dragon peut représenter une bonne image du fanatisme à tendances violentes, surtout lorsqu'il est mis en scène de manière inconsciente. Le drame mythologique du combat avec le dragon a été joué d'innombrables fois au cours de longs siècles. Si seulement saint Georges pouvait enfin tuer le dragon ! Le monde serait alors délivré. On ne cesse de tuer le dragon, mais cette victoire n'apporte pas de rédemption. Et saint Georges est vraiment un saint et le dragon est vraiment mauvais. Les méchants, ce sont les autres. Il faut donc lutter et vaincre. Peut-on ne pas être d'accord avec cet éternel mythe de rédemption ? Oui, on le peut.

Les thèmes existentiels escamotés par le fanatisme
Pour faire du fanatisme un comportement constructif - que cela soit possible est démontré par sa proximité avec l'idéalisme -, il faut rechercher derrière les symptômes qui le caractérisent les thèmes existentiels qu'il a permis d'éluder et réveiller leurs énergies. II s'agit entre autres des dimensions suivantes:

-    l'aspiration à la passion et au sentiment d'être responsable de sa propre vie
-    l'aspiration à un sentiment de vitalité et donc le besoin de vivre des émotions, des relations avec d'autres, avec le monde mais aussi avec son propre corps
-    l'aspiration à des expériences spirituelles
-    l'amour de la différence
-    la confiance en la plénitude de l'existence
-    l'acceptation de la finitude.

En nous centrant mieux sur la réalisation de ces thèmes existentiels, dans la société comme dans la démarche thérapeutique, nous pourrions transformer les potentiels fanatiques en un engagement porteur de vie.

Biographie de l'auteur

Verena Kast

Verena Kast, Prof. Dr. phil. Universität Zürich, Psychologin und analytische Psychotherapeutin in freier Praxis.Mitglied der Leitung der Lindauer  Psychotherapiewochen.

Korrespondenz: Prof. Dr. phil. Verena Kast, Hompelistrasse 22, 9008 St. Gallen

Téléchargements

Publiée

2003-10-01

Comment citer

Kast, V. (2003). Les thèmes existentiels éludés par le fanatisme. Science psychothérapeutique, 11(4), 191–201. Consulté à l’adresse https://psychotherapie-wissenschaft.info/article/view/417