Le travail thérapeutique sur le sens. Une voie pour soutenir les capacités d’auto-guérison selon l’exemple de la psychologie analytique de C.G. Jung
Résumé
« En fin de compte, la psychonévrose doit être perçue comme la souffrance d'une âme qui n'a pas trouvé son sens» (Jung 1932, § 497 ; notre traduction). Cette citation montre que la découverte d'un sens est la visée la plus centrale de la psychologie analytique : une guérison ou une amélioration peut être obtenue si l'on entreprend d'attribuer un sens, l'objectif étant de rétablir une totalité ou une intégration source de sens ; le sentiment de vitalité se remet alors à couler. « Mon but est de provoquer chez mon patient un état psychique dans lequel il va commencer à expérimenter sur sa propre nature - un état de fluidité, de changement et de développement dans lequel rien n'est fixé pour toujours et rien n'est irrémédiablement pétrifié» (Jung 1929/1950, § 99 ; notre traduction).
Cet état de «fluidité, de changement et de développement» caractérise la dynamique psychique d'une personne en bonne santé. Lorsque l'énergie est bloquée, la personne souffre d'un trouble psychique. En psychologie analytique, la théorie de la santé et de la maladie se fonde sur la capacité qu'a la psyché à s'organiser elle-même. Le phénomène d'autorégulation décrit par Jung correspond aux modèles élaborés par les récentes théories sur les systèmes évolutifs ; le développement de ces derniers peut aussi être perçu en tant que processus créatif. A partir de cette perspective, l'auteur propose une théorie de la maladie psychique:
La maladie psychique est le produit d'un blocage au niveau de l'autorégulation et de la transformation autonome de l'individu. Cet état de stagnation peut avoir ses origines au niveau psychique, somatique ou social. Pour qu'une régulation et un constant renouveau puissent se faire, il faut qu'il y ait des échanges ouverts, constants et équilibrés entre le monde intérieur et le monde extérieur, le conscient individuel jouant le rôle de médiateur.
Cette conception est basée sur la notion de système, ce qui implique qu'elle évite tout réductionnisme. Dans cette perspective, la maladie psychique ne peut pas être expliquée sur la base de schémas de pensée linéaire ou causale. Elle n'est pas non plus le résultat d'une faute. « Ce n'est plus comme on l'a longtemps pensé ou dit : « C'est parce que je n'accepte pas (par exemple) quelque chose dans ma psyché que je suis malade », une idée qui, notons-le, accorde au psychisme une préséance peu justifiable : la maladie fait partie de l'existence humaine et elle peut se manifester au niveau psychique, somatique ou même social. [...]
La maladie serait alors plutôt l'expression du fait que quelque chose de nouveau a fait irruption dans le quotidien et ne peut, pour l'instant, être géré que par le biais d'une manifestation morbide.» (Kast 1992, p. 164). «Quelque chose de nouveau» peut aussi signifier que certaines attitudes ou comportements ne sont plus adéquats ou trop unilatéraux compte tenu du fait qu'une nouvelle situation s'est créée ou que la vie a évolué. Selon Antonovsky, la santé n'est pas un « état final » durable ; elle est un processus qui se déploie continuellement dans le champ de tension opposant santé et maladie, maintien de la santé et guérison.
Il s'agit de développer un rapport à la maladie qui permette de sentir que la vie a un sens, même lorsqu'une guérison n'est pas envisageable. Ceci n'est toutefois possible que si l'individu a accès à ses propres ressources et sait qu'il peut influer sur l'évolution de la maladie, mais aussi réagir aux défis que lui pose la vie. Ici la confiance en soi est un sentiment important ; elle se fonde sur l'appréciation de soi et un équilibre psychique dynamique. Il s'agit là du principe salutogénétique - qui donne la santé et la maintient; celui-ci est représenté par un «sense of co-
herence » (sens de cohérence / SOC). « Le SOC (sens de cohérence) est une orientation globale exprimant le degré auquel la personne maintient un sentiment de confiance entier, durable et pourtant dynamique par rapport aux aspects suivants: 1. les stimuli produits dans le courant de l'existence par l'environnement intérieur et extérieur sont structurés, prévisibles et explicables; 2. l'individu dispose des ressources requises pour faire face aux exigences posées par ces stimuli ; 3. ces exigences sont en fait des défis par rapport auxquels il vaut la peine de faire des efforts et de s'impliquer» (Antonovsky 1997).
Une condition importante doit être présente pour qu'un sentiment de cohérence se développe : une dimension créative correspondant à un renouvellement de soi et, dans ce sens, à une source essentielle pour la santé. A ce niveau, la capacité à fantasmer joue un rôle central. Jung avait introduit cette dimension dans la thérapie en 1932 déjà, en élaborant des techniques servant à soutenir l'imaginaire. Il considérait que la source de toute créativité se trouve dans l'inconscient et que l'établissement d'une relation entre le moi est l'inconscient représente une étape essentielle de la guérison. Cette relation permet aussi à l'individu d'être plus attentif à lui-même, un aspect qui est aujourd'hui considéré comme fondamental par rapport au maintien de la santé. La capacité qu'aura la personne à porter plus d'attention à ses émotions et réactions qu'à l'environnement s'accompagnera d'une meilleure conscience de ses propres réactions affectives et somatiques, ce qui est une condition pour qu'elle ait des comportements sains. L'introspection permet aux patients d'acquérir un sens issu pour ainsi dire de l'intérieur d'eux-mêmes ; ils deviennent alors plus autonomes et apprennent à trouver des énergies curatives en eux-mêmes. D'autre part, une alliance thérapeutique positive peut alors s'établir dans des conditions optimales. Le patient se sent accepté parce que le thérapeute donne un écho positif à ses propres impulsions intérieures. De plus, cette manière de procéder élimine en grande partie le risque que le thérapeute dévalorise subtilement le patient.
Dans le cadre de la thérapie, le sens ou l'attribution d'un sens sont vécus comme une « expérience d'une totalité ». A ce niveau, le «sens» n'est donc pas un concept philosophique mais un vécu produit par le processus thérapeutique - une expérience affective et cognitive fournit un sentiment de totalité. Le «sens» est produit par une capacité à comprendre à la fois par la pensée et par le sentiment ; il implique l'esprit et le corps. La recherche d'un sens correspond à une quête de l'émotion ou du vécu qui apporteront la guérison (Schlegel 2004).
Dès le début de la démarche au cours de laquelle Jung a élaboré une théorie, celui-ci a attribué une grande importance à la notion de sens ; il était conscient du fait que pour qu'un processus de guérison soit possible, l'individu a besoin de donner un sens à sa souffrance et de viser un objectif qui lui fournira un sens, même si ce dernier ne peut pas être saisi de manière scientifique (selon le paramètre des sciences naturelles). «Le chercheur qui procède de manière purement réductrice perçoit un sens ultime à ces aspects purement humains et ne cherche pas d'explication autre que la démarche lui permettant de réduire l'inconnu et le compliqué à quelque chose de connu et de simple. J'appelle ce type de compréhension « compréhension rétrospective». Il existe toutefois une autre manière de comprendre, qui n'est ni analytique ni réductrice, mais qui est synthétique et constructive. Pour la désigner, j'utilise le terme de «compréhension prospective» et j'appelle la méthode correspondante « méthode constructive» (Jung 1914, § 391 ; notre traduction).
« Dès que nous examinons la psyché d'un point de vue causal ou scientifique, la fonction créatrice de cette dernière nous échappe. Nous ne pouvons pas saisir cet autre aspect du psychisme en n'y appliquant que le principe de causalité ; il faut donc que nous adoptions également un point de vue constructif. La perspective causale déduit et simplifie les choses, la perspective constructive les élabore en quelque chose de plus compliqué et de plus élevé. Dans ce sens, la seconde manière de procéder est forcément spéculative.» (Jung 1914, § 405 ; notre traduction).
L'utilisation de la méthode constructive se base sur les fondements biologiques de l'âme, sur les schémas innés de perception, de comportement et de développement que Jung a appelé les archétypes. Ces derniers s'expriment par le biais d'images archaïques synthétisant le processus vital. Ils donnent aux « perceptions sensuelles et psychiques qui apparaissent d'abord comme désordonnées et dissociées un sens qui en fait un tout ordonné et significatif; [...] ce tout permettra au comportement de se positionner de manière telle qu'il corresponde à ce sens. » (Jung 1921, § 694 ; notre traduction).
Le moi et le conscient changent de manière relativement aisée, comme l'indiquent le fait que Jung considère le moi comme un complexe et la notion même de complexe. Le complexe du moi se forme tout au long du développement de la personne, sous l'influence d'éléments relevant de sa biographie ; mais il demeure flexible jusqu'à la mort, ce qui fait que par interaction avec le conscient, il continue à changer et à individuer (au sens jungien). C'est cet aspect qui fait que la psychothérapie peut avoir des effets : une évolution est possible, l'introspection et l'expérience de nouvelles interactions modifient le moi.
Le « sense of coherence » qui permet de saisir la vie et ses événements en tant que tout significatif et sur lequel l'individu peut influer est en fait le produit de l'évolution du conscient. La quête constante de cohésion et de sens est donc un comportement de nature archétypique qui permet d'organiser les comportements. L'être humain est toujours à la recherche de sens, de cohérence, de causalités et de solutions créatives puisqu'il doit forcément se faire une image du monde et de sa signification pour survivre. Le sens naît d'abord dans l'esprit et permet de créer un monde spirituel - la spiritualité constituant l'un des besoins fondamentaux de l'homme. Ce besoin est si profondément ancré dans la nature humaine que la perte du sens et de la capacité à agir enlève au psychisme de l'individu sa base vitale et le rend malade.
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