La genèse des douleurs chroniques entre la neuroplasticité et la psychodynamique

Auteurs

  • Ute Inselmann

Résumé

Le présent travail traite d'un phénomène observé chez les personnes âgées : dans cette phase, les pressions sont très souvent synonymes de pertes, qui exercent des effets complexes dans les domaines biologique, psychologique et social. Lorsque ces pertes s'accumulent et que l'idée de la mort est moins réprimée, la manière dont l'existence est organisée peut se déstabiliser et provoquer des troubles psychiques ou mener à des dépendances.

L'expérience d'avoir perdu quelque chose peut créer un problème important au 3e âge : elle est vécue comme très réelle, sur le plan concret - somatique, cognitif et social - et psychique. Des patients hospitalisés dans un service de médecine gériatrique ont fait l'objet d'une étude (Schmeling-Kludas etal. 2000) ; 57% et 69% souffraient de troubles psychiques. Dans l'ensemble, 25% des personnes âgées souffrent de troubles psychiques (KarlbauerHelgenberger etal. 1996) ; par contre, lorsqu'on étudie un groupe de patients hospitalisés dans un service de gériatrie, on constate que la proportion de facteurs d'origine psychosociale est nettement plus élevée (Schmeling-Kludas et Odensass 1994, Schmeling-Kludas etal. 2000). La recherche sur le cerveau, les observations cliniques et la théorie psychanalytique suggèrent que les expériences vécues à un jeune âge demeurent emmagasinées dans le cerveau (synapses) et dans la mémoire inconsciente ; elles peuvent donc provoquer des maladies (psychiques) qui débutent à partir d'un certain âge (Braun et Bogarts 2000, Heuft 1999, Freud 1941).

Des handicaps de type corporel, cognitif, social ou psychique peuvent conduire à la dépendance et au besoin de soutien. Or, il est important que les personnes âgées demeurent indépendantes, non seulement parce que cela leur donne une meilleure qualité de vie (Herkommer et Steinhagen-Thiessen 1991, Füsgen 1996), mais aussi parce que l'évolution de la pyramide des âges fait que cet aspect est important du point de vue social et économique. Pour cela, ces personnes auraient souvent besoin de réhabilitation ou d'un soutien psychothérapeutique (Füsgen 1996, Radebold 1996), mais celui-ci ne leur est pas suffisamment offert et, à l'inverse, elles n'usent pas des offres existantes (Fichter 1990, Linden etal. 1993).

Nous présentons dans l'introduction le cas d'une patiente bien différenciée, âgée d'un peu plus de 70 ans et souffrant de multiples symptômes. D'un point de vue psychanalytique, une dépression d'ordre réactif accompagnée de vertiges recouvrait en fait un trouble anxieux, associé à une peur refoulée de l'abandon et de la mort, qui avait été constamment réactivé tout au long de sa vie aux multiples occasions où elle avait vécu une perte. Concrètement, ces pertes étaient maintenant associées aux relations personnelles et professionnelles, à l'exercice d'une profession et à la capacité à fonctionner sur les plans somatiques et cognitifs; ceci avait déséquilibré la régulation narcissique et accentué les problèmes dans le couple de la patiente. Les différents axes problématiques en étaient venus à constituer un cercle vicieux dans lequel ils se renforçaient mutuellement. Les vertiges étaient provoqués par des crises hypertoniques dues au stress (et à la peur) ; tout en contribuant à réduire l'anxiété, ils avaient tendance à se renforcer et à se généraliser. D'un point de vue psychothérapeutique, il s'agissait de prendre en compte des thèmes associés au présent et au passé sur la base d'une approche cognitive (traitement de la dépression) et psychodynamique, avec la participation du partenaire ; on enseigna également à la patiente des techniques de relaxation.

De plus, celle-ci suivit un traitement médical et fit de la kinésithérapie.

De très nombreux «jeunes vieux» jouissent beaucoup de leur vie entre les âges de 65 et de 75 ans (Baltes 1997). Il reste que lorsque de multiples facteurs de pression sont présents, il arrive qu'ils soient quelque peu dépassés (Maercker 2003, Radebold 1996) et ont alors de la peine à réguler leur bien-être de manière adéquate, dans le sens du paradoxe du bien-être (Staudinger 2000). Nous résumons ci-dessous les caractéristiques des pressions qui peuvent se manifester durant la phase du 3e âge :

1.    Les pressions d'ordre corporel, cognitif, social et psychique tendent à s'exercer de manière cumulative et à se renforcer mutuellement.

2.    Ces pressions correspondent à des événements réels dans le monde extérieur (pertes).

3.    Elles ne sont initialement pas progressives, mais peuvent le devenir dès lors qu'une autre valeur leur est attribuée.

4.    Le thème de la finitude de l'existence finit par s'imposer, ce qui implique éventuellement une modification du projet de vie, l'attribution d'une priorité au présent et le déclenchement d'un processus de deuil.

5.    Les pressions en viennent parfois à provoquer une mortification narcissique.

6.    Du fait que la vie privée devient plus importante, il peut arriver que des problèmes familiaux ou entre générations gagnent en virulence.

7.    Les restrictions qui peuvent se manifester au niveau professionnel, financier ou cognitif et somatique provoquent parfois une inversion des rôles entre les générations.

8.    Il est éventuellement possible que dans la relation avec des patients souvent plus âgés qu'eux, les thérapeutes fassent l'expérience de phénomènes particuliers de contre-transfert.

9.    Une réactivation de conflits datant de l'enfance peut rendre plus difficile la recherche de solutions aux problèmes actuels.

Il devrait être clair que la spécificité, l'aspect cumulatif et le renforcement réciproque des problèmes liés à l'âge qui touchent l'ensemble du domaine bio-psycho-social font qu'ils ne peuvent être résolus que si un soutien psychothérapeutique et une démarche de réhabilitation viennent se greffer sur le traitement somatique (cf. Herkommer et Steinhagen-Thiessen 1991, Karlbauer-Helgeneberger etal. 1996). Contrairement à ce qui se passerait si l'on considérait le 3e âge selon le modèle du déficit (Aristote, cité par Lehr 1977, p. 16 de la version allemande), il est possible de faire des expériences positives en utilisant différentes approches socio- et psychothérapeutiques empruntées à la fois au domaine de la thérapie d'orientation psychanalytique et à celui de la thérapie du comportement. La thérapie des personnes âgées pose certainement des défis particuliers, que ce soit au thérapeute ou aux théoriciens des différents courants ; il s'agit de définir des indications différenciées, d'intégrer et de développer plus avant les approches thérapeutiques de type psychanalytique et comportemental, mais aussi d'y intégrer des éléments qui puissent donner un sens au vécu des patients.

Biographie de l'auteur

Ute Inselmann

Inselmann, Ute, Dr. med., Fachärztin für Psychotherapeutische Medizin, Psychotherapie, Psychoanalyse (DKPM). Studium der Medizin in Hamburg, Tätigkeit in internis-tisch-kardiologischer und in verschiedenen psychiatrischen und psychosomatischen Kliniken, u.a. 1991-1992 Klinik für Psychotherapie und Psychosomatik der Universität Kiel, seit 1993 Institut für Psychotherapie und Medizinische Psychologie der Universität Würzburg. Wissenschaftliche Schwerpunkte: Musiktherapeutische Grundlagenforschung, Musiktherapie von psychotischen Patienten, Psychoonkologie, Unterrichtsforschung, Psychotherapie im Alter

Korrespondenz: Dr. med. Ute Inselmann, Institut für Psychotherapie und Medizinische Psychologie, Universität Würzburg, Klinikstraße 3, 97070 Würzburg, Deutschland

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Publiée

2004-07-01

Comment citer

Inselmann, U. (2004). La genèse des douleurs chroniques entre la neuroplasticité et la psychodynamique. Science psychothérapeutique, (3), 140–146. Consulté à l’adresse https://psychotherapie-wissenschaft.info/article/view/389