Méthodes qualitatives: le système de documentation de cologne, concernant la psychothérapie et le traitement des traumatismes

Résumé

Si l’on considère que la psychothérapie est une discipline scientifique indépendante, la question des méthodes de recherche appliquées dans le cadre de cette discipline se pose obligatoirement. Dans le présent article, nous partons de l’hypothèse selon laquelle les méthodes élaborées par des disciplines voisines - la psychologie expérimentale et la psychiatrie biologique - ne sont pas adéquates lorsqu’il s’agit d’étudier l’objet psychothérapie. Pour examiner cette dernière, il faut disposer de méthodes applicables aux processus de changement, c’est-à-dire à la manière dont la thérapie peut faire évoluer (comment et grâce à quels instruments) les personnes souffrant de troubles psychiques. Cela veut dire qu’il ne s’agit pas seulement d’examiner comment les patients en psychothérapie évoluent, en étudiant les résultats des processus ; il faut aussi définir ce qui provoque ces changements.

Notre article est structuré de la manière suivante : dans la première partie, nous comparons la psychothérapie - et en particulier ses orientations psychodynamiques - avec les disciplines voisines de la « psychologie expérimentale » et de la « psychiatrie biologique ».

Contrairement à la psychiatrie biologique, pour laquelle les troubles des fonctions psychiques sont considérés comme issus de troubles du système neuronal et dont les traitements sont à bases biologiques (exemple : les neuroleptiques), la psychologie expérimentale tient également compte, en plus des variables biologiques, de données liées au mental. Il reste pourtant que cette dernière vise à conserver son « caractère de science de la nature » et que, dans ce dessein, elle utilise une conception clairement définie des méthodes de recherche expérimentale. Il s’agit, en faisant varier systématiquement les conditions expérimentales, de cerner l’influence exercée par une ou plusieurs variables indépendantes sur une ou plusieurs variables préalablement définies. Le chercheur obtient l’explication qu’il vise s’il réussit à élaborer un modèle incluant les variables pertinentes pour un domaine donné ; dans ce modèle, les interdépendances entre variables seront intégrées. Ceci lui permet de formuler des prédictions qui seront vérifiées par le biais d’expériences. Par contre, la méthode de recherche utilisée pour la psychothérapie peut être décrite comme l’analyse de systèmes d’intentions au sein d’une attitude intentionnelle (Fischer 2007). En théorie, il s’agit de formuler des explications « intentionnelles », c’est-à-dire d’élaborer des systèmes de perception dans lesquels le comportement humain est considéré comme lié à des intentions - que ce soit des plans d’action, des visées, des objectifs, ou encore des motifs et des émotions.

On part d’une image de l’homme selon laquelle, en théorie, les actes d’un sujet doté de réflexion, de rationalisme et d’une capacité à l’action (modèle épistémologique du sujet), contraste avec une image behavioriste de l’homme. Cette dernière est caractérisée par le fait qu’elle considère l’être humain comme une entité réactivée et contrôlée par son environnement. Par ailleurs, on peut utiliser comme méthode de recherche « l’observation participante » en définissant spécifiquement comme objet les intentions et la communication. Ceci implique que le chercheur devienne part du processus de recherche et qu’il participe au processus d’une manière qui sera influencée par ses hypothèses. Les méthodes qualitatives correspondent à ces prémisses.

Dans la deuxième partie de l’article, les bases théoriques et méthodiques de la recherche qualitative sont présentées. Le terme de « recherche qualitative » ne recouvre pas des méthodes globales et intégrées, contrairement à ce qui se passe pour la recherche quantitative ; il se réfère à « des approches très variées sur le plan théorique, méthodique et méthodologique de la réalité sociale » (Flick et al. 2003, p. 18) qui sont considérées comme qualitatives essentiellement parce qu’elles se distinguent des approches quantitatives. Il reste que, même s’il existe des approches et axes de recherche très divers, le champ hétérogène de la recherche qualitative inclut certains aspects paradigmatiques qui sont communs à tous et qui peuvent être résumés par le biais de cinq postulats (voir Flick et al. 2003). Exigence d’une meilleure prise en compte du sujet au niveau de la recherche (dans le sens où la recherche qualitative vise à décrire des univers existentiels de l’intérieur, du point de vue de l’individu agissant : on part donc d’une image théorique de l’être humain défini par l’action). Postulat selon lequel la description doit être soigneuse (une description exacte et complète de l’objet). Postulat de l’interprétation (en sciences humaines, l’objet examiné n’est jamais entièrement perceptible et doit être saisi par le biais d’une interprétation). Orientation prioritaire vers le « quotidien » (contrairement aux designs expérimentaux de recherche, dans lesquels les conditions entourant l’acquisition de données sont contrôlées, les études de type naturaliste visent à prendre en compte la complexité de la pratique). Et conception selon laquelle les résultats peuvent être généralisés sur la base d’un processus d’extension (en sciences humaines, les résultats de la recherche ne sont pas généralisables de manière automatique ; on procède par étapes à partir d’un cas donné).

La manière dont ces cinq points paradigmatiques sont appliqués dans le cadre de la recherche est décrite dans la troisième partie de l’article, qui présente le système de documentation de Cologne destiné à la psychothérapie et au traitement des traumatismes (Kölner Dokumentationssystem für Psychotherapie und Traumabehandlung, KÖDOPS).

KÖDOPS est un système de documentation qui aide les praticiens à prendre des notes systématiques sur les séances et qui, dans ce sens, est considéré comme apportant un soutien au niveau de la planification du traitement. Ce système est intéressant du point de vue de la recherche, dans la mesure où un manuel permet de structurer les données en fonction de catégories plus larges, ce qui permet de comparer les déroulements de différents traitements. Il fournit une base sur laquelle pratiquer une recherche de cas systématique et comparative, donc une casuistique comparative applicable à la psychothérapie.

Nous présentons une étude à titre d’exemple illustrant la manière dont KÖDOPS est utilisé dans le cadre de la recherche. Dans cette étude (Barwinski Fäh 2005) - un travail sur la comparaison de cas individuels - l’auteur a tenté de répondre à la question de savoir quels sont les processus psychiques qui contribuent à ce que des expériences trau-matiques soient intégrées. Les données étaient constituées par les notes prises par l’analyste traitant pour trois thérapies de longue durée de patients traumatisés. Le plan de déroulement d’un projet de recherche permet de montrer comment l’utilisation de KÖDOPS permet de systématiser les différentes étapes. On décrit également la manière dont les « séquences pertinentes du point de vue d’une évolution » sont cernées en cours de traitement. Et une procédure est présentée qui, en définissant des critères, permet de formuler et de vérifier des hypothèses en rapport avec l’étude des processus de changement qui accompagnent un traitement psychothérapeutique.

À ce niveau, le système de documentation de Cologne permet de procéder de manière systématique ; il permet aussi de saisir des « choses » qui ne seraient éventuellement pas évidentes, compte tenu de la complexité de l’objet, si l’on procédait de manière moins structurée.