La?triangulation?de?l’âme?:?la?psychothérapie?entre?la?phénoménologie?et?les?neurosciences
Résumé
Une perception unilatérale de la science s'est établie dans l'ombre des succès incontestés remportés par les sciences naturelles aux XIXe et XXe siècles, perception selon laquelle on pense pouvoir saisir tous les domaines et soumettre même les sciences humaines et sociales à la dictature de mesures purement quantitatives. De plus, du fait que les processus sociaux sont de plus en plus souvent axés sur une dimension économique, la psychothérapie est soumise à la pression d'une exigence d'efficience et de faisabilité. On comprend alors que les psychothérapeutes tentent de reprendre des standards reconnus, s'assurant ainsi un accès à la communauté scientifique. Ce faisant, ils oublient que cette démarche aboutit à l'élaboration d'un modèle façonné en fonction d'une perception du monde et de la science qui ne fait pas partie de leur discipline. Ceci a des effets sur l'action thérapeutique, ce qui fait que cette dernière abandonne ses visées fondamentales qui étaient d'éclairer et d'émanciper.Des liens se sont créés ces derniers temps entre des orientations psychothérapeutiques utilisant des approches scientifiques correspondant au modèle des sciences naturelles, comme la théorie systémique et plus récemment la neurobiologie. Les développements récents de l'imagerie médicale, avec le CT, la tomographie par résonance magnétique et autres, ont beaucoup contribué à un essor de la recherche sur le cerveau et à des pronostics optimistes de ses praticiens. Les efforts entrepris dans le domaine de la neurophysiologie paraissent attrayants dans la mesure où ils se fondent sur les principes méthodiques appliqués en sciences naturelles, ainsi que sur une conviction que les tentatives d'explication scientifique peuvent se libérer de l'aspect ontologique. Il reste que les résultats obtenus par ce biais ne constituent pas une description objective de la réalité, même s'ils semblent correspondant à des facta bruta : il s'agit de constructions théoriques. Dès lors que la recherche sur le cerveau considère ce qui se passe au niveau des neurones comme à priori plus réel que le ressenti subjectif, les éléments interprétés de manière empirique ne peuvent plus être saisis que dans le contexte d'une ontologie concrétisante.
Cette recherche s'accompagne aussi d'un espoir qu'il est possible d'étudier le conscient sur des bases objectives, ce qui permettrait d'inclure à la démarche la psychologie et même la philosophie, et, ce faisant, de résoudre - par élimination - la question des rapports soma-psyché, un problème qui préoccupe depuis des siècles la philosophie et les sciences.
De plus, les chercheurs étudiant le cerveau formulent des énoncés globaux, fondamentaux sur l'être et sur la nature des processus mentaux en se fondant sur les domaines restreints qu'ils peuvent saisir au niveau expérimental. En réalité, ils localisent de manière plus ou moins exacte l'augmentation de l'activité neuronale à certains endroits. Le problème demeure de savoir quels schémas d'activité du cerveau doivent être attribués à des processus mentaux donnés puisque localiser ces schémas ne permet pas de saisir leurs contenus. De plus, le cerveau ne semble pas - selon l'état actuel des connaissances -être doté d'une instance chargée de coordonner des processus d'excitation neuronale qui y aboutiraient de manière synchrone et pourraient y être soumis à un processus cohérent d'interprétation ; par contre, en ce qui concerne le « moi », il peut être
considéré comme une instance chargée de planifier et de décider. On ne sait pas non plus comment le cerveau réussirait à se saisir lui-même, c'est-à-dire à acquérir une conscience de soi.
Les différentes manières dont la phénoménologie et la biologie approchent et expliquent les choses sont apparentes surtout au niveau de la question du libre arbitre ; alors que les sciences naturelles doivent partir du principe que nous sommes déterminés par des processus physiologiques, ce qui ne laisse aucune place à des décisions volontaires, la psychothérapie comme la pédagogie et le droit partent du principe que l'homme est capable de prendre des décisions librement et qu'il est donc responsable de ses actions. Ceci reflète notre sens commun mais aussi notre tradition culturelle. De plus, la signification et le sens d'une action ne peuvent être saisis que par le biais de leur contexte et des raisons qui ont motivé celle-ci, c'est-à-dire par le biais d'une interprétation et non par celui de la mesure de processus neuro-naux.
Il est vrai que les concepts propres à la psychothérapie ne se fondent pas sur le principe de l'existence d'une liberté et d'une indépendance absolues ; l'être humain est également défini par les rôles qu'il joue dans la société, il est influencé par des structures de besoins acquises lors de sa socialisation, par ses pulsions innées, ainsi que par le langage et les schémas d'interprétation comme les constructions de la réalité qui en découlent. C'est justement en s'affrontant à ces conditions et à ces possibilités que le sujet se constitue et construit un projet de vie. Il est d'autre part exact que notre conscient n'est pas une source d'information fiable, comme l'ont déjà constaté S. Freud et avant lui les philosophes Schopenhauer et Nietzsche. C'est pourquoi Freud avait posé l'inconscient comme fondement de tous les phénomènes psychiques. Cet inconscient s'élabore en fonction de l'affrontement à l'environnement social, au moment où l'enfant est confronté au désir et à l'inconscient des autres - mais il n'est capable d'en assimiler consciemment qu'une partie. Ces rapports dialectiques entre inconscient et conscient sont à la base d'une structure psychique développée en fonction de facteurs biographiques et c'est ce qui fait le sujet. Il s'agit donc en psychothérapie de développer un principe de réalité différenciant la réalité intérieure de l'expérience, les représentations du soi de celles de l'objet. En comprenant comment la réalité psychique se constitue au fil du temps, donc en renforçant une perception consciente de la réalité, la personne a également la possibilité de modifier le projet de vie qui lui était donné et de façonner à un degré plus important ses conditions existentielles. C'est à ce niveau que se situent les visées potentiellement émancipatoires de la psychothérapie.
Lorsque nous éliminons le dualisme entre différents modèles d'explication et les ambiguïtés du langage pour adopter une perspective réductionniste et déterministe - comme le font les spécialistes des neurosciences - nous ne mettons pas seulement en question notre identité en tant que sujets conscients d'eux-mêmes : nous renonçons à la possibilité de disposer d'un modèle de discours venant compléter des schémas d'explication limités, modèle qui joue un rôle essentiel dans notre culture. Ce faisant nous ne tenons plus compte de la question de savoir comment le vocabulaire de notre langage mental peut être traduit et comment notre héritage culturel historique peut s'accommoder des schémas linguistiques et explicatifs caractérisant les sciences naturelles.
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Publiée
2007-10-01
Comment citer
Spielhofer, H. (2007). La?triangulation?de?l’âme?:?la?psychothérapie?entre?la?phénoménologie?et?les?neurosciences. Science psychothérapeutique, (4), 183–188. Consulté à l’adresse https://psychotherapie-wissenschaft.info/article/view/112
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