Gestion de qualité en psychothérapie: applications possibles et problèmes

Auteurs

  • Marianne Ringler

Résumé

Ces dernières années on a systématiquement soutenu en Autriche des mesures devant garantir la qualité de la médecine et une gestion de cette qualité. On a accordé priorité à l’offre en traitements faite aux patients, donc au point de vue des consommateurs autant qu’à celui des fournisseurs de prestations; il s’agissait en outre de tenir compte d’intérêts économiques assez importants et de réduire les coûts de la santé. Les difficultés rencontrées lors de la mise en place des structures requises par la gestion de la qualité peuvent être résumées comme suit: il faut mettre au courant les fournisseurs de prestations, ce qui implique que ceux (par ex., les hôpitaux) qui offrent un produit (par ex., la santé) commencent à se percevoir comme une entreprise de services devant tenir compte de l’influence considérable exercée par les désirs des consommateurs (par ex., les patients). La qualité n’est pas le produit du travail d’une seule personne; elle doit être façonnée au cours d’un processus de collaboration au sein d’un groupe. Ceci signifie que les structures hiérarchiques jouissent d’une importance accrue sur le plan des responsabilités assumées, plus que sur celui des ordres donnés et exécutés. Dans ce sens, une base est créée sur laquelle se fonde une collaboration inter-et multidisciplinaire.
Il s’en suit qu’une organisation souhaitant améliorer la qualité de ses prestations doit se poser la question de savoir quelles sont les évolutions progressives requises, qui vont permettre d’améliorer la qualité de manière adéquate par rapport à un objectif donné. Les structures et processus logistiques actuels doivent être définis, y compris leurs lacunes; une nouvelle organisation doit être préparée et, en une dernière étape - quine peut être anticipée -, on se demandera quelles vont être les personnes/groupes professionnels qui seront le mieux à même de fournir les prestations. La gestion de qualité va donc toujours devoir surmonter les obstacles constitués par les exigences des différentes professions et les luttes pour le pouvoir. Elle a toujours pour objectif d’établir une offre en santé fondée sur des éléments dépassant les différentes spécialisations. Une seule personne ne peut jamais mettre en route des processus relatifs à la gestion de qualité. Ces derniers doivent toujours inclure toutes les personnes impliquées dans le travail concerné. Chacune de celles-ci doit définir ceux des processus et standards relevant de son domaine d’activité qui peuvent contribuer à ce que les objectifs soient atteints ou constituer des obstacles sur cette voie. Il ne s’agit pas du tout de confier à certaines personnes des tâches auxquelles elles ne sont pas formées et dont elles ne sont pas responsables; il s’agit uniquement d’améliorer la contribution apportée par le travail individuel à un produit final commun. Ceci implique que les processus de gestion de qualité requièrent de tous les participants qu’ils soient motivés. En une première étape, ces derniers doivent choisir un objectif bien défini et le décrire par rapport au déroulement de leur travail. Cette description du statu qua permet d’identifier les problèmes existants, au niveau interpersonnel en particulier. Ce n’est qu’ensuite qu’il sera possible d’élaborer de nouvelles manières d’accomplir le travail. Ceci signifie concrètement que toutes les personnes impliquées dans le produit final doivent recevoir une description des charges, élaborée conjointement par l’ensemble des personnes concernées; chaque tâche individuelle y sera décrite.

Il ne s’agit donc pas d’enregistrer et de stéréotyper des déroulements qui n’ont aucun sens; le ‘cahier des charges’ doit permettre d’examiner si les procédures prescrites sont utiles ou pas par rapport aux objectifs voulus et de décider si les différentes étapes de l’accomplissement des diverses tâches ont un sens ou non.

Il est clair que la rédaction de cahiers des charges permettant à chacun de vérifier son propre travail provoque de nombreuses craintes associées aux aspects pouvoir et contrôle. C’est pourquoi les processus de gestion de qualité ne peuvent être appliqués que là où les participants acceptent de considérer les cahiers des charges comme des outils de travail utiles. Leurs utilisateurs se servent de ceux-ci, d’une part, pour analyser leurs erreurs et, d’autre part, pour disposer d’un feed-back positif (renforcement). Si l’analyse d’un manque de respect des cahiers des charges ne sert qu’à contrôler autrui, il devient difficile d’introduire des changements. Ceci implique que le cahier des charges serve, par principe, à ce que l’individu soit mieux informé quant au déroulement de son propre travail, et que ce cahier soit formulé de manière telle que des innovations demeurent possibles.

Parallèlement, des voix vont s’élever, celles de ceux que les gestionnaires de qualité considèrent comme jouissant de la véritable autorité au sein des institutions. Ces processus de recherche de pouvoir doivent être continuellement examinés et il ne faut surtout pas sous-estimer leur rôle.

La gestion de qualité représente un outil fondamentalement neutre, pouvant servir de base aux actes professionnels. Ce sont ceux qui l’utilisent qui en sont responsables.

La gestion de qualité n’est pas un outil de formation, même si elle peut s’accompagner d’une stratégie visant à enseigner un savoir spécifique à certaines personnes, travaillant dans un domaine bien défini (par exemple, les psychothérapeutes des hôpitaux). Elle peut être appliquée soit au niveau des structures, soit à celui des processus.

Pour mieux éclairer mon propos, je fournis ci-dessous un exemple tiré de mon propre travail, concernant la manière dont des stratégies en matière de gestion de qualité peuvent être appliquées au travail des psychothérapeutes en milieu hospitalier. Notons qu’il ne s’agit pas d’inventer ou de développer de nouveaux processus ou interventions, mais de gérer un savoir acquis de manière plus systématique.

La première étape requiert que tous les participants se mettent d'accord sur les objectifs à atteindre. A mon avis, l’objectif des interventions psychothérapeutiques pratiquées en milieu hospitalier est de soulager ou d’éliminer des problèmes psychiques accompagnant un état physiologique requérant un traitement soma-tico-médical. Ces problèmes peuvent également être le produit de ce traitement ou des mesures de diagnostic et de thérapie prises dans son cadre. Dans ce sens, les traitements psychothérapeutiques pratiqués en milieu hospitalier se distinguent nettement de ceux trouvés en setting ambulatoire et leurs objectifs sont relativement limités.

D’un point de vue déontologique, il s’agit d’encourager les patient/es à réagir en adultes responsables, conscient/es des contradictions opposant leurs visées personnelles, les procédures de traitement et les limites de ce dernier. Ils/elles seront alors à même d’utiliser les offres médico-techniques de diagnostic et de traitement de manière responsable. C’est dans ce sens que nous (Ringler et al. 1994) avons élaboré le modèle viennois d’encadrement de patient/es souffrant d’un cancer du sein et de leur famille, ainsi d’ailleurs que le “Modèle viennois: un concept d’accompagnement des futurs parents après le diagnostic ‘malformation foetale’” (Ringler et Langer 1991). Au moment d’établir des structures d’accompagnement, il s’agit d’appliquer systématiquement un savoir scientifiquement fondé. Concernant la manière dont les patients assimilent une maladie, des études psycho-oncologiques ont montré que les aspects suivants jouent un rôle: présence de liens sociaux, capacité à rencontrer ouvertement la maladie et ses conséquences bio-psycho-sociales, possibilité de choisir librement les techniques opératoires, décisions aussi autonomes que possible, entrainement dans une méthode de relaxation, imagination, méthodes clairement structurées, et programmes bien définis sur le plan de leur contenu et de leur déroulement. Nous empruntons au projet de modèle concernant l’accompagnement de femmes ayant un cancer du sein les aspects structurels pertinents, ceci pour illustrer la manière dont nous avons intégré les points mentionnés à notre démarche.

En un premier temps, nous avons simplement observé la manière dont on procédait traditionnellement au niveau du diagnostic et de la thérapie, ainsi que les interactions impliquées. Nous avons ensuite eu des entretiens avec les patient/es, les médecins et les infirmières; ceci nous a permis de mieux saisir les problèmes de toutes sortes créés par la maladie. Nous avons également été contraints de travailler sur la manière dont nous nous sentions concernés. Ce n’est qu’alors que nous avons tenté, en collaboration avec les soignants, d’élaborer de nouvelles procédures permettant de mieux réaliser les points mentionnés ci-dessus. Il a en outre fallu intégrer le/la psychothérapeute au traitement de manière telle que son offre psychologique-psychothérapeutique ne soit pas ressentie pas les patient/es comme une stigmatisation et une blessure supplémentaire. Fondamentalement, nous voulions élaborer une structure et un processus de traitement permettant d’intégrer les points mentionnés plus haut sans qu’ils soient ressentis comme des corps étrangers. Nous souhaitions également laisser toute liberté aux patient/es concernant notre offre en psychothérapie. Nous avons donc synchronisé dans le temps nos interventions psychothérapeutiques et les processus de diagnostic et de traitement médical; c’est en effet ce dernier qui définit les moments où le vécu psychique passe par une crise. Concernant les patientes souffrant d’un cancer du sein, ces crises se situent aux moments du diagnostic ambulatoire, de l’hospitalisation pré-opératoire, du séjour post-opératoire et du traitement post-cure.

Mais le problème lié à ce type de modèle est souvent qu’il s’agit de les traduire en action dans le quotidien sans disposer des ressources qui existeraient s’il s’était agi d’élaborer un modèle d’action. Le modèle doit pouvoir être appliqué par des personnes qui n’ont participé ni à son élaboration, ni à son évaluation. Il s’agirait donc de définir (procès-verbal en matière de gestion de qualité) les pré-conditions structurelles et les processus existants dont il faut absolument tenir compte pour que la démarche soit couronnée de succès. La raison pour laquelle j’ai énuméré plus haut les points importants est qu’à mon avis, ils constituent les éléments essentiels d’un succès et que la manière dont ils se manifestent devrait être notée à chaque étape de la démarche dans un procès-verbal. Le modèle et ses différentes composantes ont déjà été publiés (Ringler et al. 1994); c’est pourquoi je ne reproduis ici qu’un diagramme illustrant les différentes composantes de la première étape - diagnostic ambulatoire (III. 1). Je souligne trois aspects à titre d’exemple: prise de contact, encouragement à prendre des décisions autonomes et enregistrement d’un status psychologique. Du point de vue de l’ICD-9, la première prise de contact ambulatoire, visant à établir un diagnostic, n’est pas à débattre. Elle se fonde sur l’expérience du fait que c’est à ce moment seulement qu’il est possible d’établir un contact fructueux avec les patientes. Les femmes auxquelles les médecins ou infirmières avaient recommandé une psychothérapie en cours de traitement seulement ont presque toujours rejeté cette offre. Nous interprétons ce refus comme suit: s’étant défendues à grand peine contre leur propre peur, elles se sentaient abandonnées par “les médecins”. Par contre, les chances qu’elles acceptent des entretiens plus tard sont meilleures; au moment par exemple où elles voient des malades partageant leur chambre y participer, elles peuvent avoir le sentiment d’être défavorisées et commencent à souhaiter en bénéficier. Nos entretiens n’ont jamais eu pour objectif d’imposer un plan de traitement - même s’il est clair que ce plan existait toujours. Avant chaque étape devant, par exemple, permettre aux femmes de prendre une décision pour ou contre une technique opératoire et le traitement l’accompagnant nous nous sommes d’abord renseignés pour savoir si elles en étaient capables (du point de vue de leur état psychique). Puis nous avons fait notre offre et proposé à chaque patiente diverses voies, dans le sens d’un training favorisant la prise d’une décision. Nous l’avons également encouragée à réfléchir à la procédure par rapport à elle-même et à ses expériences et souhaits rationnels. Dans la mesure où, au moment où nous avons entrepris ce travail, nous n’avions pas pour objectif une gestion de qualité, nous n’avons pas collecté les informations concernant chaque étape pour chaque patiente. Il aurait fallu, par exemple, noter quand et après quels préliminaires un objectif donné était atteint et dans quelle mesure. Cette dernière remarque montre très clairement que de nombreux problèmes de mesure et de quantification peuvent se présenter. Lorsqu’on s’occupe de gestion de qualité, il faut toujours avoir à l’esprit que la satisfaction du patient et aussi celle des soignants constituent des paramètres importants. Les stratégies de gestion ne doivent pas accorder au psychothérapeute un monopole concernant certaines procédures, simplement parce que c’est son métier; il faut que s’établisse un consensus au sein de toute l’équipe de soins et que l’on sache qui est responsable pour quelle tâche. Dans un contexte médical, des situations difficiles vont toujours se présenter et il faut qu’elles soient résolues par des décisions prises en équipe. Le point “encourager des décisions autonomes, possibilité de choisir une technique opératoire” fournit un exemple classique de cette dimension. Ce n’est finalement que l’équipe de traitement qui va pouvoir décider qui va se charger de cette tâche importante, quand, auprès de qui et à quel degré. Ceci exige que l’on s’intéresse aux besoins des patient/es, mais aussi que l’on fasse toute confiance aux capacités de tous les membres de l’équipe. Finalement, il faut toujours examiner la question de savoir jusqu’à quel point il est possible de mener les actions/ interactions/interventions requises et cerner les mesures prises dans le cadre de la procédure de traitement qui ont joué le rôle d’obstacle.

Il reste toutefois à noter que le gestionnaire de qualité en psychothérapie s’implique lui-même en tant que sujet, du fait du choix de l’objet dont la qualité doit être améliorée. Ceci implique que si des efforts de ce type réussissent à s’imposer, on verra très nettement à qui ils profitent. La gestion de qualité dans un domaine aussi complexe que celui de la psychothérapie requiert que l’on débatte des intérêts de toutes les personnes concernées: patient/es, psychothérapeutes, institutions et instances mettant à disposition les moyens financiers.

Biographie de l'auteur

Marianne Ringler

Marianne Ringler, geb. 1946, Dr. phil., Univ.-Prof. an der Universitätsklinik für Tiefenpsychologie und Psychotherapie Wien, von 1976 -1991 Aufbau und Leitung der Ambulanz und Arbeitsgruppe für psychologisch-medizini-sche Patientenbetreuung an der 1. Universitäts-Frauenklinik in Wien. Forschungsschwerpunkte: Psychosomatik in der Gynäkologie und Geburtshilfe, frauenspezifische Themen, Psychotherapie im Krankenhaus.

Korrespondenz: Univ.-Prof. Dr. Marianne Ringler, Universitätsklinik für Tiefenpsychologie und Psychotherapie, Währinger Gürtel 18-20, A-1090 Wien

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Publiée

1995-10-01

Comment citer

Ringler, M. (1995). Gestion de qualité en psychothérapie: applications possibles et problèmes. Science psychothérapeutique, 3(4), 207–213. Consulté à l’adresse https://psychotherapie-wissenschaft.info/article/view/666