Qu'est-ce qu'un bon ou une bonne psychothérapeute?

Auteurs

  • Rolf Klüwer

Résumé

Un bref examen des rapports entre psychanalyse et psychothérapie permet de formuler la thèse suivante: dans la mesure où l’application de la méthode psychanalytique est indépendante du setting, elle peut être utilisée dans n’importe quel contexte - y compris dans ceux que nous avons l’habitude de nommer “psychothérapie ". Une première caractéristique générale d’un bon psychothérapeute - parmi tous les thérapeutes utilisant la méthode psychanalytique-est donc qu’il est disposé à et que cela l’intéresse d’appliquer la méthode psychanalytique dans des settings variables. Dans ce sens, je considère Michael Balint comme un excellent exemple concret de ce qu’est un bon psychothérapeute psychanalyste.

Un bon psychothérapeute ne peut être parfait; il doit être - pour reprendre les termes de Winnicott - “suffisamment bon". Ceci implique qu’il accepte des limites de toutes sortes, en tant que produits du travail qu’il aura effectué sur ses idéalisations inconscientes. Sans cette démarche, des effets nocifs influenceraient le travail thérapeutique.

La psychothérapie analytique se fonde sur des aspects rationnels (“comprendre") - mais il faut effectuer une distinction entre “comprendre" et “montrer de la compréhension ". Comprendre a à voir avec l’identification de rapports inconscients.

Il est caractéristique du travail thérapeutique qu’il tende, d’une part, à accepter des limites et, simultanément, à en fixer. Il arrive souvent que l’on confonde “comprendre" avec laisser-faire, permettre et encourager un acting-out; l’erreur est que l’on ne fait pas de différence entre établir une bonne relation thérapeutique et gâter le client. Pour qu’un développement psychique soit possible, il faut absolument que le rapport entre “permettre” et “frustrer” soit équilibré. La relation thérapeutique est caractérisée par un mélange d’identification empathique et d’une démarche dans laquelle le thérapeute se met au diapason des tendances cachées du patient, d’une part, et d’une constante prise de distance par rapport à ces aspects, d’autre part. Lorsque le thérapeute se met à la place du patient à titre d’essai, il participe à ses émotions ou des réactions se produisent en lui qui risquent de demeurer présentes sans qu’il le remarque. Pour “comprendre” de manière utile à la thérapie il est indispensable qu’il identifie dans un délai raisonnable les émotions et connivences intérieures provoquées par le patient.

Le/la psychothérapeute doit être en aussi bonne santé psychique que possible car son travail l’expose constamment aux infections psychiques. Il/elle doit en outre être suffisamment sain/e pour être capable de respecter la règle d’abstinence, c’est-à-dire pour éviter d’abuser du patient pour satisfaire ses propres besoins, quels qu’ils soient.

Le psychothérapeute devrait être doté d’une bonne dose de sens commun et d’un bon rapport à la réalité pour être capable de juger à bon escient.

Je n’entrerai pas dans le détail des textes décrivant les exigences posées à celui qui veut devenir psychothérapeute. Mais il me semble important de souligner qu’un thérapeute ne doit pas être “bon” pour chaque patient. Différents thérapeutes travaillent dans différents registres, interagissent mieux avec certains patients et sont souvent particulièrement habiles à traiter des pathologies spécifiques. Le bon thérapeute devrait avoir acquis ce que Bion nomme la “negative capability” : la capacité à supporter des états négatifs tels le manque de sens, le désespoir, ou le manque de succès. Dans le cas en particulier de troubles profonds, il faut que le/la thérapeute puisse “survivre”, c’est-à-dire supporter ces états tout en demeurant intérieurement en liaison positive avec le patient.

Le bon thérapeute ne considère pas qu’il soit arrivé. Il ne considère pas le fait qu’il ait terminé sa formation en tant que fin d’un apprentissage, mais plutôt comme le début d’une phase dans laquelle il apprendra de manière plus indépendante. Etre psychothérapeute implique un processus continu et non pas avoir atteint un état. Ce sont ses patients qui peuvent apprendre le plus au thérapeute. Il aura encore plus d’occasions d’apprendre s’il rencontre à intervalles réguliers des collègues pour débattre de matériel clinique - comme je le fais depuis plus de trente ans avec un certain nombre de confrères dans le cadre de ce que nous appelons “conférence focale”. Tous ceux qui y participent ont souligné qu’elle leur a beaucoup appris, c’est-à-dire qu’elle leur a permis d’améliorer leurs compétences thérapeutiques. Une réunion d’une heure et demie a lieu chaque semaine, au cours de laquelle un groupe composé de jusqu’à dix candidats et thérapeutes diplômés discute d’une séance menée dans le cadre d’une thérapie brève, de l’interview initiale à la fin du traitement. Cette forme de collaboration me paraît supérieure à toutes les formes établies de formation continue et d’approfondissement des compétences cliniques.

Il est utile de réfléchir aux rapports entre “bon thérapeute” et “thérapeute efficace” - ces derniers temps les médias et différentes publications en ont fait des équivalents. On a l’impression qu’est bon ce qui est efficace et que seul ce qui est efficace est bon. Ce que
m’a raconté un collègue peut fournir matière à réflexion: il examinait une patiente qui, à son avis, avait été traitée pendant plusieurs années sans succès. Dans un certain sens, la patiente confirma son évaluation mais elle ajouta que le traitement avait représenté l’expérience la plus importante qu’elle n’eût jamais faite. Que devons-nous penser de ce genre de méta-effet qui, dans la mesure où il ne peut être quantifié, n’apparaît dans aucune statistique?

L’inverse devrait également faire réfléchir: une école pratiquant les thérapies brèves et se targant d’obtenir le plus haut pourcentage statistique de guérison -mais en pratiquant d’énormes manipulations. Il est tout à fait possible de “guérir” des patients en pratiquant systématiquement la manipulation -ceci est effrayant, mais vrai. U suffit que le thérapeute évite de se demander quel est le prix que le patient va devoir payer.

Le bon thérapeute ne se laisse pas corrompre par le marché de la thérapie. Les patients qui considèrent la thérapie comme un article de consommation et qui attendent du thérapeute qu’il les serve peuvent corrompre la démarche thérapeutique. Le bon thérapeute ne se laisse pas abuser.

Le/la thérapeute décrit/e plus haut n’est bien sûr pas bon/ne pour tous les patients dans le sens où, pour une bonne part de ces derniers, le traitement ne peut représenter qu’un soutien. Des patients différents ont besoin de thérapies différentes et donc de thérapeutes différents.

Comme l’a montré Wallerstein dans son étude, les éléments de support contribués par une thérapie sont souvent sous-estimés. U me semble que pour être compétent, un bon thérapeute doit maîtriser ce genre de paramètres. Ce qui n’exclut pas qu’il utilise les formes qui lui permettent d’exercer avec plaisir sa profession. Et ajoutons qu’un aspect non-négligeable de ce qui fait le/la bon/ne thérapeute est qu’il ou elle est capable d’effectuer avec plaisir un travail difficile.

 

Biographie de l'auteur

Rolf Klüwer

Rolf Klüwer promovierte 1953 in Köln als Psychologe. Psychoanalytische Ausbildung in München, Zürich und Frankfurt 1964 bis 1989 als wissenschaftlicher Mitarbeiter und später Professor am Sigmund-Freud-Institut in Frankfurt und am Institut für Kinder- und Jugendlichenpsychotherapie tätig. Publikationen vorwiegend über Fokaltherapie, Supervision.

Korrespondenz: Dr. Rolf Klüwer, Westendplatz 39, D-60325 Frankfurt am Main 

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Publiée

1996-07-01

Comment citer

Klüwer, R. (1996). Qu’est-ce qu’un bon ou une bonne psychothérapeute?. Science psychothérapeutique, 4(3), 169–173. Consulté à l’adresse https://psychotherapie-wissenschaft.info/article/view/648