La psychothérapie en l'an 2010

Auteurs

  • Hans H. Strupp

Résumé

Dans le présent article, je tente de prévoir ce que sera l’avenir de la psychothérapie psychodynamique. Rai en particulier cerné les tendances suivantes:

1.    On porte une attention plus particulière aux troubles et blocages de la petite enfance. Au lieu de simplifier la tâche du thérapeute, cette tendance rend le processus plus compliqué et fait augmenter la durée du traitement et ses difficultés.

2.    La majorité des traitements ne concernent plus les névroses classiques, mais les problèmes de patients “plus difficiles” (ex.: troubles de la personnalité, borderline et troubles narcissiques).

3.    Une plus grande importance est attribuée à la dyade caractérisant la relation thérapeutique, une attention particulière étant portée aux phénomènes de transfert et de contre-transfert. Le contre-transfert en particulier ne sera plus considéré comme un produit secondaire négatif qui peut être éliminé ou du moins atténué grâce à l’analyse personnelle du thérapeute. La mise en scène par le patient d’émotions, d’idées ou d’actes gênants est considérée comme résultant d’une longue histoire personnelle et comme le problème vraiment central de la “maladie” traitée. Il est donc inévitable que le thérapeute manifeste de fortes réactions à cette mise en scène, et celles-ci peuvent remplir une fonction extrêmement importante en l’aidant à traiter les problèmes interpersonnels et intrapsychiques de son patient. L’outil principal de l’analyste est une attitude de curiosité empathique qui produit “une illumination et transformation progressive du monde subjectif du patient" (Stolorow, 1990, p. 26). L’idée de “transfert non-contaminé” (Gin, 1982, p. 175) est une illusion, du fait que patient et thérapeute contribuent à donner sa forme à ce dernier. Il n’est en outre plus possible de soutenir l’idée qu’une interprétation authentique du transfert ne contient pas de “suggestions ”.

4.    La relation patient-thérapeute, y compris l’alliance thérapeutique, va jouer un rôle de plus en plus central, au niveau de la pratique comme à celui de la recherche.

5.    On admet de mieux en mieux que pharmaco-thérapie et psychothérapie doivent se compléter et qu’il faut que la collaboration entre les spécialistes de ces deux disciplines s’améliore.

6.    Bien que la majorité des thérapies se fassent encore en setting individuel, les thérapies de groupe, et les thérapies familiales ou de couple continuent à jouer un rôle clef.

7. L’accent continue à être mis sur des formes plus brèves de thérapie. Celles-ci incluent des aspects importants: intervention rapide, évaluation dès le début du traitement, établissement précoce d’une relation interpersonnelle, gestion par le thérapeute des restrictions temporelles, visées thérapeutiques limitées, processus dirigé plus fortement par le thérapeute, établissement d’un focus dynamique, ventilation ou catharsis, ainsi que flexibilité dans le choix d’une technique.

8.    On continue à tenter d’élaborer des traitements spécifiques concernant des troubles spécifiques - une tendance qui est fortement encouragée par les organismes de “gestion des soins”.

9.    Les manuels de traitement sont plus fréquemment utilisés comme guides au niveau du travail pratique et de la recherche.

10.    On continue à tenter de mieux saisir les mécanismes d’évolution, c’est-à-dire la manière dont la psychothérapie apporte une modification de la personnalité et du comportement. Les possibilités suivantes sont envisagées en tant que facteurs: a) la relation du patient au thérapeute et b) une forme ou une autre d’intervention technique. Il pourrait s’avérer que les facteurs les plus thérapeutiques sont ceux trouvés, de manière non-spécifique, dans toutes les relations humaines positives. Pourtant, des aptitudes thérapeutiques spécifiques occuperont une place importante; ce sont elles qui permettent de gérer la relation interpersonnelle de manière compétente. En d’autres termes, il se peut que le facteur thérapeutique central soit l’expérience faite par le patient du thérapeute en tant que “Autre signifiant”; il peut alors introjecter les émotions, attitudes et valeurs de cet Autre, ce qui permet de corriger les expériences qu’il a faites dans son enfance.

Il faut prévoir que la distinction faite entre psychothérapie expressive (considérée autrefois comme le domaine de la psychanalyse) et psycho- i thérapie de support (caractérisant d’autres formes de thérapie) perdra de son importance. On admet maintenant que toutes les formes de thérapie dynamique incluent simultanément des éléments expressifs et de support.

Il est aussi inévitable que l’on devienne plus réaliste et définisse de manière plus précise à la fois les potentiels et les limites de la psychothérapie. Comme le montre en particulier l’élaboration de nombreuses approches limitées dans le temps ou à court terme, les thérapeutes vont renoncer aux visées perfectionnistes qui, autrefois, dominaient leur discipline. Ils vont se rendre compte qu’il est rare que la psychothérapie guérisse de manière durable; ils accepteront mieux le fait que de nombreux patients requièrent un soutien répété. Bref, patients comme thérapeutes vont probablement viser une amélioration au lieu d’une guérison (si tant est que celle-ci n’ait jamais été possible).

Les diverses modifications de la théorie et de la pratique qui jouent actuellement un rôle de premier plan vont continuer à fournir nouvelles force et vitalité à la thérapie psychodynamique, contrairement à ce qui s’est passé il y a quelques décennies, lorsqu’elle fut pratiquement éclipsée par la thérapie du comportement.

N’oublions pas de mentionner le fait que de très nombreuses personnes vont devenir thérapeutes, ce qui implique un problème de formation. On peut s’attendre à ce qu’elles viennent de disciplines très variées, et que les unes disposent d’une formation et d’une expérience très complètes alors que les autres seront peu qualifiées. Parallèlement, les filières de formation continueront à appliquer des standards très variables. De nombreux soi-disant thérapeutes seront mal équipés pour assumer leurs responsabilités, au niveau personnel comme au niveau professionnel.

On peut s’attendre à une amélioration de la formation mais celle-ci demeurera sans doute une sorte de mosaïque, les différentes filières présentant d’importantes différences. Par contre, il est certain que l’on sera en mesure de mieux utiliser les moyens techniques, tels le CD-ROM et autres innovations, ce qui permettra d’exploiter les progrès accomplis dans le domaine de l’éducation et de la pédagogie.

A un autre niveau, il ne faudrait pas négliger le rôle de plus en plus important joué par la recherche contrôlée. Le domaine de la recherche en psychothérapie, autrefois réservé à quelques intrépides, va être mieux apprécié parles spécialistes et la société.

Finalement et que cela nous plaise ou non, la pratique de la psychothérapie sous toutes ses formes va être considérablement influencée par le développement de la gestion des soins, y compris l’importance que cette branche attribue aux traitements de courte durée adaptés à des troubles spécifiques, à des visées limitées et au contrôle des coûts. La psychothérapie dynamique ouverte va demeurer un luxe que ne peuvent s’offrir que relativement peu de membres de notre société. Il reste qu’une approche sans limite stricte dans le temps, soulignant l’épanouissement de la personnalité plutôt que la gestion de symptômes cliniques, va certainement survivre - du moins en tant qu’idéal. C’est en tout cas ce que j’espère.

Biographie de l'auteur

Hans H. Strupp

Hans H. Strupp, PhD., is Distinguished Professor of Psychology, Emeritus at Vanderbilt University in Nashville, Tennessee. He has been engaged in psychotherapy research and practice for 40 years and has been particularly interested in psychotherapy process and outcome research from a psychodynamic perspective.Correspondence: Prof. Hans H. Strupp, PhD., Department of Psychology, Wilson Hall, Vanderbilt University, Nashville, TN 37240, U.S.A.

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Publiée

1996-07-01

Comment citer

Strupp, H. H. (1996). La psychothérapie en l’an 2010. Science psychothérapeutique, 4(3), 144–151. Consulté à l’adresse https://psychotherapie-wissenschaft.info/article/view/644