Quelques remarques au sujet de la manière dont la psychanalyse conçoit la maladie et dont les troubles psychogènes peuvent être évalués

Auteurs

  • August Ruhs

Résumé

Fores appelé “troubles spécifiquement humains” ceux auxquels toute psychothérapie doit s’intéresser, les distinguant ainsi de ceux dont peuvent souffrir les animaux. A ce niveau, la psychanalyse et toutes les thérapies qui en sont issues et qui cherchent à mieux les comprendre et à en traiter les causes ont apporté une contribution révolutionnaire. La théorie générale et spécifique élaborée par Freud par rapport à certains troubles et névroses est en fait une théorie générale et spécifique de 1a “relativité", cette dernière apparaissant à trois niveaux épistémologiques: la relativité de la dichotomie normal/pathologique, les frontières relatives séparant individu et société et finalement, la suspension des limites temporelles imposées par la séquence présent, passé et avenir.

Concernant la (dis)continuité de l’aspect santé maladie psychique, la psychanalyse souligne expressément que c’est la culture qui définit ce qui est sain et ce qui ne l’est pas. De manière beaucoup plus marquée que dans le domaine de la médecine organique, les conditions politiques, économiques et culturelles et les idéologies qui leur sont liées au sein d’une ère culturelle produisent un modèle anthropologique appliqué, entre autres, par les sciences thérapeutiques. C’est ce modèle qui guide leurs agents, au niveau de leur motivation, de leurs attitudes, des valeurs qu’ils définissent et finalement de leur pratique.

Du fait qu’à l’origine la psychanalyse s’était intéressée à l’hystérie, son image de l’humain a impliqué dès ses débuts la question des limites du normal et du pathologique. Elle a démontré que chaque “individu" humain manifeste une dissociation entre un sujet conscient et raisonnable et un sujet inconscient irrationnel, guidé par ses pulsions. C’est ce second sujet qui influence à un large degré les attitudes, valeurs et comportements de l’homme, et jusqu’à ses symptômes et maladies. C’est pourquoi lorsque Freud parle des “modèles normaux d’affections maladives" il situe santé et névroses (mais aussi psychoses, perversions et psychosomatique) sur un continuum dont les éléments ne peuvent plus être strictement distingués et où qualité devient quantité. La “maladie" psychique est donc essentiellement un concept pratique, considérant que sont présents symptômes ou troubles psychiques à partir du moment où l’ensemble de la vie de l’individu est influencé par des actes néfastes ou du moins inutiles, ce dont ce dernier se plaint et qu’il associe avec des sensations déplaisantes ou une souffrance. Dans ce sens, l’évaluation de certains aspects en tant que psychopathologiques ne peut que difficilement être fondée du point de vue théorique ou scientifique au sens traditionnel. En plus des facteurs culturels définissant normalité et pathologie, une évaluation objective devient secondaire dans le sens où tout diagnostic doit se fonder essentiellement sur l’aspect subjectif des troubles, sur les émotions, les pulsions et les comportements que vit et décrit le patient. En plus de la relativité de la gravité des troubles et concernant la qualité de ces derniers, un problème supplémentaire apparait: au contraire de ce qui se passe en médecine organique, le véritable diagnostic d’une maladie psychique se fait au-delà des symptômes observés et/ou vécus par le patient, et ceci seulement en cours ou même en fin de traitement. Le diagnostic est donc toujours d’un type particulier (diagnostic ex juvantibus). Ceci implique une conjonction toujours valide entre guérison-recherche-diagnostic. La véritable “maladie" sous-jacente aux symptômes ne peut être saisie par le biais de nosologies psychiatriques systématiques, de type clinique ou purement descriptif. C’est pourquoi la psychanalyse a élaboré dès ses débuts son propre système nosologique et diagnostique. Les tentatives qu’elle fit pour classifier les troubles n’étaient pas simplement descriptives, mais aussi fonctionnelles dans le sens où des questions diagnostiques furent toujours traitées parallèlement à révolution de la psychanalyse, d’un point de vue à la fois pratique et théorique. L’élaboration de ce genre de classification implique toujours qu’une souffrance psychique soit considérée comme une maladie, dans un sens ou dans un autre, ce qui signifie qu’elle entraîne une action thérapeutique qui, elle, ne peut être décrite en un seul concept. Depuis Freud, les dossiers psychanalytiques s’écrivent et se lisent comme des nouvelles; parallèlement, le diagnostic pertinent du point de vue psychanalytique contient une réponse - dépassant le seul terme diagnostique - à la question de savoir pourquoi quelqu’un, doté d’une personnalité et d’une biographie spécifiques, souffre à un moment donné de symptômes spécifiques, d’origine psychique mais qui se manifestent soit au niveau psychique, soit au niveau psychosomatique, et pourquoi ou comment des circonstances existentielles spécifiques ont fait qu’il ait acquis ce caractère spécifique. Dans ce sens, il n’est possible d’évaluer la gravité d’un trouble, le besoin de le traiter mais aussi la capacité du patient à subir un traitement qu’après une démarche approfondie d’évaluation, et non simplement après un bref entretien ou sur la base d’un schéma grossier de diagnostic psychiatrique. En outre, et en grande partie du fait de la mise en application de lois sur la psychothérapie, la psychanalyse se voit contrainte de se justifier et de faire mieux contrôler ses traitements - alors même que ces contrôles se servent de moyens d’évaluation dépassés, au sens mentionné plus haut. Les organismes qui contribuent au financement des traitements s’intéressent plus particulièrement à l’évaluation des symptômes - maladie ou non - et au degré auquel ils requièrent traitement par le biais d’une thérapie à long terme. Ceci a finalement abouti à ce que les médecins-chefs interviennent en cours de traitement pour contrôler ce dernier. A notre avis, pour qu’il soit possible de maintenir les indispensables rapports de confiance entre patient et thérapeute et donc de mener des traitements aboutissant à une amélioration de l’état du patient, il faut absolument que les procédures d’expertise ne soient menées - si tant est qu’elles sont justifiables - qu’après des entretiens détaillés et avec le consentement de toutes les personnes concernées.

Biographie de l'auteur

August Ruhs

August Ruhs, Jg. 1946, Dr. med., Facharzt für Psychiatrie und Neurologie, Assistenzprofessor an der Wiener Universitätsklinik für Tiefenpsychologie und Psychotherapie, Lehranalytiker im Wiener Arbeitskreis für Psychoanalyse, Mitherausgeber der Zeitschrift „texte. psychoanalyse. ästhetik. kulturkritik“, Mitbegründer der „Neuen Wiener Gruppe/Lacan-Schule“.

Korrespondenz: Dr. August Ruhs, Universitätsklinik für Tiefenpsychologie und Psychotherapie, Währinger Gürtel 18-20, A-1090 Wien

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Publiée

1997-01-01

Comment citer

Ruhs, A. (1997). Quelques remarques au sujet de la manière dont la psychanalyse conçoit la maladie et dont les troubles psychogènes peuvent être évalués. Science psychothérapeutique, 5(1), 21–27. Consulté à l’adresse https://psychotherapie-wissenschaft.info/article/view/624