Nouvelles formes du désir d'angoisse et leurs implications pour la théorie de la relation d'objet de Michael Balint
Résumé
Michael Balint a compris très tôt que la disposition à l’angoisse et la manière dont cette dernière est assimilée influencent énormément la forme prise par les relations interhumaines; elles jouent donc un rôle presque pathognomonique. Dans l’ouvrage intitulé “Thrills and Regressions” (1959) il présente une première description très différenciée du phénomène du désir d’angoisse, en faisant le point de départ de sa théorie de la relation d’objet. Les analyses plus récentes proposées par des psychanalystes et des psychologues sociaux considèrent que “l'esprit de notre époque” fait qu’un sentiment fondamental d’angoisse et de nombreuses formes de narcissisme caractérisent l’homme moderne. Dans ce sens, de nouvelles expressions du désir d’angoisse - le bungee-jumping, par exemple, le surf sur le toit des wagons de métro ou le freestyle-climbing - sont à l’ordre du jour; leur analyse en termes de disposition à l’angoisse et de besoin de panique peut être intéressante. Elles montrent aussi sous un jour tout particulier la structure et la dynamique des relations interhumaines caractéristiques de notre époque.
Selon la théorie de la relation d’objet élaborée par Michael Balint, le phénomène du désir d’angoisse est à la base de deux types fondamentaux de relation, qu’il s’agit de différencier: les relations d’objet ocnophiliques et philobatiques. L’ocnophile est un être qui s’agrippe aux objets qu’il investit et qui doivent lui fournir protection. La crainte de perdre ces objets l’influence profondément. Son opposé, le philobate, est par contre un sujet qui a peur de se lier et qui évite toute forme d’attachement interhumain. Il fuit dans des “espaces dépourvus d’objets” et recherche le “thrill” (la sensation forte, le frisson). Il veut faire l’expérience du désir d’angoisse et de l’excitation qui l’accompagne. Il reste que même pour le philobate, il est important de survivre sans dommage à la situation dangereuse qui lui a procuré du plaisir pour revenir au réconfort de la sécurité.
La théorie psychanalytique de la relation d’objet a eu pour mérite, entre autres, de rendre mieux saisis-sable le contexte de l’abandonnisme (perte d’objet) en le mettant en rapport avec l’expérience que l’être humain fait de la mort. En dernier ressort, c’est la peur de la mort qui sous-tend toute crainte de perte d’objet. K.R. Eissler (1980) et R. Battegay (1979) ont particulièrement souligné cette dimension. Selon Eissler, l’angoisse dont souffre l’homme moderne recouvre un manque fondamental “d’intégration de sa propre mort". Battegay, quant à lui, considère que la certitude qu’a l’homme de mourir cause une “blessure narcissique dont tout être humain souffre”. Dans ce sens, pour le philobate comme pour l’ocnophile, la mort a le pouvoir de provoquer des peurs magiques et intenses. L’ocnophile ne craint rien plus que la séparation, en général sous forme de la perte d’un objet investi. La mort, en tant que séparation radicale, se trouve en arrière-plan de toute expérience de perte; elle marque les pertes d’attachement et de relation. L’angoisse du philobate est elle aussi profondément influencée par l’expérience de la mort. Cette dernière est finalement la puissance dotée du pouvoir de créer de nouvelles situations d’une manière extrêmement radicale. Tout changement radical et toute destruction sont symbolisés par la mort. Et même les “espaces dépourvus de relations et d’objets” dans lesquels il se sent bien symbolisent la mort.
Il paraît très intéressant d’examiner la théorie de la relation d’objet de Michael Balint sous l’angle des théories modernes du narcissisme. On se pose presqu’immédiatement la question de savoir si le type du philobate décrit par Balint a des points communs avec la “personnalité narcissique”. Au niveau de la description phénoménologique, ces points communs sont évidents. Du point de vue des formes nouvellement adoptées par le désir d’angoisse, l’individu à personnalité narcissique comme le philobate manifestent une affinité particulière pour les sports dont la pratique s’accompagne de risques, d’excitation, de situations limites et d’un vécu dangereux. Par contre, l’ocnophile évite ce genre de situation, car cela mettrait en danger son besoin d’attachement et de sécurité. Le philobate et le narcisse ont de nombreuses caractéristiques communes: la peur de s’attacher et de devenir dépendant, un grand besoin de liberté, une forte affinité pour le sensationnel et le changement perpétuel, une soif de nouveauté, une forte disposition à modifier des relations interhumaines pour satisfaire au désir d’angoisse. Ces rapports structurels et dynamiques indiquent que le philobatisme, les phénomènes liés au désir d’angoisse et les formes prises par ce dernier “en notre époque de narcissisme” (Christopher Lasch, 1982) ont des sources communes.
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