Automutilations chroniques: des patient/es difficiles
Résumé
Lorsqu’un/e patient/e se blesse volontairement, son environnement proche a de multiples réactions émotionnelles: consternation, sentiment d’impuissance, horreur et peur.
Du fait que les patient/es souffrant de sérieux troubles de la personnalité représentent une proportion croissante de la clientèle des institutions, mais aussi des cabinets de psychothérapie, la question de savoir comment gérer adéquatement les évolutions chroniques dans lesquelles les patients s’automutilent gagne en importance. Avant d’accepter de traiter ce genre de patient en ambulatoire et dans le cadre d’un cabinet privé, il faut poser un diagnostic clair et définir sans équivoque le contexte du traitement.
Nous traitons ci-dessous de la manière dont une psychothérapie peut être planifiée en fonction de l’élaboration d’un modèle tenant compte de son contexte. Cette approche doit permettre de préparer le traitement de patients difficiles en associant à sa planification leur environnement familial et psychosocial, ceci durant l’élaboration du modèle et le projet de psychothérapie déjà.
La manière dont Herpertz et Sass (1994) proposent de définir l’automutilation chronique nous semble utile:
“Par automutilation chronique manifeste, on entend toutes les blessures physiques que le/la patient/e s’inflige, exception faite de celles qui visent à entraîner la mort. Le patient comme ses proches savent que c’est celui-ci qui a causé la blessure.”
Cette définition exclut les comportements qui ont des effets néfastes indirects (fumer, par ex.), ainsi que l’abus de nourriture ou de boissons nuisibles à la santé.
Du point de vue clinique, on effectue une distinction entre des formes relativement peu sérieuses (coupures superficielles, petites brûlures, égratignures, morsures, coups sur la tête ou les extrémités, manipulation de plaies, brûlures causées par des substances alcalines ou acides, trichotilomanie, extraction d’ongles etc.) et d’autres formes plus graves (ablation de l’œil, castration, mutilation des mamelons, amputation d’une extrémité).
De notre point de vue, il faut inclure dans cette catégorie diagnostique les comportements autodestructeurs qui provoquent des atteintes physiques: infection ou lésions dermiques artificielles, saignements, ainsi que les hypo- et hyperglycémies provoquées sciemment par des patients diabétiques, etc.
Le service de traitement ambulatoire des automutilations chroniques établi dans le cadre de la Clinique universitaire de psychologie des profondeurs et de psychothérapie de l’Université de Vienne a développé un schéma, sur la base duquel une psychothérapie peut être planifiée- la “Kontextorientierte Modellentwicklung bei einer Psychotherapieplanung”, KOMEPP (Schuster et al., 1998, en préparation). L’utilisation de ce schéma permet souvent de créer les conditions rendant possible l’offre d’un traitement psychothérapeutique à ce groupe de patients difficiles.
Lors du processus menant à un premier entretien on tente de définir, avec le/la patient/e, les variables qui vont favoriser le traitement. La discussion des problèmes se fait sur des bases multiprofessionnelles et multiécoles et tente de saisir les points saillants du contexte. Ceci implique que les professionnels qui se sont déjà occupés du patient (médecins, assistantes sociales, psychothérapeutes) et les personnes appartenant à son contexte social (famille, enseignants, assistants sociaux etc.) collaborent directement à l’élaboration d’un modèle de psychothérapie. Durant la phase qui précède la planification du traitement, toutes les personnes faisant partie de l’environnement du patient participent donc à la discussion, ce qui permet de préparer un modèle individuel de traitement.
Une planification soigneuse de la psychothérapie permet ensuite d’appliquer ce modèle. Les patient/es souffrant de sérieux troubles de la personnalité sont souvent incapables de gérer la thérapie. Lorsque des problèmes se présentent dans leur environnement social, leur famille, avec leurs enfants, etc. ce sont souvent une assistante sociale ou un médecin qui assument cette fonction. L’unique possibilité de mener une psychothérapie avec ces patients difficiles implique fréquemment que l’on confie à une personne 'externe’ la tâche de gérer le traitement, de le coordonner et de servir de 'centre de décision’.
Du point de vue de son contenu, nous considérons qu’une thérapie d’orientation psychanalytique doit viser à mettre en évidence les aspects ayant une fonction psychologique qui sont contenus dans les actes d’automutilation. Le patient qui se voyait contraint d’agir (dans un sens destructif) doit pouvoir faire l’expérience de et verbaliser ces contenus, découvrant leur signification dans le cadre d’une interaction avec le thérapeute. Initialement, il va sans doute refuser cette signification; mais en cours de thérapie, elle pourra être intégrée dans l’ensemble de sa personnalité.
Du fait que les patient/es dont nous parlons souffrent souvent de graves troubles de la personnalité, les pronostics ne peuvent pas être trop optimistes - et pourtant une psychothérapie à long terme représente souvent la seule chance de traitement.
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