Modèles de la folie: Loren Mosher dans la tradition de Ronald D. Laing Le principe de la Soteria - placer la schizophrénie dans son contexte
Résumé
L’offre de santé psychique au sein d’une collectivité doit inclure une liberté de choix donnée aux personnes traversant une crise psychique. Nous traitons les individus en êtres humains et nos thérapies doivent refléter cet aspect. Au cœur d’une psychothérapie utile doit se situer un « être-avec » qui se substitue à l’idée traditionnelle du « faire-pour ». La présente conférence est donnée à la mémoire du professeur Loren R. Mosher (1933-2004) ; nous présentons ses travaux de recherche socio-phénoménologique, car ils ont beaucoup contribué à mettre en question les vues et les dogmes qui, jusque là, étaient profondément ancrés dans le domaine de la psychiatrie. Mosher était un praticien expérimenté qui, dans la ligne de la tradition établie par Ronald D. Laing, mit en place des groupes thérapeutiques, de petites unités de soins qui devaient assumer l’offre de psychiatrie sociale. Ronald Laing (1927-1989) et Loren Mosher ont élaboré de nouveaux modèles à partir de ce qu’ils voyaient, vivaient, ressentaient et découvraient. En d’autres termes : à partir de ce qui se manifeste, le phénomène. Chacun à sa manière, ils ont construit leurs prototypes et s’en sont servi pour expérimenter. Laing avait crée la Rumpus Room à Glasgow et le Kingsley Hall à Londres, ainsi que d’autres formes de cliniques psychothérapeutiques gérées par la Philadelphia Association ; Loren Mosher et Alma Menn ont établi la Soteria, Emanon et la Crossing Place. Vers la fin des années 1960, début des années 1970, alors que Laing rédigeait « La politique de la famille » (The Politics of the Family), « Nœuds » (Knots) et « Les faits de la vie » (The Facts of Life), Mosher menait des recherches sur et travaillait dans des milieux thérapeutiques, publiant aussi des articles sur la Soteria et Emanon, en collaboration avec Alma Menn (un bon résumé se trouve dans « Treatment at Soteria House », non publié ; ce texte a été traduit et publié en allemand sous le titre de « Dabeisein: das Manual zur Praxis in der Soteria », 1994). Mosher, après avoir étudié à Harvard et enseigné comme professeur de psychiatrie clinique, se centrait sur les personnes souffrant de troubles psychiques et se consacrait entièrement à leur thérapie. Son approche du traitement provoqua un débat fondamental sur la nature des troubles psychiques. Si nous savons ce qui nous rend fous, aliénés, nous pouvons définir ce qui peut nous guérir et comment.
Comme Laing, face à la psychiatrie clinique traditionnelle, Mosher appliquait un modèle empirique fondé scientifiquement qui était efficace lorsqu’il s’agissait de traiter de manière ouverte les personnes souffrant de blessures psychiques. Pour Laing et pour Mosher, la psychose est une manière momentanée de saisir le cosmos et elle implique unsens subjectif. Dans leur approche positive des troubles psychiques, la folie devient quelque chose qui fait partie de la nature humaine. Mosher plaidait en faveur d’un renforcement des ressources des patients et pour un partage thérapeutique de la nature humaine, ce qui devait les aider à s’aider eux-mêmes et finalement à vivre leur propre normalité. Laing et Mosher ont développé leurs propres principes au niveau de la psychothérapie des psychoses. Ils accompagnaient les patients psychotiques sans leur prescrire de médicaments, du moins au début. Tous deux croyaient que l’individu doit façonner lui-même sa vie. Leur travail de pionniers - à Kingsley Hall pour Laing et à la Soteria pour Mosher - a démontré que les personnes traversant des crises graves sur le plan émotionnel (épisodes psychotiques) guérissent mieux lorsqu’on leur offre un soutien humain que lorsqu’on leur fournit un traitement médical. La relation thérapeutique est la clé qui permet de transformer des connaissances scientifiques, des expériences, un travail d’équipe et la politique de la santé en un soutien concret. Dans le cadre de la Soteria, c’est la vie au sein du groupe qui est (et était) thérapeutique. Lorsqu’une personne souffre d’une psychose aiguë, la présence attentive des soignants, la consolation qu’elle peut apporter et l’atmosphère familiale du setting contribuent à améliorer son humeur. Les responsables d’un projet de type Soteria considèrent qu’il est possible de surmonter l’épisode psychotique, de le dépasser, puisqu’il s’agit d’une crise ; la démarche ressemble à un voyage au travers de l’aliénation, dont la personne peut revenir guérie. L’intense soutien personnel fourni à l’individu, la compréhension pour le vécu et le comportement de patients psychotiques constituent la base sur laquelle repose l’accompagnement psychothérapeutique.
La manière dont Mosher s’est impliqué au niveau de la politique de la santé a été guidée par la question suivante : qui a-t-il à redire lorsque l’individu peut guérir sur le plan psychique, être moins dépendant de neuroleptiques, assumer une plus grande responsabilité pour lui-même et avoir plus confiance en ses capacités ? Ces personnes consomment moins et elles sont des démocrates et citoyens plus pacifiques, plus contents, plus critiques et plus autonomes. Mosher voulait que les personnes traversant une phase de transition aient toujours le choix ; il voulait qu’en plus des cliniques traditionnelles, de nouvelles alternatives soient créées où l’on tiendrait compte des récentes connaissances scientifiques - ces collectivités devaient être restreintes mais nombreuses et il fallait que tous y aient accès. Comme ce fut le cas pour Laing, Mosher souhaite promouvoir la santé tout en renonçant à l’offre dans laquelle on ne fait que prescrire
- « Avalez ce cachet et vous vous sentirez mieux ». Les interventions élaborées par Laing et Mosher pour agir au niveau relationnel dans la société se fondent en fait sur une confiance accordée à nos capacités d’autorégulation. Une existence saine, fondée sur la conviction que l’âme a le pouvoir de guérir.
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