Que dire ? ... Comment le dire ? ... Quand le dire ? - Réflexions sur l’évolution de la théorie clinique concernant la psychologie psychanalytique du Soi
Résumé
Prenant en compte l’accent mis de plus en plus sur des formes non-verbales de communication, notre travail reconsidère le processus d’interprétation en psychanalyse. Dans l’ouvrage intitulé « Narzissmus » (1973) Heinz Kohut traite des phénomènes de transfert narcissique sans s’intéresser plus que de manière indirecte aux mécanismes de défense et aux résistances. Ce furent des analystes qui s’acquittèrent de cette tâche et qui - guidés par la théorie des transferts de l’objet du Soi - ne considérèrent pas les mécanismes de défense comme une « dissimulation » de vérités en rapport avec l’agressivité et des désirs sexuels incestueux que le patient ne pouvait pas accepter. Quant à la psychologie du Soi, elle considère les phénomènes de défense et les symptômes comme servant à protéger un Soi faible et prône à la fragmentation. De son point de vue, les interprétations peuvent seulement dériver du savoir à disposition des explications quant à la signification des associations, alors même que comprendre le patient est plus important qu’expliquer. Cette compréhension est conçue comme une plongée empathique dans le monde du patient qui permet de l’examiner avec lui. Selon la recherche sur les nourrissons, elle inclut une série d’éléments qui définissent la communication au-delà des échanges verbaux. Bien qu’il y ait de bonnes raisons pour ne pas surestimer l’importance de la communication verbale, on considère alors que le dialogue thérapeutique, « la parole utilisée sur un mode interprétatif» - une manière marquée d’empathie et d’acceptation de comprendre et d’interpréter les défenses, les résistances et les symptômes - n’a aucun équivalent de valeur égale dans d’autres formes de la communication.On peut décrire le dialogue thérapeutique en disant que la thérapeute fait des déclarations ouvertes et temporaires en réponse aux associations du patient. Cette démarche sert avant tout à communiquer au patient comment son analyste l’a entendu et ce qu’elle a compris de sa communication. À la différence d’une « analyse empathique », ce type de parole exprime véritablement la présence émotionnelle de l’analyste, contribuant ainsi à ce que le patient se sente plus en sécurité au niveau psychique ; il prépare en outre la voie pour une co-construction du vécu du patient en permettant au transfert d’objets du Soi de se développer. Dans ce sens, il permet de dépasser la perspective « en monôme » (une personne) en psychanalyse et correspond à une psychologie en binôme.
Les besoins non-satisfaits de développement (qui se manifestent dans le transfert d’objets du Soi) sont tissés dans tout un réseau complexe incluant différentes couches de réactions inconscientes de défense ; en travaillant sur ces structures, il est possible d’acquérir de nouvelles manières de vivre le Soi et l’environnement individuel. Il reste que le besoin de répéter des schémas anciens et familiers de comportement subsiste à travers tout le processus thérapeutique, y compris une fois que de nouvelles structures psychiques ont été construites.
Il reste à répondre à une question : comment le fait que la thérapeute exprime, ne serait-ce qu’à titre temporaire, sa compréhension du patient peut-il inclure également les mécanismes pathologiques inconscients qui permettent au patient de s’adapter et qui sont devenus des aspects fondamentaux de la manière dont il se perçoit - aspects qui deviennent également visibles au niveau non-verbal de la communication ? La « parole utilisée sur un mode interprétatif » - l’acquisition en quelque sorte d’une certitude quant à ce qui a été compris - n’est sans doute jamais une simple répétition de ce qu’a dit le patient ; elle inclut toujours des aspects dont le patient/la patiente n’était jusque-là pas entièrement conscient/e. Ce mode d’interprétation est illustré par deux exemples cliniques.
Une autre modification de la théorie concerne la signification des transferts qui ont lieu en-dehors de la thérapie. La psychanalyse les considère comme des « transferts secondaires » et souvent comme un « traduire en actes » ; par contre, selon la psychologie du Soi les transferts d’objets du Soi peuvent se produire en différents endroits (et pas uniquement dans le cadre de l’analyse) et certains types de relations sont mieux aptes à satisfaire des besoins jusque-là non-comblés de développement. Cette conception permet aux analystes d’accepter, de comprendre et d’interpréter des comportements provoqués par la réactivation de besoins de développement, indépendamment de la question de savoir si ces comportements sont orientés vers l’analyste ou vers d’autres personnes appartenant à l’environnement social du patient.
Les transferts d’objets du Soi mettent à la disposition du Soi du patient des structures psychiques provisoires. Mais c’est seulement une fois qu’ils ont été interprétés systématiquement, en tenant compte de la manière unique dont chaque patient se défend contre la peur que des événements traumatiques se répètent, que des modifications progressives de la structure du Soi peuvent se produire. Au moment où ces modifications arrivent, le besoin de répéter des schémas familiers de comportement est progressivement remplacé par la peur de répéter précisément ces schémas. Au niveau de la structure, elles se manifestent par le fait que le transfert est moins souvent interrompu et que le Soi du patient se reconstitue rapidement après chaque déception traumatisante ; il reste que ces changements structurels devront constamment être revalidés en cours d’analyse, ce qui leur permettra de devenir des structures psychiques durables.
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Publiée
2009-07-01
Comment citer
Ornstein, A. (2009). Que dire ? . Comment le dire ? . Quand le dire ? - Réflexions sur l’évolution de la théorie clinique concernant la psychologie psychanalytique du Soi. Science psychothérapeutique, (3), 118–124. Consulté à l’adresse https://psychotherapie-wissenschaft.info/article/view/45
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