Les aspects spirituels en psychothérapie jungienne

Auteurs

  • Alfred Kirchmayr

Résumé

On pourrait comparer les trois tentatives que nous faisons de décrire des phénomènes rarement traités - l'esprit, l'humour et la joie de vivre - au regard jeté sur un objet dans une galerie d'art. Nous espérons susciter de l'intérêt pour des aspects drôles et salutaires, donner quelques idées au lecteur et contribuer à ce qu'il ressente consciemment plus d'amusement.

La psychothérapie et les plaisanteries ont un aspect en commun : les problèmes. Déjà Johann Wolfgang Goethe avait fait remarquer qu'il y a toujours un lien entre blagues et problèmes. Et s'il n'y avait pas de problèmes, il n'y aurait pas de railleries, pas d'humour et pas de psychothérapeutes. Et pourtant, les scientifiques ont porté trop peu d'attention aux plaisanteries et à l'humour, sans doute parce qu'ils sont associés à tout un monde et un savoir existentiels, à un niveau global de la culture, et qu'il est difficile de les analyser dans une perspective professionnelle plus ciblée.

Nous partons de la figure complexe du clown et de ses rapports ludiques et humoristiques avec l'enfance pour définir le véritable humour comme un produit de la joie de vivre et d'un « Eros céleste» (S. Freud). Nous examinons aussi les rapports entre blagues juives et humour. En effet, ces dernières semblent exprimer un condensé de savoir, de sagesse et d'art de vivre qui en fait l'une des choses les plus précieuses créées par la culture humaine.

Ce qui m'intéresse avant tout c'est de contribuer à ce qu'une certaine componction disparaisse de la scène psychothérapeutique pour qu'un rire libérateur engendré par la plaisanterie et le faux-sérieux de l'humour viennent éclaircir un environnement où ne domine pas forcément l'esprit.

On sait que dans l'Antiquité, les auteurs de pièces de théâtre considéraient l'existence humaine à la fois comme une tragédie et comme une comédie et la présentaient dans ses rapports entre sérieux et rire. Il est vrai qu'on pourrait pleurer en voyant tous les problèmes impliqués par la vie et les relations personnelles, par l'amour et la haine, par le besoin de pouvoir et de faire-valoir, ou en considérant l'écart qui sépare les idéaux de la réalité - mais on pourrait aussi bien en rire.

Le clown sous ses différentes formes est l'antagoniste du perfectionniste, du saint et de tous ceux qui jouent le rôle officiellement imposé par la vie. Il y a sans doute toujours eu des clowns symbolisant aussi l'innocence et l'humour. Car nous naissons inachevés - puis la vie et l'éducation réussissent à nous détruire plus ou moins systématiquement. Mais nous avons en nous un être qui tente de résister, qui nous aide à rester ouverts et vivants. Et cet enfant intérieur est le clown en nous, celui qui ne renonce pas, celui qui joue avec tout et qui nous encourage à adopter sa sagesse, son envie de vivre et ses aspects rebelles.

De manière similaire, les plaisanteries pleines d'esprit permettent de dévoiler sans pitié - mais de manière qu'il soit possible d'en rire - nos faiblesses et tous les aspects d'ombre que nous refoulons. Le clown comme l'esprit peuvent nous accompagner sur le chemin d'une connaissance du monde et de nous-mêmes qui peut être douloureuse, mais qui peut aussi avoir un aspect facétieux. Un exemple : « Que fait une femme qui a épousé l'homme de ses rêves ? C'est simple, elle se réveille !». Cette boutade juive peut faire mal, mais elle montre bien que la vie implique toujours des désillusions.

Pour moi, les bonnes plaisanteries sont comme de petites œuvres d'art, des produits de l'art de vivre, et je les utilise souvent en thérapie. Elles mettent en évidence le penchant pour le mensonge qu'a la société, les idéaux qui nous dépassent, et elles nous permettent de nous réconcilier avec les contradictions et les trop grandes exigences de la vie. Elles nous aident à nous libérer en y voyant plus clair, à nous détendre sur le plan émotionnel et elles provoquent un éclat de rire qui nous sauve.

L'humour a été appelé « Ernstheiterkeit» (un mélange paradoxe de rire et de sérieux) par Hugo Rahner; il naît de la joie de vivre et de la capacité à aimer. Lorsque je suis capable d'humour, je réussis à réconcilier de manière salutaire des expériences douloureuses avec une manière gentille de me percevoir avec ironie et de prendre de la distance par rapport à moi-même. L'exercice le plus difficile est celui qui consiste à rire de soi-même.

Selon Sigmund Freud, l'humour n'a pas seulement quelque chose de libérateur comme la plaisanterie ou ce qui est comique, il a aussi quelque chose de magnifique et d'exaltant. Il n'est pas résigné, il est récalcitrant ; ce n'est pas le triomphe du moi mais aussi celui du principe de plaisir réussissant à s'imposer face aux difficultés de la réalité (voir Freud 1992).

Dans sa géniale étude, « Der Witz und seine Beziehung zum Unbewussten » (Le mot d'esprit et ses rapports avec l'inconscient; 1905), Freud a fourni des éléments importants pour la construction de la psychanalyse. Et pourtant, cet ouvrage est peu lu - comme d'ailleurs les études que Freud a publiées plus tard sur la psychologie de la culture.

Gerhard Bronner, qui avait été le seul dans sa famille à survivre à l'holocauste, a résumé en deux mots l'humour juif: «Tränen gelacht» (rire des larmes). Ce qui ferait pleurer peut souvent provoquer - malgré tout - un sourire ou un rire mélancolique et pourtant libérateur. Il est frappant de constater qu'un peuple dont l'histoire n'a fourni que peu d'occasions de rire soit capable d'exprimer autant d'humour et d'esprit.

Ce n'est pas par hasard si le berceau de la psychothérapie moderne se situe dans les milieux juifs de Vienne. Sigmund Freud, Alfred Adler, Wilhelm Reich, Viktor Frankl et Jakob Levi Moreno furent sans doute les plus importants pionniers de ce mouvement qui a réussi, en allant en profondeur et en utilisant l'esprit et l'humour, à montrer à l'homme sa misère névrotique et toutes sortes de formes humiliantes de dominance, puis à l'en libérer. On dit que la psychologie des profondeurs contribue à élargir le champ du conscient ; on pourrait aussi dire qu'elle rend ce dernier plus gai.

Pour le peuple juif, le mot d'esprit était une arme lui permettant de gérer ses ennemis intérieurs et extérieurs et ses adversaires. Mais il peut aussi devenir un bastion et une pommade permettant de guérir toutes sortes de maux et de vexations. Le grand écrivain Scholem Alejchem l'exprime bien : « Lorsqu'un animal ressent une douleur profonde, il hurle. Mais une autre possibilité s'ouvre à l'homme - et il est le seul être vivant dans ce cas: il peut rire» (Bronner 1999, p. 13).

Biographie de l'auteur

Alfred Kirchmayr

Alfred Kirchmayr, Dr. theol., Dr. phil. (Psychologie und Soziologie); 1968-1981 Universitätsassistent für Praktische Theologie; 1981-2004 Akademieprofessor für Psychologie und Sozialphilosophie; seit 2001 Fachhochschullektor für Psychologie, seit 1976 Psychoanalytiker in freier Praxis; Schriftsteller (Mitarbeit an mehr als 30 Büchern, ca.120 Zeitschriftenartikel); Schwerpunkte der Forschung und Lehre: Religions- und Kirchenpsychologie, Politische Psychologie, Sozialpsychologie, Psychotherapieforschung. Aktueller Schwerpunkt: Witz, Humor, Lebenskunst und Psychotherapie.

Korrespondenz: DDr. Alfred Kirchmayr, Rokitanskygasse 15/2/27, 1170 Wien, Österreich

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Publiée

2005-04-01

Comment citer

Kirchmayr, A. (2005). Les aspects spirituels en psychothérapie jungienne. Science psychothérapeutique, (2), 47–53. Consulté à l’adresse https://psychotherapie-wissenschaft.info/article/view/366