Les thèmes tabous dans l’adolescence
Résumé
Pour la majorité des jeunes Autrichiens, la famille est un refuge naturel dans lequel ils se sentent protégés et où ils peuvent parler de tout ce qui leur passe par la tête (BMSG 2003). Par ailleurs, l'adolescence est aussi considérée comme une période de « Sturm und Drang » et de « comportements problématiques » (voir la synthèse de Steinberg et Morris [2001]). On a toujours eu des préjugés à l'égard des jeunes mais, vers la fin du siècle dernier, les chercheurs ont montré que ce qui se passe dans les familles est bien moins dramatique qu'on ne le pense en général. On s'est alors concentré sur les domaines suivants : comportements à risque, conflits et secrets (Arnett 1999, Steinberg et Morris 2001). Ce sont ces derniers que nous avons étudiés en priorité dans le sens, cependant, où nous ne partons pas de la notion de secret mais de la définition suivante du tabou : « Quels sont les thèmes dont les jeunes ne parlent en aucun cas en présence de leurs parents ? ». En bref, les deux principales questions qui nous ont intéressés sont les suivantes :a) Quels thèmes spécifiques de l'adolescence sont-ils tabous ?
b) Comment ces thèmes tabous sont-ils répartis par rapport aux différentes phases de l'adolescence ?
Les réponses à ces questions doivent nous permettre d'établir un premier profil des thèmes globaux pertinents du point de vue des jeunes.
Nous avons élaboré un questionnaire contenant 27 items en rapport avec des thèmes concernant les adolescents et avons demandé à 854 collégiens âgés de 13 à 18 ans et fréquentant sept écoles (filières générale et professionnelle, ainsi que lycées) de le remplir. Pour plus de détails sur la répartition démographique, voir Tableau 1.
Résultats. L'âge joue un rôle significatif. Ce sont les répondants qui se trouvent au début de l'adolescence qui indiquent le plus de thèmes tabous (moyenne, 9.2), avec entre zéro et 27 mentions. Dans les phases du milieu (3,3; 0-26) et de la fin de l'adolescence (2,8; 0-29) le nombre moyen de mentions est nettement moins élevé (p = 0,001) (Ill. 1).
Le type d'école et le sexe n'ont pas d'influence sur le nombre de tabous mentionnés. Par contre, on enregistre des différences importantes selon que l'école est confessionnelle ou laïque : les élèves des écoles confessionnelles mentionnent un nombre beaucoup plus élevé de tabous (p = 0,001) (Tableau 2).
Concernant le début de l'adolescence, les thèmes tabous les plus souvent mentionnés (44 %) sont les idées suicidaires et un intérêt pour des sectes, suivis (avec à chaque fois 38%) de peurs en rapport avec la sexualité, de l'homosexualité, des rapports sexuels avant le mariage et des enfants illégitimes - ce dernier thème perd toutefois beaucoup de son importance dans les classes d'âge suivantes (Tableau 3). Le thème des mauvaises notes à l'école ne joue un rôle que pour une minorité (2 %) des 13-14 ans. Les thèmes mentionnés demeurent presque les mêmes dans les autres classes d'âge, sauf qu'ils sont indiqués moins souvent. Le thème de l'intérêt pour les sectes disparaît même totalement dans les autres groupes (il n'est plus mentionné que par onze et huit pour-cent des répondants se trouvant dans la phase moyenne et tardive de l'adolescence). Par contre, le tabou des idées suicidaires se retrouve (avec 25 et 21 %) dans ces phases et il est même en tête de liste, juste devant les peurs en rapport avec la sexualité (23 et 21 %). Ici encore, les mauvais résultats scolaires sont le thème le plus rarement mentionné ; par contre, pour une minorité des idées personnelles en rapport avec les loisirs sont un thème tabou.
D'autres thèmes rarement mentionnés sont : critiquer les parents, aider dans le travail ménager, fumer et les étrangers.
Ce n'est que vers le milieu de l'adolescence que certains thèmes deviennent tabous pour un grand nombre de jeunes, dont les caresses, la psychothérapie, l'éducation sexuelle et le viol. Vers la fin de l'adolescence, les drogues et l'avortement font l'objet d'une mention.
Discussion. Notre étude montre que les tabous jouent un rôle relativement important - surtout dans la première phase de l'adolescence. Nous ne nous attendions pas à ce que le suicide et les sectes soient mentionnés aussi souvent. Il semble donc que, pour les adolescents, il existe de nombreux thèmes tabous.
Compte tenu du processus de maturation des adolescents, on est étonné de constater que des thèmes demeurent tabous même chez les plus âgés. Ceci concerne en particulier les sujets en tête de liste, comme le suicide, les peurs sexuelles, l'homosexualité, les rapports sexuels pré-maritaux et les enfants illégitimes.
Nos résultats concordent avec le principe de la théorie focale (Coleman 1974) selon lequel, pour la majorité des adolescents, certains thèmes acquièrent de l'importance à des moments donnés. Alors que certains thèmes en rapport avec la sexualité se retrouvent dans toutes les phases, celui de l'intérêt pour les sectes ne se trouve qu'en début d'adolescence. La mention du thème de la psychothérapie en tant que tabou nous paraît intéressante dans le sens où elle est peu fréquente dans la première phase, fréquente dans la seconde et à nouveau peu fréquente en fin d'adolescence. Ceci pourrait indiquer que la seconde phase est la plus critique.
Si l'on interprète avec prudence les thèmes du suicide et des sectes, on peut supposer que ces adolescents ont des idées dramatiques, mais aussi qu'ils vivent des conflits. Ne s'agit-il pas dans les deux cas - qui, pour une majorité, demeurent heureusement des idées - de scénarios « permettant de tout quitter » ?
Les résultats en rapport avec les thèmes liés à la sexualité, toujours mentionnés par un nombre relativement élevé d'adolescents, sont peu surprenants : peurs, homosexualité, rapports avant le mariage, enfant illégitime (tous mentionnés par 38% des répondants se situant en début d'adolescence) et menstruation (indiqué par 36 %). Quant aux autres thèmes d'ordre sexuel, ils sont mentionnés par au moins 22 % (éducation sexuelle) des adolescents âgés de 13 à 14 ans.
Suit une série de mentions en rapport avec la violence, composée des items suivants : possession d'armes, violence au sein de la famille (36 % chacun), souvenirs de la guerre évoqués par les générations plus âgées (33 %) et viol (29 %). Il reste que ces quatre thèmes ne sont indiqués aussi fréquemment que dans la première phase, leur importance en tant que tabou baissant dans les deux autres groupes d'âge.
Il est très significatif que les adolescents fréquentant des écoles confessionnelles mentionnent nettement plus de thèmes tabous.
Quelles conclusions pouvons-nous tirer de notre étude ? Une surtout : la famille n'est pas seulement un domaine protégé, au sein duquel les adolescents peuvent se développer, elle implique également des risques. Selon nos données, il existe un nombre relativement élevé de tabous chez les plus jeunes adolescents. Les thèmes faisant l'objet de ces tabous représentent un important défi pour les parents. Ce sont eux qui doivent aborder ces sujets, ou du moins qui doivent être conscients de leur existence ; faute de quoi, ils manqueront l'occasion qui leur est offerte de traiter au bon moment de ces domaines importants avec leurs enfants.
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Publiée
2006-10-01
Comment citer
Kropiunigg, U., Madu, S. N., & Barth, A. (2006). Les thèmes tabous dans l’adolescence. Science psychothérapeutique, (4), 165–171. Consulté à l’adresse https://psychotherapie-wissenschaft.info/article/view/305
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