Plaidoyer en faveur des fondements philosophiques de la psychothérapie

Auteurs

  • Paolo Raile

Résumé

En 1751 déjà, le médecin Johann Christian Bolten écrivait qu'il faudrait confier la «cure psychologique» aux philosophes - plaidoyer pour l'étude des fondements des écoles psychothérapeutiques

À l'époque de Platon, la philosophie était déjà considérée comme une façon d'accéder à la santé psychique et Épicure n'a eu de cesse, à travers ses écrits, d'encourager ses contemporains à philosopher, au motif qu'il n'était jamais trop tard pour s'occuper de sa santé psychique. Les liens entre philosophie et psychothérapie ont perduré jusqu'à l'époque moderne. En 1751, le médecin Johann Christian Bolten a postulé que les philosophes, et non plus les médecins, devraient s'occuper des maladies psychiques de l'homme car eux au moins connaissaient les lois de l'âme. Le célèbre psychiatre et psychothérapeute suisse Carl Gustav Jung a lui aussi insisté sur le fait que les psychothérapeutes étaient en réalité des médecins philosophiques et qu'un médecin qui n'aurait aucune connaissance philosophique ne conviendrait pas pour un travail psychothérapeutique. Idées relayées également au 21e siècle puisque le philosophe et psychothérapeute viennois Martin Poltrum écrit que la psychothérapie est en réalité une philosophie clinique.

On identifie d'innombrables recoupements avec la philosophie si l'on s'intéresse à l'histoire de la psychothérapie au cours du 20e siècle. Les interactions ne sont toutefois pas toujours positives. C'est en tout cas ce que soulignait Sigmund Freud dans les années 1920 en indiquant qu'il n'avait aucune formation en philosophie et que les philosophes ne voulaient rien savoir de l'inconscient. Trente ans plus tôt, il écrivait à Wilhelm Fließ qu'il cherchait à acquérir une reconnaissance philosophique et qu'il l'obtiendrait en passant de la médecine à la philosophie. Les élèves de Freud ont en revanche entretenu de meilleures relations avec cette discipline. Alfred Adler, à l'instar de Carl Gustav Jung, s'est intéressé à la philosophie. Ses premiers travaux ont été surtout marqués par l'influence de Nietzsche, avant de se référer à partir de 1912 à Hans Vaihinger, qui a étudié Kant et dont l'influence a transparu plus nettement ensuite dans les idées d'Adler. Parmi les autres élèves de Freud et d'Adler, Viktor Frankl a souvent affirmé que sa logothérapie notamment constituait en fait une méthode philosophique. Outre les noms déjà cités, il existe toute une série de psychothérapeutes célèbres qui se sont intéressés de près à la philosophie. C'est le cas d'Erich Fromm, dont l'ouvrage philosophique principal s'intitule «Avoir ou être», qu'il concevait comme un prolongement de la psychanalyse humaniste radicale. Jacques Lacan a fait référence à des philosophes comme Platon, Emmanuel Kant, Georg Wilhelm Friedrich Hegel ou Martin Heidegger dans sa reformulation des enseignements freudiens. Et aussi bien Ludwig Binswanger que Medard Boss ont établi un lien entre la psychanalyse et la philosophie de Martin Heidegger, donnant ainsi naissance à la Daseinsanalyse. Les théories psychodynamiques ne sont pas les seules à revendiquer un lien étroit avec la philosophie. C'est aussi le cas de la thérapie systémique, qui s'appuie sur la tradition philosophique du constructivisme, et de la thérapie du comportement que Donald Robertson décrit comme l'héritière de la Stoa antique.

Mais les idées des philosophes ne sont pas toujours suffisamment considérées et ceux-ci restent relativement méconnus malgré l'influence importante qu'ils exercent. Le philosophe français Henri Bergson en est un bon exemple, lui qui vécut de 1859 à 1941 et que sa rivalité avec Émile Durkheim fit connaitre. En plus de sa notion de durée, Bergson est surtout connu comme philosophe vitaliste du fait de l'importance qu'il a accordée à l'élan vital, repris par exemple par Carl Gustav Jung et intégré par Freud dans sa notion de libido, la considérant ainsi comme une énergie (vitale) psychique d'ordre général. Alfred Adler a également mentionné Bergson, se contentant toutefois de faire référence à ses enseignements fondamentaux le plus souvent en notes de bas de page. On estime qu'il doit aussi avoir influencé considérablement le philosophe Martin Heidegger, donc la Daseinsanalyse, mais aussi la psychothérapie centrée sur la personne, la logothérapie ou encore l'analyse existentielle. Bergson a également fait forte impression sur William James, qui le décrit comme un magicien dont la philosophie est un véritable repère dans l'histoire. James a été considéré ensuite comme le père fondateur de la psychologie moderne.

Malgré la grande influence exercée par Henri Bergson sur la psychothérapie, celui-ci reste très méconnu. De nombreux autres courants philosophiques ont contribué aux fondements des écoles psychothérapeutiques au cours de ces 150 dernières années. Le but premier de ce texte est de mettre en lumière l'importance du socle philosophique dans les écoles psychothérapeutiques. La recherche de ses fondements permet aussi de mettre au jour les hypothèses implicites de base qui ne figurent pas toujours dans les écrits originaux des fondateurs. En compilant les fondements, il est également possible d'identifier les similitudes et les différences entre les diverses écoles, voire une base philosophique commune à toutes, ce qui présente un intérêt majeur pour les futures recherches thérapeutiques.

Mots clés : philosophie, psychothérapie, hypothèses de base, Henri Bergson

Biographie de l'auteur

Paolo Raile

Ing. Paolo Raile, BA.pth. MS, est travailleur social et psychothérapeute en formation, sous supervision. Il dirige deux établissements à Vienne dans le domaine psychosocial.

Publiée

2016-12-29

Comment citer

Raile, P. (2016). Plaidoyer en faveur des fondements philosophiques de la psychothérapie. Science psychothérapeutique, 6(2), 167–175. Consulté à l’adresse https://psychotherapie-wissenschaft.info/article/view/260