Esther Rhyn & Agnes von Wyl
Psychotherapie-Wissenschaft 10 (1) 77–78 2020
www.psychotherapie-wissenschaft.info
https://doi.org/10.30820/1664-9583-2020-1-77
Mots clés : psychothérapie, sentiment amoureux, amour de contre-transfert, sentiments sexuels, sentiments érotiques
Les sentiments amoureux sont une chose merveilleuse, qui transforment l’univers affectif d’une personne en une mer agitée. Quand de tels sentiments naissent cependant dans le setting psychothérapeutique vis-à-vis des patientes et de patients, cela peut devenir explosif. Freud l’avait déjà constaté. C’est à ce propos qu’il a forgé le concept de contre-transfert, dont l’évolution a été poursuivie au cours des 100 dernières années. À partir du milieu du 20e siècle, des chercheurs ont tenté d’appréhender scientifiquement le phénomène de l’amour. Dans le sillage de cette évolution se sont développées différentes branches de la recherche allant de la biologie de l’évolution à la neurobiologie. Le fait que des scientifiques aient défini la notion d’amour à partir de différentes constructions, comme par exemple l’émotion, la tendance active ou une fonction mentale ont compliqué la possibilité de traiter l’amour sur un mode ayant une validité générale. Deux grands domaines, l’amour entre partenaires accompagné d’amitié et d’affection et l’amour-passion accompagné de romantisme et de sexualité se sont cependant cristallisés. Un des premiers travaux sur le sujet du sentiment amoureux et des phénomènes associés de thérapeutes vis-à-vis de leur clientèle a été réalisé au milieu des années 1980. Les articles plus récents à ce sujet relèvent plutôt de considérations éthiques, de présentations de cas et de réflexions. Comme les études empiriques relatives au sujet des sentiments amoureux vis-à-vis des patients et des patients en psychothérapie datent de plusieurs années, les questions suivantes ont été formulées pour la présente étude :
Les données alimentant la présente étude exploratrice à caractère épidémiologique ont été relevées du 1er octobre au 7 novembre 2018 dans toute la suite auprès des psychothérapeutes à l’aide d’un questionnaire rédigé en quatre langues différentes. Outre les sentiments amoureux vis-à-vis des patientes et patients ont été questionnés des phénomènes associés tels que : trouver la clientèle attirante, flirter avec la clientèle, penser avec nostalgie à la clientèle, se sentir sexuellement attiré par la clientèle, éprouver des fantasmes sexuels vis-à-vis de la clientèle, échanger des actes érotiques avec la clientèle (p. ex. embrasser ou caresser), envisager des contacts sexuels avec la clientèle, nouer une relation amoureuse avec la clientèle et coucher avec la clientèle. En ce qui concerne la recherche de modèles explicatifs, les personnes interrogées ont été priées de décrire une situation concrète liée à des sentiments amoureux vis-à-vis de la clientèle et de sélectionner sur la base d’un choix de réponses multiples des raisons pour la naissance de tels sentiments et/ou donner leurs propres réponses.
L’échantillon consistait en 409 participants parmi lesquels 237 thérapeutes ont également répondu aux questions ouvertes. Pour les analyses quantitatives, on a recouru à un procédé sans distribution, la régression logistique binaire. L’analyse de contenu typologique a servi de méthode analytique qualitative.
Les résultats montrent que presque tous les thérapeutes ont trouvé certains de leurs patientes et patients attirants. Des sentiments amoureux et des sentiments d’attirance sexuelle vis-à-vis des patientes et patients sont apparus au moins une fois chez presque 60 % des thérapeutes. Les prévalences à des actes érotiques (4,2 %) et sexuels (2,4 %) avec des patientes et patients sont en revanche moins fréquentes. En outre, les analyses de régression logistique binaire ont démontré que l’aspect de genre jouait un rôle significatif par rapport aux sentiments amoureux et aux phénomènes associés. Le rapport des chances que naissent des sentiments d’attirance sexuelle de psychothérapeutes hommes – par rapport à ce qui se passe pour des psychothérapeutes femmes – est ici par exemple de 6 contre 1.
En ce qui concerne les modèles explicatifs, il est ressorti ce que les personnes interrogées entendent par sentiments amoureux dans le setting thérapeutique (conception), comment des sentiments amoureux vis-à-vis de la clientèle se sont révélés (manifestation) et la raison pour laquelle ces sentiments ont pu naître (facteurs causaux) ou être empêchés (facteurs protecteurs).
L’analyse de contenu typologique permet d’établir une distinction entre le type des sentiments amoureux et le type de l’attirance. Dans ce contexte, les sentiments amoureux vis-à-vis des patientes et patients ne sont pas compris comme des contre-transferts, mais aussi dans de nombreux cas comme des phénomènes sentimentaux « véritables ». On ne peut notamment qu’être frappé par le fait que même dans le cas où les thérapeutes prennent explicitement leurs distances par rapport à la notion de sentiments amoureux et déclarent que leurs sentiments représentent « seulement » une attirance, ils font des expériences impliquant des sentiments d’attirance érotico-sexuels, des fantasmes et des excitations, des pertes d’assurance et des efforts de contrôle pouvant aller jusqu’à des interruptions de thérapie et des activités sexuelles avec les patientes et patients.
Les résultats offrent une large base de discussion, sachant que la thématique de l’abus ne doit pas être négligée. Même les résultats concernant le genre soulèvent la question de savoir dans quelle mesure la répartition traditionnelle des rôles entre les sexes se répercutent au niveau de la validation de la sexualité et en fonction des settings psychothérapeutiques. De la même manière, les explications des personnes interrogées par rapport aux causes et facteurs protecteurs en liaison avec la naissance de sentiments amoureux vis-à-vis des patientes et patients incitent à réfléchir sur un sujet délicat faisant souvent l’objet d’un tabou.
Les auteures
Esther Rhyn a étudié à la ZHAW, département psychologie appliquée.
Agnes von Wyl, Prof. Dr., est directrice du groupe spécialisé psychologie clinique et psychologie de la santé à la ZHAW, département psychologie appliquée.
Contact
E-Mail : esther.rhyn@gmx.ch