Article inédit (thème principal)
Serge Sulz
Psychothérapie est plus qu’une science ou: De la science vers l'art
Avant de choisir la profession de psychothérapeute, il convient d’être conscient à quoi correspond ce désir plus exactement. Au désir de devenir scientifique et de toujours appliquer la thérapie la plus efficace ? A celui d’apprendre l’art de la psychothérapie sur une base scientifique ? A celui de comprendre, dans la mesure du possible, les êtres humains avec leurs problèmes et maladies psychiques afin de les satisfaire en tant que personnalité unique ou à celui d’être une aide compétente sur le terrain, capable d’obtenir de bons résultats thérapeutiques pour certaines maladies psychiques, grâce à des manuels de traitements basés sur des faits ? Est-ce que je traite les maladies ou les personnes malades ? La psychothérapie est-elle plus qu’une science ? Est-ce une attitude, une relation, un art de guérir ? Le développement personnel et la supervision sont-ils indispensables ? Mes professeurs doivent-ils être des scientifiques ou des psychothérapeutes ?
La littérature spécialisée susceptible de fournir des réponses à toutes ces questions ne propose presque que des textes rédigés par des scientifiques. Ils pensent, ils recherchent, ils publient. Un déséquilibre de plus entre science et pratique. Les scientifiques représentent avec tant d’aisance et de brio ce qu’est la psychothérapie alors que les praticiennes et praticiens ont du mal à écrire des articles, du moins au niveau scientifique nécessaire pour qu’une rédaction accepte de les publier. Si nous nous demandons donc si la psychothérapie est plus qu’une science et dans quelle mesure, nous ne devons pas espérer recevoir des réponses satisfaisantes de la part des scientifiques. Ceux-ci ne souhaitent pas que la psychothérapie quitte le domaine des sciences. Peut-être pourrait-on considérer la psychothérapie comme art, mais aussi seulement dans le sens qu’une fibre artistique serait requise pour appliquer les thérapies de manuels basées sur des faits au cas particulier de manière à ce que la thérapie soit vraiment efficace dans la prise en charge clinique et que la personne concernée puisse être aidée. Par contre, les auteurs n’envisagent pas que l’essence de la psychothérapie puisse se situer en-dehors du domaine de la science actuelle.
Notre réponse reste donc limitée puisque pour l’heure, le processus psychothérapeutique est dans une large mesure encore une terre inexplorée en ce qui concerne les interactions vraiment fondamentales entre le patient et son thérapeute. Et nous tenons à relever que le fait que la psychothérapie fait l’objet de recherches n’en fait pas forcément une science. De même, ceux qui effectuent des recherches concernant les psychothérapeutes ne deviennent pas d’office psychothérapeutes et, de ce fait, habilités à enseigner comment faire une psychothérapie.
Il est vrai que les scientifiques ne sont pas d’accord entre eux. Les chercheurs appartenant au mainstream continuent à vérifier l’efficacité des interventions spécifiques aux différents troubles à l’aide de recherches RCT et exigent qu’à l’avenir, seuls leurs manuels ainsi évalués puissent servir de base à une psychothérapie. Leurs contreparties au sein de l’APA (American Psychological Association) avancent que l’efficacité n’est pas déterminée par ces techniques et interventions spécifiques aux troubles, mais par des facteurs généraux tels que la relation thérapeutique, la personnalité du thérapeute, les caractéristiques des patients, les conditions contextuelles entourant l’établissement et le maintien de la relation avec le patient et surtout l’adéquation entre le patient et le thérapeute ainsi que le suivi constant de l'interaction entre patient et thérapeute. Elles effectuent des recherches concernant ces « common factors » et peuvent prouver qu’ils sont nettement plus importants que les éléments de la thérapie basés sur des faits. Elles hésitent pourtant à appeler cela l’art de la psychothérapie, puisque leurs recherches les ont amenés sur un terrain vierge. Il n’est pas question ici d’art qu’un seul génie maîtrise, mais de processus pouvant être retracés, appris et décrits de manière scientifique. Ou est-ce que cela reste de l’art malgré tout ? Autant que l’intuition qui reste de l’intuition même lorsque les neurobiologistes et les psychologues expérimentaux ont saisi tous les processus impliqués.
Quelle réponse pouvons-nous donc attendre à la question de savoir si et dans quelle mesure la psychothérapie est plus que de la science ? Nous pouvons répondre oui à la première partie de la question qui commence par si:
La pensée psychothérapeutique n’est pas scientifique. Telle quelle, elle serait déplacée lors d’une séance thérapeutique.
L’interaction thérapeutique et une relation ne relèvent pas de la science, sinon elle ne serait plus l’indispensable solide alliance entre patient et thérapeute.
L’empathie et l’identification ne sont pas de la science, pas plus que les sentiments découlant du transfert et du contre-transfert entre patient et thérapeute.
Les interventions classiques comme l’exposition ou le travail de gestaltthérapie avec des chaises non plus ne sont pas de la science malgré des instructions précises concernant ce que le thérapeute doit faire pour provoquer des sentiments intenses chez le patient.
Les directives concernant ce que le thérapeute doit faire pendant la séance peuvent refléter l’état d’avancement de la recherche en matière d’efficacité, mais même s’il respecte le manuel à la lettre, sa façon d’agir ne sera pas de la science.
Etant donné que le manuel des troubles spécifiques ne peut la plupart du temps pas être appliqué au cas particulier, la supervision permet de passer du produit scientifique à l’utilisation individuelle au cas par cas. Le développement personnel, lors duquel le psychothérapeute se trouve en quelque sorte à la place du patient et vit des expériences émotionnelles profondes, permet de comprendre pourquoi le manuel ne peut pas être appliqué tel quel.
Au final, nous constatons que la psychothérapie est plus qu’une science, d'une part parce qu'elle est de l'art et d'autre part parce qu'elle est quelque chose de plus grand, quelque chose que nous ne pouvons pas encore saisir et nommer. Il s’agit d’attitude, d’aide, de guérison du côté du thérapeute et d'espoir et de crainte, de foi et de doute, de confiance et de méfiance, de vouloir et de rejeter, mais aussi de garder et de laisser aller, d’oser l’inconnu et de rester dans le connu, de réussir et d'échouer, d’évoluer et de stagner, d’autonomie et de dépendance, de relation et de soi-même, etc. du côté du patient ou encore de don du thérapeute et du patient entre deux pôles, entre vision et réalité, entre ce qui est faisable et ce qui ne l’est pas.
Appelons ce qui dépasse la science et ce en quoi la psychothérapie est plus que la science simplement la psychothérapie.
Mots clés: Psychothérapie, science, théorie scientifique, éléments factuels, essais cliniques RCT, recherche quantitative, recherche qualitative, recherche sur le terrain, herméneutique, facteurs généraux d’efficience, relation thérapeutique, formation en psychothérapie, expérience personnelle, supervision, personnalité du/de la psychothérapeute