Article inédit (thème principal)

Thomas Kesselring

La psychothérapie, entre science et philosophie

Si l’on imagine la psychothérapie comme un bâtiment, les murs extérieurs reposent pour ainsi dire sur les sciences naturelles, tandis que l’intérieur est composé par les sciences humaines. La philosophie forme quant à elle les fondations du bâtiment et ses voûtes. Comme les autres sciences, telles que la physique, la sociologie ou la biologie, la psychologie repose sur des bases philosophiques. Elle reste d’ailleurs plus fortement ancrée dans la philosophie que les autres disciplines, et partage avec la philosophie certaines spécialités de son domaine de recherche: la psyché et la conscience. En outre, elle s’intéresse à des énigmes philosophiques très anciennes, pour lesquelles aucune réponse scientifique n’a encore été trouvée. La psychothérapie entretient un rapport étroit spécial avec la philosophie, dans la mesure où elle reprend un style d’enseignement philosophique classique pour mener les entretiens, remontant à Socrate. – Détails sur les liens avec la philosophie:

(1) La psychologie est la science de l’âme. Mais qu’est-ce que l’âme? Aristote distinguait trois sortes d’âmes: l’âme végétative (principe de vie et d’évolution), l’âme sensible et l’âme pensante. La biologie explique aujourd’hui l’âme végétative. A l’inverse, l’âme sensible et l’âme pensante tombent dans le domaine de la psychologie. Elles concernent la vie «intérieure», à savoir les processus de conscience au sens large. Mais ces processus peuvent-ils constituer une science? Emmanuel Kant affirmait que non. Et pourtant, c’est au 19 siècle qu’est née la psychologie scientifique, sous l’impulsion de Wilhelm Wundt en Allemagne et Francis Galton en Grande-Bretagne.

(2) La psychologie évolue autour de quatre énigmes philosophiques, qui restent sans réponse aujourd’hui, malgré les avancées de la science: la problématique du corps et de l’âme, la question de l’accès à la conscience étrangère, celle de l’identité du Moi et la question du libre-arbitre. Chacune de ces énigmes est directement lié à la psychologie. La recherche en psychologie place ces questions sous une nouvelle lumière, sans toutefois les éclipser. Dans un discours célèbre de 1872, le médecin allemand Emil Du Bois-Reymond a répondu à la question de savoir comment expliquer la conscience comme un élément des organismes matériels en prononçant l’expression «Ignorabimus!» – nous ne le saurons jamais! Les sciences empiriques ont toujours échoué face à cette question, ajoutait Emil Du Bois-Reymond. Cette affirmation reste à ce jour irréfutable.

(3) La psychologie, dans toute sa diversité, comprend trois branches principales: les sciences naturelles, les sciences humaines et un client thérapeutique. La psychothérapie est à la psychologie empirique ce que la construction de machines est à la mécanique, à savoir une discipline technique. Mais cela ne signifie pas simplement que la psychothérapie serait en quelque sorte une «application» des théories psychologiques, au même titre que la construction de machines n’est pas une simple application de la mécanique: elle est au contraire le fruit d’une réflexion autour des problèmes liés à la réalisation d’équipements; comment transposer ces énergies? Comment est-il possible de transformer la chaleur en travail? L’invention de la machine à vapeur avait précédé le développement de la thermodynamique, et ceci n’est pas le fruit du hasard. Comme la construction de machines ou la médecine, la psychothérapie est une véritable science, tournée vers la pratique.

A l’image du technicien, le thérapeute suit des principes éthiques: le technicien produit des machines pour nous simplifier la vie. Le psychothérapeute soulage et traite les souffrances de l’âme et les traumatismes. En cela, son travail équivaut à celui du médecin, même si la médecine s’intéresse aux maladies et aux blessures physiques, alors que la psychothérapie se penche sur les questions psychiques. Certes, les deux domaines se recoupent, les souffrances physiques se reflétant sur la psyché et inversement. Mais contrairement aux blessures touchant un organe ou une structure osseuse, les souffrances de l’âme ne guérissent pas d’une simple intervention chirurgicale (si l’on excepte les rares cas d’intervention directe sur le cerveau). Au lieu de cela, il convient d’utiliser des procédés de prise de conscience et de reconnaissance par le patient de la nature et de la cause de sa souffrance. Le patient doit mener lui-même ce travail de reconnaissance. Le médecin ou le psychothérapeute ne peut pas les éviter, il lui faut simplement les accompagner et aider le patient à se mettre dans les bon rails.

Chacun d’entre nous est le metteur en scène de son propre développement personnel. Nous seuls sommes responsables de ce que nous apprenons, nous sommes autonomes. Je peux recevoir des informations d’une autre personne. Mais si j’en retiens quelque chose et ce que j’en apprends sont de ma responsabilité. C’est aussi vrai pour les processus de reconnaissance psychothérapeutique: l’étude du contexte entourant un trouble névrotique ou psychotique doit être définie en dernier lieu par le patient qui souhaite faire évoluer la situation. Le psychothérapeute le soutient dans ce sens avec des questions empathiques et des propositions d’interprétation, à l’image d’un professeur de philosophie qui pousse ses élèves à développer leur capacité de pensée en les confrontant à des pistes de réflexion, en suivant leurs modes de réflexion avec empathie et en y réagissant, que ce soit dans un but de confirmation ou de critique. Le psychothérapeute pratique ainsi la «maïeutique» selon Socrate, une aide à la prise de conscience et au développement de processus de reconnaissance par le patient.

Mais le fait pour le patient de savoir quelles sont les causes de son traumatisme n’est pas encore suffisant pour la guérison. Pour que ses connaissances soient efficaces, elles doivent être intégrées à un système de valeurs stables et non relativistes: une névrose doit être considérée comme un trouble, une souffrance, une agression sexuelle comme une injustice, y compris au sens éthique. Ce système d’évaluation est une condition importante pour permettre au patient d’objectiver sa souffrance et s’en libérer. – Il s’agit là du cœur d’une étude d’Angelika Birck, élève de Gottfried Fischer, sur la psychothérapie des personnes victimes d’abus sexuels alors qu’elles étaient mineures. La révélation d’avoir été victime d’un acte injuste est manifestement indispensable pour une guérison sur le long terme.

Bilan : Des découvertes récentes importantes, telles que celles mentionnées plus haut, et le lien étroit avec la philosophie suggèrent les diagnostics suivants: la psychothérapie est une science à part entière, reposant sur la réflexion entourant la pratique et sur une éthique pratique – une guérison réussie.