Article inédit (thème principal)
Nicola Gianinazzi
Science psychothérapeutique au sud des Alpes
La recherche appliquée nous permet de nous concentrer en psychothérapie sur la relation et donc sur la psychodynamique entre patient et thérapeute, mais toute relation ressortit à l’intersubjectivité, elle est donc unique et non reproductible. Dans la réalité phénoménologique, elle constitue ce “tiers événement” qu’est précisément la relation humaine.
En revanche, la technique ressortit à la maîtrise, au contrôle, à la reproductibilité de l’expérience. Elle obéit à des règles qui tendent à exclure les sujets en interaction et le “tiers symbolique” (représentant immanent-transcendent de deux sujets qui se rencontrent), variable aspécifique qui possède, en psychothérapie, le pouvoir de transformer et de “guérir”.
Néanmoins, pour le patient singulier et plus particulièrement pour le déprimé, la question de l’articulation de la technique à sa Um- et à sa Mit-Welt se pose: herméneutique et culture, biographie et histoire. L’élément culturel, loin d’être accessoire, est un problème de fond qui peut questionner de l’intérieur l’appareil déployé par le théoricien de la neuro-psychothérapie, surtout si elle est abordée de manière trop réductrice.
Si donc nous voulons déplacer le curseur du quantitatif au qualitatif, de la technique à la relation, de la raison-rationnelle au symbolique-raisonnable dont se nourrit le mythe, nous devons réfléchir au lien entre le symbole et le mythe et les passions qu’il raconte, et à leur rapport avec les hommes et les femmes que nous rencontrons en psychothérapie. Là, les concepts ont le même poids que les émotions, et ces dernières semblent neurologiquement déterminantes pour la motivation et l’apprentissage. La connaissance parait vouloir émerger de la rencontre entre le subjectif et l’objectif au fil de son histoire, plutôt que de l’objectif, aussi scientifiquement fondé fût-il, arraché à cet univers émotionnel individualisé et hautement subjectif.
En d’autres termes nous ne devons pas uniquement penser en termes d’efficacité, d’efficience et d’économicité, mais également en termes d’humanité, de singularité et d’ultériorité.
Ce qui rend l’Homme humain - je rejoins ici la pensée du philosophe de l’esprit A. Noë - c’est son histoire qui se développe parmi d’autres hommes, d’autres femmes, dans son monde: la conscience de sa vie et la vie de sa conscience. Comme un dedans-dehors où le tiret tiendrait le rôle et la place du cerveau sans englober entièrement aucun des deux termes.
La conscience individuelle, subjective et intentionnelle - plongée dans les processus instantanés de l’autobiographie naturelle et culturelle - est toujours l’“objet” que nous rencontrons en psychothérapie et en psychanalyse. On ne peut la connaître, c’est la thèse de cet ouvrage et la piste indiquée par des penseurs comme Kandel - que si on s’en approche de façon pluri- et transdisciplinaire, en allant des neurosciences à la philosophie de la pensée en passant par la physique, la chimie, la biologie, la psychologie, la pédagogie, la sociologie et la théologie sans oublier le droit et l’économie. Ce n’est que de cette manière que le “sens du soi” peut se développer, en investissant les formes qui lui conviennent et dans lesquelles il se reconnaît.
La seconde partie de l’article traite du modèle intégré, interdisciplinaire et interprofessionnel de la formation en psychothérapie. Celle-ci doit, selon les critères de Bologne (priorité à l’orientation pratique et aux passerelles entre filières) conduire aux titres de BA, Master et Docteur en psychothérapie.
Ce modèle, appelé Sciences psychothérapeutiques / Psychotherapiewissenschaft (SPT/PTW), a été mis au point par l’Association Suisse des Psychothérapeutes (ASP) en coopération avec la Charte suisse pour la psychothérapie (membre depuis 2013 de l’ASP). Il concerne la Scuola Universitaria della Svizzera Italiana (SUPSI) et l’École Polytechnique Fédérale de Zurique (ETH Zürich).
Il est déjà enseigné dans des universités publiques ou privées de Vienne, Cologne, Berlin, Linz et Paris. En Suisse, on envisage sa mise en œuvre sur la base du rapport “Sciences psychothérapeutiques (SPT) - Rapport sur les possibilités de mise en place d’un cursus en sciences psychothérapeutiques et d’une approche intégrée de la formation professionnelle scientifique” élaboré en 2010 par le groupe de travail de l’ASP.
Mots clés: philosophie, recherche, neurosciences, intersubjectivité, science psychothérapeutique