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Peter Schulthess

Socialisation et émancipation en politique – référence à la psychothérapie

Le cœur de l'action politique est de réglementer les affaires de la collectivité en adoptant des décisions contraignantes. Il s'agit des affaires publiques, et avec elles du cadre social dans lequel les hommes et les sous-systèmes d'une collectivité grandissent, auquel ils participent et qu'ils co-organisent, dans lequel ils parviennent à maturité ou souffrent. Un politicien est donc en ce sens quelqu'un qui se saisit des affaires publiques et qui contribue à l'organisation des conditions de vie sociale par son action politique. Il s'occupe des maux de la société.

Par opposition, les psychothérapeutes s'occupent généralement de la souffrance subjective des individus vivant dans la société. C'est en ce sens que la psychothérapie et la politique entrent en interaction. La politique et la psychothérapie ne peuvent être déconnectées l'une de l'autre. Lorsque la psychothérapie contribue à l'émancipation des individus, elle représente une force capable de changer la société et a donc une portée politique.

L'intérêt curatif de la psychothérapie (guérison des maladies) ne peut être déconnecté de l'intérêt émancipatoire (promotion du développement de la personnalité pour aboutir à l'autonomie et à la responsabilisation sociale). La psychothérapie est enracinée dans un cadre culturel, social et politique. Elle fait à ce titre partie de la société et partie du système. C'est l'un des grands défis posés à notre profession que de ne pas s'engager plus loin dans le système malgré cette imbrication, mais de garder en ligne de mire les interactions entre les souffrances subjectives et la société, de même que les maux de la société. Le processus thérapeutique doit être organisé de façon à pouvoir agir sur le système auquel on appartient (la famille ou autre cercle), de s'y développer, donc de souffrir moins. Cela suppose une guérison durable grâce à l'émancipation et au développement de la personnalité.

Dans la culture politique de la Suisse, la diversité est un élément important. Notre pays possède une belle diversité de partis dans son paysage politique. Cette situation aiguise la concurrence entre les partis, qui se dispute pouvoir et influences. Le spectre politique reflète les postures sociales et les contradictions, qui se manifestent aussi à l'intérieur de chacun des partis par des querelles intestines. Tout système politique qui offre une pluralité de partis ouvre la voie à une polarisation et à des projections de chacun sur les autres. Au lieu de considérer la logique contradictoire dans son ensemble et de chercher des solutions pour y remédier, les partis ne se servent souvent que d'aspects isolés pour se démarquer des autres partis. Le système de concordance va à l'encontre de ce principe en Suisse en intégrant les principaux partis dans le gouvernement, à tous les niveaux politiques (communes, cantons, Confédération). C'est l'une des différences les plus marquantes avec les formes de démocratie des autres pays où le parti majoritaire gouverne. Le système de concordance oblige à mener des débats pour adopter des réglementations et les appliquer.

Cet aspect de la politique suisse démontre à quel point l'on se soucie que la politique ne conduise pas à une normalisation de tout. La politique en Suisse se caractérise en règle générale par son pragmatisme et le respect des minorités dans la société. Sans cette préoccupation particulière pour les minorités, la Suisse serait menacée dans son unité en tant qu'état et société cohérente rassemblant plusieurs régions linguistiques. Ce qui caractérise et unit la Suisse est, entre autres choses, ce sentiment commun de ne pas vouloir être rattaché aux différents voisins plus grands : les Tessinois sont fiers de ne pas être italiens mais suisses, les Romands de ne pas être français mais suisses, les Suisses alémaniques de ne pas être allemands. La Suisse peut donc être considérée comme une oasis pour tous ceux qui ont fui la pression de la normalisation culturelle et politique des grands pays voisins et qui savent pouvoir compter ici sur un système fédéral.

Il existe aussi divers courants et diverses orientations en psychothérapie. La diversité est une valeur également prisée dans les soins de base en psychothérapie, principe que défend la Charte suisse pour la psychothérapie.

Une démocratie mature a besoin de citoyens autonomes, émancipés et s'appuie sur la déclaration des droits de l'homme de l'ONU. Il en va de même pour la psychothérapie. La normalisation et les adaptations aux besoins sociaux constituent un danger pour le développement politique et le développement de la psychothérapie. Il faut bien comprendre que les deux sont soumis à un processus d'évolution perpétuel. Du point de vue émancipatoire, les deux doivent veiller à ne pas écouter les sirènes populistes ou (dans le domaine de la psychothérapie) à ne pas se laisser emporter sans réfléchir par les courants dominants de l'époque, qui relèguent l'objectif émancipatoire dans les profondeurs. L'histoire des relations de la psychothérapie par rapport aux évolutions politiques en dit long. Aujourd'hui, la psychothérapie émancipatoire risque d'être noyée par l'intégration, sans sens critique, de concepts thérapeutiques ésotériques, idéologiques et orientaux mal compris, qui entrainent une nouvelle dépendance envers des gourous et maitres. Des risques comparables existent en politique par le fait de suivre des leaders idéologiques.

Mots clefs : Psychothérapie, politique, émancipation, droits de l'homme