Article inédit (thème principal)

Isabelle Noth

Socialisation et émancipation en religion et aumônerie

La religion présente des aspects ambivalents, voire contradictoires. D'un côté, on trouve la critique du psychanalyste Sigmund Freud, qui voyait dans la religion et l'éducation religieuse une cause de "l'abrutissement" de l'adulte en regard de l'intelligence enfantine. La religion, selon Freud, favorise le développement et la socialisation anti-émancipateurs de l'être humain. Et l'histoire du christianisme paraît confirmer cet avis: il n'y manque pas d'exemples, où l'église a abusé de sa puissance et de son influence afin d'imposer ses objectifs politiques et d'intimider, voire terroriser les fidèles. La position de Freud a donc eu une répercussion considérable notamment dans la psychologie, et ce n'est que depuis peu que celle-ci ose se tourner vers la religion et la spiritualité. Mais elle se retrouve aussi dans l'attitude de la société face à l'église: en Suisse, par exemple, la majorité des gens prennent leurs distances à l'égard de l'église et de la religion en la considérant sans importance pour leur vie, voire comme un symbole du rétrograde et de l'anti-émancipateur.

Tout de même, la représentation freudienne de la religion néglige une des expériences les plus fondamentales de la religion judéo-chrétienne. L'Exode, la libération des israélites de l'esclavage égyptien, raconté dans le second livre de l'Ancien Testament, est à la base de la relation entre dieu et son peuple. Selon la théologienne Dorothee Sölle, cette libération est un événement radical – dans le sens littéral du mot (latin: radix = racine) ainsi que dans le sens plus global – qui marque le début d'une tradition, qui a toujours une signification pour tous ceux qui s'y inscrivent. On trouve fréquemment des exemples de cette tradition dans le Nouveau Testament (cf. Gal. 5,1 et 13) et pas seulement là: l'écrivain suisse Peter Bichsel caractérise sa religiosité comme un moyen d'émancipation.

Pourquoi, cependant, cette dimension émancipatrice et libératrice de la religion est-elle si mal connue et peu appréciée? De nombreuses études de psychologie religieuse attestent qu’il existe simultanément des formes de religion qui favorisent la liberté et donnent du courage ainsi que des formes de religion pathologiques qui stimulent plutôt la peur et des expériences traumatisantes. En tant que discipline de réflexion, la théologie analyse les processus de socialisation tout en focalisant sur le problème de l'émancipation. Si vous me demandez donc personnellement: "Comment transmettez-vous à vos étudiants et futurs professionnels un sens de responsabilité à l'égard de leur vie personnelle et professionnelle?" Je vous réponds: "D’abord, je mets en évidence l'ambivalence permanente de la religion, qui demande pour cette raison de la réflexion constante, puis j'évoque l'expérience fondamentale de l'Exode en tant que critère herméneutique."

C'est-à-dire, la religion offre des possibilités de se comprendre soi-même et le monde qui nous entoure. En mettant en parallèle nos propres expériences et histoires personnelles avec celles transmises dans la bible, nous pouvons nous y retrouver, interpréter nos cheminements de vie et leur donner du sens. Une religion qui met à la base l'amour inconditionnel de dieu et l'expérience de la libération peut donc aider à surmonter des crises et gérer les difficultés de la vie. C'est pour cette raison que l'aumônerie en tant que discipline de la théologie pratique vise avant tout à mettre en évidence le potentiel libérateur de la religion. Dépourvue de but utilitaire, elle laisse au sujet la liberté d'émancipation ou non. Ce qui compte c'est de se sentir aimé et accepté. Car cette confiance - qu'on appelle traditionnellement la foi - c'est la base de toute émancipation possible.

Mots clefs : critique des religions, émancipation, aumônerie, motivation, potentiel de libération