Article inédit (thème principal)

Dominique Lämmli

Make people think!

Normalisation ou diversité? Adaptation normalisée ou actions relevant de sa propre initiative? Des exemples récents issus de la théorie, de la pratique et de la formation artistique viennent illustrer ces quatre termes de référence. En tant qu'artiste, enseignante et chercheuse à l'École Supérieure des Arts de Zurich, mais aussi co-fondatrice et directrice de la société de recherche indépendante FOA-FLUX qui étudie l'art dans des contextes mondialisés, je m'intéresse aux potentiels actuels et futurs des méthodes de travail artistique. Citons notamment, à ce sujet, la visibilité croissante au plan international des revendications d'action et de modification de la réalité des pratiques artistiques. Les artistes interviennent de plus en plus dans des contextes sociaux et scientifiques divers – phénomène que j'ai déjà désigné ailleurs par „artists working reality“ (Lämmli 2014). Certaines de ces activités sont visibles sur la scène artistique internationale et dans les expositions, beaucoup se déroulent localement et à travers les réseaux internationaux de pairs. Cette évolution se distingue notamment dans le contexte actuel de transition forcée vers la compréhension de l'art et le discours artistique. Il s'agit d'un effet produit par les processus de transformation mondiale qui va aboutir à un repositionnement de contenu du discours artistique dans un proche avenir. Ces évolutions acquièrent, par ailleurs, une qualité de paradigme et agissent aussi directement sur les systèmes de référence de notre production de savoir.

Le texte « Make people think! » dépeint ce contexte et peut, à ce titre, être considéré comme une brève introduction à ces processus dynamiques actuels dans le domaine des arts visuels.

Il débute en faisant référence à des exemples concrets de pratiques artistiques. Puis il cite des processus de transformation, intégrés à la compréhension de l'art, et les explique en partant de l'art contemporain. Cette catégorie n'est, certes, pas nouvelle, mais son contenu a fondamentalement évolué. Il démontre aussi la façon dont les effets épistémologiques de ces tendances peuvent être intégrés dans la production de savoir en rapport avec l'art dans un contexte global sur la base des recherches de FOA-FLUX.

Voici quelques-unes des pratiques artistiques évoquées: Kër Thiossane, atelier de création et de production artistique à Dakar, Sénégal; Bee Collective, équipe néerlandaise et interdisciplinaire qui a élaboré une ruche solaire pour milieux urbains; Atelier des réfugiés de Zurich, où les personnes issues de divers pays et vivant en exil en Suisse – pour des raisons politiques – traitent des réalités quotidiennes, de leurs expériences traumatiques et des postures politiques; Hackteria, organisation internationale et plateforme Internet qui donne accès à des informations et propose des travaux collaboratifs par le biais de « Nomadic Science » et les « Democratized Labs »; « My Stealthy Freedom »  et « Blank Noise » qui abordent sur des réseaux en ligne et par des performances les violences faites aux femmes dans les espaces publics iranien et indien; Hong Kong House of Stories, centre communautaire qui favorise la transmission horizontale de savoirs en poursuivant une stratégie artistique.

Ces initiatives et d'autres réseaux d'artistes ont été présentés lors de l'exposition, inspirée de la recherche, « Art in Action » (2014, Museum Bärengasse Zurich et Connecting Space Hong Kong). Certains de ces réseaux ne font même pas apparaitre le terme d'art. Lors du congrès « Art • Life • Technology » qui a rassemblé des groupes d'artistes d'inde, de Hong Kong, d'Indonésie, de Norvège, de Grande-Bretagne et de Suisse à Bangalore, en Inde, certains participants ont indiqué ne pas utiliser sciemment la notion d'art quand ils communiquent sur des projets en lien avec des actions sociales. La raison invoquée est que le terme d'art véhicule des préjugés laissant penser que l'action est élitiste, éloignée des réalités et à ne pas prendre au sérieux.

Les recherches de la société FOA-FLUX sur l'art pratiqué dans un contexte mondial s'intéressent à ces évolutions actuelles en partant de la réalité et en les intégrant aux discussions théoriques et méta-théoriques. Partir de la réalité signifie prendre en compte les différentes interprétations des arts, les nouvelles évolutions et les propres interprétations des artistes dans divers contextes et ainsi créer des discussions et lancer des actions multidimensionnelles.

L'entreprise de recherche indépendante travaille donc dans des communautés transculturelles et plurisociales où les intervenants artistiques peuvent échanger leurs savoirs, se questionner mutuellement et produire en collaboration. La recherche est d'une part, basée sur la pratique (practice-based) – les travaux artistiques constituent la base de l'apport de savoir – et d'autre part, dirigée par la pratique (practice-led) – elle mène à de nouvelles interprétations de la pratique artistique. Les connaissances acquises dans le cadre des recherches pratiques sont transposées au plan (méta-)théorique puis sont comparées afin de redéfinir des catégories et de déterminer ce qui correspond à la recherche informée, basée sur la réalité (informed research approach).

Le texte s'achève par la référence à un avis communiqué par un participant indien au congrès « Art • Life • Technology ». Il a été impressionné de voir que les projets de jeunes participants en particulier s'élaborent à partir d'un dialogue et d'interactions, mettent l'accent sur le partage de savoirs et les possibilités de production et tendent vers des conditions de vie plus humaines et durables. Il a résumé son idée par les termes « humble and human ».

Mots clés : arts (visuels), pratique artistique, collaboration, réseaux, action responsable, mondialisation, méta-mutation, recherche sur les arts, recherche basée sur l'art et dirigé par l'art, axé sur l'action, modifiant la réalité