Article inédit (thème principal)

Walter Herzog

Émancipation à l'école et dans la famille

L'émancipation a largement perdu de sa signification en tant que notion normative dans le domaine des sciences de l'éducation. Ce terme continue toutefois d'être utilisé pour décrire la fonction critique des sciences de l'éducation. Comme en témoigne fortement la critique aujourd'hui, l'école et la famille sont en pleine évolution. Les réformes actuelles de l'enseignement en Suisse se distinguent de façon marquante par une tendance dominante à la standardisation et à la normalisation de l'école et des cours. La standardisation ne concerne pas seulement les conditions dans lesquelles ont lieu l'école et les cours, mais aussi les résultats, c'est-à-dire la performance attendue de la part des élèves. Au lieu de se former, les élèves doivent acquérir des compétences, précisées en détails et évaluées à l'aide de procédés psychométriques. Tandis que les processus de formation ciblent l'autonomisation de l'individu au sens de l'organisation de sa personnalité, les compétences se mesurent à l'aune de leur utilité dans les situations quotidiennes. La formation est redéfinie dans ses fonctions et évolue vers un capital humain, ce qui transparait dans les études PISA. Par ailleurs, les écoles et les cours sont désignés de plus en plus souvent par des métaphores technologiques qui laissent penser que l'apprentissage des élèves est la résultante directe de l'enseignement des professeurs. Les fantasmes de faisabilité, qui font la part plus belle à l'influence de la politique de l'enseignement qu'elle n'en a dans les faits, se propagent. Ainsi le monitorage suisse de la formation, projet porté conjointement par la Confédération et les cantons, exige que la recherche sur l'enseignement fournisse des savoirs permettant de mieux piloter le système de formation. Même si des voix critiques s'élèvent sur la scène internationale, l'assimilation entre formation et éducation ne cesse de progresser en suivant la logique des processus de fabrication industrielle en Suisse. L'introduction de normes de formation basées sur les résultats dans le cadre du concordat HarmoS et l'organisation du Lehrplan 21 (plan d'études) en fonction des compétences s'inscrivent dans le contexte d'un changement de cap politique, dont l'objectif est d'attirer l'attention sur les résultats des écoles et des cours. De façon comparable, il se développe dans les familles une mentalité de surveillance et de contrôle. Par souci justifié ou non, des parents dits hélicoptères s'occupent en permanence de leurs enfants, ne leur laissant quasiment aucun espace de liberté pour explorer leurs propres centres d'intérêt en autonomie, sans surveillance. Mus par une « panique de l'éducation » (Bude), les parents croient devoir toujours investir davantage dans leurs enfants pour que leur vie soit couronnée plus tard de succès. Mais cette mentalité du contrôle, dite hélicoptère, empêche les enfants de mener leurs propres expériences au sens strict du terme. Leur formation est également en jeu, car la formation ne peut pas être prise en charge par un tiers, c'est à la personne elle-même de s'y impliquer. « Émancipons-nous », d'un point de vue pédagogique, signifie que nous prenions nos distances avec les exigences de standardisation et de normalisation, telles que l'école et la famille en regorge dernièrement, et que nous renouions avec l'idée de formation qui recèle un potentiel d'émancipation indélébile.

Mots clés: formation, politique de formation, émancipation, parents hélicoptères, compétence, PISA